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Ce ne sont pas des hommes, mais ce sont bien des drag queens!

Ce ne sont pas des hommes, mais ce sont bien des drag queens!
De g. à dr.: Morphine Blaze, Frida Nipple et Violente Violette.

Femmes cis ou personnes non binaires, résolument queer, elles apportent un regard neuf et complémentaire à l’art du drag queen. Loin des spots de la Drag Race mais toujours entre performance et militantisme, nous les avons rencontrées.

Frida Nipples est sans doute la seule drag queen non AMAD (assigned male at birth, soit en français «mâle assigné à la naissance») de la Suisse romande. Elle est «née» et a commencé à performer il y a six ans. Elle – enfin son alter ego Beatriz – nous raconte son cheminement. «Je me suis retrouvée à San Francisco dans le cadre d’un échange universitaire pendant mon Bachelor. Le hasard a fait que l’un de mes meilleurs amis, drag queen, y était également pour une résidence d’artiste. Je l’ai suivi dans les drag shows et j’ai découvert toute une culture.» C’est une révélation, car à San Francisco, le drag est autrement plus varié et créatif que partout ailleurs. «Pour la première fois, j’ai rencontré une femme cis qui faisait du drag. Je lui ai posé plein de questions et plutôt que de me répondre de manière théorique, elle m’a dit de choisir une chanson et de monter sur scène.» Rentrée en Suisse pour terminer son Bachelor, Beatriz retourne néanmoins à San Francisco. «Il y avait une soirée qui commençait avec un quart d’heure dédié au baby drag. L’organisateur m’a bookée et j’ai eu 15 jours pour trouver un nom, apprendre le make-up, faire le tour des friperies et créer une performance…» C’était il y a six ans. Frida Nipples est née ce soir de décembre sur l’air d’Un año de amor. Depuis, Frida, «une femme puissante et rigolote qui aime raconter des histoires», performe sur les scènes de Suisse et de France et transmet son art aux bébés drags, notamment au travers d’ateliers make-up Masc for Mascara, qui sont aussi l’occasion d’évoquer la santé mentale des jeunes LGBTIQ+.
 
Beatriz explique comment Frida l’a révélée à elle-même: «Devenir drag a fait partie pour moi d’une vraie démarche d’empowerment personnel et m’a permis de m’affirmer clairement comme pansexuelle. C’est à la fois un moyen d’expression artistique et d’exploration/expression de soi. J’ai alors pu m’engager pleinement, notamment en participant activement à l’organisation de la Geneva Pride
 
«Véritable art queer»
Direction Paris maintenant, où une scène drag queen initiée par des femmes cis et des personnes non binaires est en pleine expansion. Morphine Blaze, 22 ans, est l’une des premières à avoir conquis la scène il y a près de quatre ans. Elle organise aujourd’hui différentes soirées dans la capitale et est la «mère» de jeunes drag queens non AFAB. «Quand j’ai commencé, la nouvelle génération de drag femmes cis ou genderqueer, n’était pas encore installée. Mes débuts, c’était simplement aller en drag dans des soirées. Puis j’ai commencé à performer au bout d’un an en bossant énormément mes costumes par respect pour la communauté, pour montrer que je travaillais beaucoup.» Elle se fait alors connaître pour ses outfits horrifiques aux impressionnantes prothèses. Pour elle, le drag queen est un «véritable art queer» dont elle a pris soin d’apprendre l’histoire et l’héritage. Elle-même intersexe, elle en a fait un outil éminemment politique et un moyen d’explorer sa féminité de manière safe. «Le drag est plus que féministe. Il est aussi queer. Il questionne les codes de la féminité, le pourquoi on se (nous) reconnaît comme meuf. On joue entre les genres et les représentations de manière fluide.»
 
La fluidité et le militantisme font aussi absolument partie de la manière dont Violente Violette, la vingtaine également, voit le drag – iel préfère parler de «drag queer» dans son cas: «Je ne vois pas l’intérêt de rendre mon personnage binaire et je mélange les inspirations en portant des vêtements très «féminins» tout en arborant une petite moustache. Être drag est un acte politique, c’est aussi exister en tant que personne queer.» Non binaire, lesbienne, Violette est aussi travailleuse du sexe. Un métier qui fait partie de son identité et qu’elle revendique avec fierté: «Mes performances me permettent aussi de parler du fait d’être pute et de déconstruire les clichés à ce sujet. Les putes aussi performent la féminité d’une certaine manière. Le drag et la puterie m’ont permis de comprendre qui je suis, gouine et non binaire.»  
 
Reconnaissance de soi, reconnaissance des corps et fierté, c’est aussi le leitmotiv de Flammen Touche: «Je suis grosse et j’ai vite compris que mon corps est politique, nous dit-elle. Quand tu es gros·se, et a fortiori quand tu es une femme, tu n’as de toute façon pas d’autre choix que d’être politique que d’exister. Je monte sur scène avec mon cul et mes fesses et vous allez kiffer.» Flammen est également bipolaire («et j’en suis fière!» sourit-elle) et le drag lui offre un moyen d’expression créatif nécessaire à son épanouissement, en parallèle à une vie professionnelle relativement stable.
 
Incompréhension
Parfois, ce moyen d’empowerment qu’est le drag se heurte à une certaine misogynie de la part des queens mec cis gays. Nos performeuses parisiennes témoignent de micro-agressions fréquentes. «Quand j’ai commencé, les mecs ne comprenaient pas. Et ça a été encore plus le cas avec l’arrivée du Ru Paul Drag Race sur Netflix, puisque le public s’attendait à ce que l’on soit toustes des hommes cis…» raconte Morphine Blaze. «On me faisait des réflexions et on me touchait beaucoup. C’est pour cela que j’ai créé les soirées Misandrag, de manière à offrir aux femmes cis et aux personnes non binaires un endroit safe pour performer.» Violette évoque de son côté une certaine tendance au mansplaining et au sexisme: «Beaucoup de drag mecs prennent volontairement notre place et ont tendance à avoir des propos misogynes de manière consciente ou non.» Pour autant, ni Violette ni Morphine ne veulent en faire un sujet, du moins publiquement, car cela risque de donner du grain à moudre aux homophobes, et ce n’est évidemment pas leur volonté.
 
Différence culturelle peut-être, Frida n’a jamais rencontré de tels comportements, ni à San Francisco, ni à Genève: «À San Francisco, on m’a appris que tous les drags sont valides.» nous dit-elle. Elle n’a jamais été l’objet de discrimination et témoigne avant tout d’une grande bienveillance au sein de la communauté drag. Elle nous a raconté cette anecdote: «À mes débuts, je performais dans un tout petit club. Il fallait présenter deux perf. Je n’en avais qu’une et je n’avais qu’un seul outfit. Toutes les autres drags, que des hommes, se sont unies pour me passer ici un vêtement, là un accessoire, pour que je puisse faire les deux performances.» Et au final, le drag c’est bien ça. Tout autant qu’il perpétue le concept de familles (les houses) issu de la culture ballroom, il tisse des liens et fait naître une communauté très soudée qui ne devrait exclure personne. D’ailleurs Morphine nous l’explique très bien: «À part pour échapper à certaines discriminations, je ne trouve pas cela pertinent de séparer les mecs cis des personnes AFAB et à continuer à catégoriser les personnes de manière binaire.»  Et d’ajouter: «Le drag est un moyen fun de rentrer dans la communauté et dans la culture queer et de s’y épanouir.»  A l’image des jeunes générations, le drag de demain promet d’être plus fluide, inclusif et militant.