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Marianne Huguenin: «Il faut sortir des ghettos»

Marianne Huguenin: «Il faut sortir des ghettos»
Marianne Huguenin sur le plateau de Mise au point, RTS, en 21 novembre 2004.

Quelques mois après l’entrée en vigueur du mariage civil pour les couples de même sexe en Suisse, 360° a rencontré Marianne Huguenin. Portrait de la popiste, figure de proue de la campagne lors du référendum sur le partenariat civil enregistré au milieu des années 2000 et première personnalité politique romande à avoir fait son coming out alors qu’elle officiait sous la coupole fédérale.

Un beau jardin entoure la maison où Marianne Huguenin vit depuis 2017 avec sa compagne avec laquelle elle est partenariée depuis cinq ans. Elle nous accueille dans leur salle à manger, baignée de soleil en ce lumineux matin de septembre. Pas très loin de ce havre de paix renanais se construit le tram qui reliera dans quelques années le Flon à la gare de la ville de l’ouest lausannois, cinquième métropole vaudoise. Cette ville, la Locloise d’origine la connaît bien, puisqu’elle en a été la syndique jusqu’en 2016, année où elle s’est retirée de la vie politique institutionnelle. Elle y avait déjà occupé le rôle de municipale chargée des questions sociales notamment. Ce sont des problématiques qui la touchent depuis longtemps. En effet, fille du directeur de l’entreprise familiale Huguenin au Locle et d’une mère féministe, elle a hérité de ses parents, dit-elle, une attention particulière pour son prochain et un besoin de défendre les plus démunis. Des engagements qu’elle a tenus chevillés au corps durant toute sa carrière politique.

Marianne Huguenin fait ses premiers pas au Parti Ouvrier Populaire (POP), parti d’inspiration communiste, alors qu’elle a 20 ans, au tout début des années septante. À 30 ans, celle qui est médecin généraliste de formation tombe amoureuse d’une femme. Elle raconte en avoir très vite parlé à sa sœur et à ses ami·e·x·s, pour «le partager et le vivre pleinement». Les choses sont un peu différentes avec ses parents en ce temps-là: «Ce n’était pas caché, mais ce n’était pas dit non plus. C’était un flou, un entre-deux.»

«Ce n’était pas caché, mais ce n’était pas dit non plus. C’était un flou, un entre-deux.»

En parallèle à sa carrière médicale, elle mène une vie politique engagée, sans pour autant parler publiquement de sa vie amoureuse: «Lorsque j’ai été candidate au Conseil des États ou au Conseil d’État dans les années nonante, je ne parlais pas de mon homosexualité.» Dans son parti, «cela n’a jamais fait l’objet d’un discours public. J’ai appris que certain·e·x·s avaient soulignés que j’étais avec une femme, ce à quoi d’autres anciens ont rétorqué “On s’en fout, ce n’est pas important”.»

«Expliquer d’où je parle»
La militante du POP détaille ses combats: «Dans ma vie de militante, j’ai passé énormément de temps à me battre pour les droits des femmes, que ce soit autour de l’IVG, du droit à l’assurance maternité ou sur la question de la garde des enfants. J’ai fait ceci par solidarité, par engagement féministe. Peut-être paradoxalement, cet axe-là pour moi a été beaucoup plus central dans ma vie politique que celui des droits LGBTIQ+.» Les choses vont être chamboulées en 2003: «Alors que j’étais municipale depuis sept ans à Renens, j’ai été élue au Conseil national. En y arrivant, une des premières sessions traitait de la loi sur le partenariat civil enregistré, et je suis intervenue directement.» L’opposition à la loi sur le partenariat (LPart) oriente sa campagne autour de la vision du mariage comme institution réservée au couple hétérosexuel, seul modèle fécond, ce que la jeune conseillère nationale trouve alors «brutal aussi envers toutes les personnes hétérosexuelles qui auraient voulu des enfants sans pouvoir en avoir.» Lors des débats, Marianne Huguenin explique ne pas pouvoir rester silencieuse. «Je sentais qu’il fallait que j’explique d’où je parlais. Est-ce que j’intervenais en tant que médecin, en tant que personne concernée?»

