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La parenthèse désenchantée de la communauté gay russe

La parenthèse désenchantée de la communauté gay russe
Une des dernières manifs LGBT en Russie, en juillet 2014 à Saint-Pétersbourg. Photo: M. Komarova via flickr/CC

Avec Espèces dangereuses, Sergueï Shikalov nous fait découvrir un moment palpitant de l’histoire russe récente, sur les pas d’un jeune gay moscovite. Un bref moment de grâce où l’homosexualité est sortie de la criminalisation et de l’invisibilité. Mais une fois la cage refermée sur les «pédérastes», comment être sûr de ne pas avoir rêvé?

C’est à cette question que l’auteur de 37 ans, exilé en France depuis 2016, propose de répondre en convoquant les fantômes du passé. Oui, cette jeunesse maladroite et enivrée par l’espoir a bel et bien existé. Oui, certains homos ont pu cesser de se cacher, accéder au meilleur de la culture gay internationale et choisir des meubles Ikea pour emménager ensemble. Alors Shikalov nous raconte, non sans humour, les tribulations d’un garçon qui s’ouvre à cette liberté rendue possible par des avancées légales réelles. Mais l’auteur le revendique: non, il n’est pas ce jeune homme sans prénom. Il veut parler pour tous, sans je, sans nous. Rien qu’un on impersonnel.

Ce roman d’apprentissage centré sur un seul personnage maintient malgré tout un focus plus large sur la communauté homosexuelle russe du tournant du XXIe siècle, mais aussi sur la société russe en entier. L’auteur expose avec le même regard tour à tout cruel, tendre et politique, les rencontres clandestines honteuses, puis l’avènement de Grindr, le déchirement de l’émigration, la force de la pop – Mylène Farmer en tête –, l’exorcisme anti-gay, le premier amour lors d’un séjour académique aux États-Unis, les tabassages mortels, ainsi que le choix crucial du fond de teint.

Retour de bâton

Dans ce livre qui enchaîne avec urgence tranches de vie intimes et considérations sociétales, on peut regretter l’utilisation de ce on impersonnel qui rend le récit artificiel, mais aussi l’absence de personnages secondaires plus incarnés. À une belle exception près: le portrait affectueux et poignant d’un professeur, un homosexualis sovieticus condamné à vivre une double vie.

Espèces dangereuses se termine par un constat glaçant. Alors que les discours du gouvernement se durcissaient, que les lois homophobes resurgissaient, pourquoi la communauté urbaine et éduquée n’a pas su prendre la mesure de la catastrophe homophobe pourtant annoncée et réagir? Et il ne faudra pas attendre bien longtemps pour qu’à l’instar des gays, d’autres citoyens russes prennent de plein fouet la mesure de l’autocratie.

Espèces dangereuses, de Sergueï Shikalov. Éd. du Seuil, 224 pages.