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Anna Alfieri, à vif

Anna Alfieri, à vif
Anna Alfieri dans Borderline

Avec «Borderline», l'actrice et réalisatrice italienne Anna Alfieri porte à l’écran sa première histoire d’amour lesbienne, tumultueuse et passionnée. Rencontre à Berlin en septembre, au Queerfilmfestival.

Anna Alfieri a des airs de Françoise Sagan. Cette frimousse blonde, ce quelque chose d’effronté dans sa dégaine, ce petit corps frêle agité d’une frénésie contagieuse. Comme Sagan, elle enchaîne les idées et les cigarettes à toute vitesse. Comme elle, elle semble mener sa vie comme sur les tapis verts des casinos. Prête à tout perdre à chaque instant, grisée par le danger, dansant au bord de l’abîme. 
 
Anna Alfieri avait 22 ans lorsqu’elle a quitté sa ville natale, Bergame, dans le nord de l’Italie, pour se donner une chance de percer en tant qu’actrice à Londres. Et aussi pour échapper à l’étroitesse et à la «bigoterie», comme elle dit, de cette petite ville catholique de province. Elle n’a compris qu’elle était lesbienne qu’au milieu de la vingtaine, après en avoir incarné une dans un court-métrage. Une révélation pour elle. En Italie, Anna aurait sans doute continué à vivre hétéro, elle en est convaincue. «Être lesbienne n’était pas vraiment une option. Il n’y avait aucune lesbienne autour de moi. Quand je pensais à ce mot, enfant, j’avais en tête l’image d’une femme laide qui ressemblait à un homme laid, et qui avait fini avec des femmes faute de trouver un homme…»
 
Installée dans la capitale britannique depuis treize ans, elle a déménagé autant de fois d’une colocation à l’autre et a dû enchaîner les jobs alimentaires – de traductrice à l’hôpital à livreuse de pizza – pour ne pas renoncer à son rêve. «L’industrie cinématographique britannique est dure. Surtout pour les étranger·ère·x·s. La plupart des rôles que j’ai obtenus pendant toutes ces années n’étaient d’ailleurs pas rémunérés. Et aucun d’entre eux n’était vraiment bon. C’est justement pour ça que j’ai fait mon propre film. Parce qu’on ne m’a jamais donné le rôle que je voulais, dans le film que je voulais.»
 
Scènes d’intimité fiévreuses
Elle joue son propre rôle à l’écran. Son ex-petite amie, Robyn, est incarnée par une jeune actrice française, Agathe Ferré. Borderline est un temple dédié à sa première histoire d’amour lesbienne, en même temps qu’une plongée dans les affres de l’après-rupture. On se retrouve catapulté·e·x dans l’histoire d’Anna et de Robyn par le biais de nombreux flashbacks – scènes d’intimité fiévreuses, séquences presque oniriques baignées dans la lumière dorée de l’été – comme à bord d’un train lancé à toute vitesse sur les sommets et les descentes de leur passion passée. 
 
Le film repose en grande partie sur l’improvisation. «Je n’avais pas de scénario, seulement un échafaudage de 12 pages, mais j’avais une vision de ce à quoi le film devait ressembler. À chaque prise, nous nous plongions dans la scène et laissions la magie opérer», explique Anna Alfieri.
 
Elle a réalisé Borderline presque seule – et l’a financé avec ses économies personnelles et l’aide de sa famille: 50’000 euros au total. Parvenir à faire un long-métrage avec un si petit budget relève du tour de force. Elle revendique cette veine «guerilla filmmaking». Et on prend la mesure de ce que cela signifie quand on la rencontre à Berlin quelques jours après la projection de Borderline. Elle semble tout droit sortie de son film. C’est la même chaîne qu’à l’écran qui pend à son cou, elle a les mêmes vêtements, le même sac à dos. Anna a tourné le film chez elle, dans la rue, à l’arrache, et son film n’en est que plus beau, plus puissant.
 

«J’ai transformé toute ma souffrance en art, j’en ai fait un carburant créatif»

Elle a commencé à travailler sur le film en 2017, peu après sa rupture avec la vraie Robyn. À l’époque, Anna était en proie à une dépression profonde. Sa carrière d’actrice, au point mort. Le film n’aurait sans doute pas vu le jour sans cette douleur, estime Anna. «J’ai transformé toute ma souffrance en art, j’en ai fait un carburant créatif. J’avais l’impression d’avoir une mission, faire ce film, et il était impossible de m’arrêter. Je n’avais jamais ressenti ça de toute ma vie. D’un côté, je voulais mourir et de l’autre, cette douleur m’a donné le pouvoir de faire tout ce dont j’étais capable.»
 
Anna a été diagnostiquée borderline par le passé. Une étiquette dont elle se distancie. Si elle a donné ce titre à son film, c’est surtout parce qu’il est borderline en soi. «En partie parce qu’il n’y a pas de frontière claire entre ma vie réelle et la fiction du film», explique-t-elle. Maintenant que le film est sorti, elle a le sentiment de souffrir d’une «dépression post-partum»: «J’y ai mis toute mon énergie et maintenant je me sens extrêmement fatiguée, brisée, vide. Je n’ai plus envie de faire quoi que ce soit. C’est un métier très étrange.» Quelques minutes plus tard, elle concède être à la recherche d’une nouvelle inspiration. Et quelques jours plus tard, alors qu’elle vient de rentrer à Londres, elle nous écrit qu’elle a pris la décision de déménager à Berlin, le plus vite possible. 

Anna Alfieri, Borderline, à voir en VOD sur salzgeber.de

Borderline from Salzgeber Club on Vimeo.