«J’avais préalablement prévenu mes proches, dont ma mère qui avait 86 ans à l’époque, et le jour J, j’ai eu l’impression de partir au front en quelque sorte»

Durant l’été 2004, Femina lui propose un entretien dans ses pages. «Je me suis dit: “Si la journaliste est sympa et si elle m’interroge sur ma vie privée, je ne vais pas mentir”. Ce qui a été le cas. Je lui ai simplement demandé de ne pas titrer l’article sur mon homosexualité.» Finalement, le papier ne suscite pas de réactions directes. C’est quelques mois plus tard que Marianne Huguenin est invitée à commenter un reportage de l’émission Mise au Point, rendez-vous incontournable du paysage télévisuel dominical, traitant de la différence entre la Suisse romande et la Suisse alémanique quant au coming out des personnalités publiques. En effet, outre-Sarine, il n’est alors pas si rare qu’un·e politique affirme publiquement son orientation sexuelle, ce qui n’était pas le cas en terres francophones. «J’avais préalablement prévenu mes proches, dont ma mère qui avait 86 ans à l’époque, et le jour J, j’ai eu l’impression de partir au front en quelque sorte. Finalement, le coming out ne concerne pas que soi. Ceux que l’on oute en parlant publiquement, c’est notre famille également, nos proches.»

L’émission fait grand bruit et la presse s’arrache l’élue qui, lors de l’entretien télévisé, explique que les personnes qui ont compté dans sa vie sont des femmes. «J’avais complètement sous-estimé l’impact de cette émission», se souvient-elle. «Je n’ai jamais eu autant de réactions, de lettres, de SMS.» Les retours sont pratiquement tous positifs, ce qui touche la conseillère nationale, qui souhaite avant tout parler publiquement afin de donner l’exemple. En effet, comme elle le rappelle dans l’entretien accordé à Mise au Point ce soir-là, il est important d’offrir des figures d’identifications positives aux jeunes concerné·e·x·s, population au sein de laquelle le taux de suicide est plus élevé que la moyenne.

Se battre pour le «oui»
Cet entretien est diffusé au début de la campagne référendaire autour de la LPart, durant laquelle la femme politique s’engage en faveur du «oui». Rapidement, elle devient le visage suisse romand de cette votation. Le processus s’accompagne de son lot de débats médiatiques qui l’opposent en particulier à Maurice Chevrier, PDC (Parti démocrate-chrétien, dorénavant nommé Le Centre) valaisan. En première ligne pour défendre ce grand pas vers l’égalité pour les couples de même sexe, la politicienne se souvient: «Cette campagne a parfois été difficile. Je me suis sentie considérée comme une citoyenne de seconde zone face à la ligne qui défendait la famille et le couple fécond comme modèle.»

Sur le contenu de la LPart, Marianne Huguenin se rappelle que même si l’égalité n’était pas atteinte – le partenariat était réservé aux couples de même sexe, ne donnait pas accès à l’institution du mariage en tant que tel, ni à l’adoption, par exemple – «il y avait un consensus général dans tous les milieux concernés pour soutenir cette loi. Au fond, le fait que ce partenariat soit réservé aux couples de même sexe nous permettait de proposer quelque chose qui était beaucoup plus proche des droits obtenus à travers le mariage hétérosexuel. En même temps, cela arrangeait les conservateurs traditionalistes, qui ne voulaient pas que l’on fasse un “sous-mariage” sur le modèle du pacs français qui aurait pu dissuader les couples de se marier. Finalement, la recette proposée convenait à tout le monde.» Un joli exemple de compromis helvétique peut-être… Elle se souvient également que peu d’élu·e·x·s de gauche étaient présent·e·x·s sur les stands, lors de la campagne pour le «oui». «Il faut reconnaître que le gros du travail a été mené par les associations de personnes concernées.» La campagne a été un succès, et la loi acceptée par le peuple, à 58%, le 5 juin 2005.

«“Camarade”, c’est plus simple!»
Quand on lui demande quel regard elle porte à 72 ans sur les luttes LGBTIQ+ contemporaines, la popiste est parfois perplexe: «Je regarde avec un peu de distance et de critique certaines évolutions, qui tendent à diviser plutôt qu’à rassembler.» Parlant du discours inclusif, la popiste reconnaît ne pas l’utiliser de manière rigide et permanente et s’amuse: «Finalement, “camarade”, c’est plus simple!» lâche-t-elle en riant.

Pour conclure, elle nous laisse avec ces quelques mots, comme autant de conseils pour les prochains combats à mener: «En stratège politique, il ne faut pas que le camp du “oui” soit constitué uniquement par des personnes concernées, sans quoi on est mort. Il ne faut pas défendre sa peau tout le temps, il faut défendre des valeurs humanistes et surtout ne pas exclure. Ma peur, c’est que la communauté soit divisée, qu’elle se renferme dans de petits ghettos. Il faut en sortir et laisser de côté l’individualisme pour voir l’autre.» Un appel à l’unité nécessaire à l’heure où les luttes LGBTIQ+ semblent plus fragmentées que jamais.