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Tout le monde en cuir!

Tout le monde en cuir!

Après deux ans de pause forcée, pandémie oblige, la Folsom Europe a fait son retour en grande pompe à Berlin le mois dernier. On s'est offert un bain de foule à la Streetfair, la légendaire fête de rue des fétichistes.

Samedi 11 septembre, ligne 1 du métro berlinois. Mon voisin de banquette arbore un pantalon de jogging du dernier chic, taillé dans un vinyle noir étincelant. Au fil des stations, il se fond progressivement dans la masse. La rame se mue en antichambre de la Folsom: les passagers brillant de mille feux dans leurs uniformes en cuir ou leurs combinaisons en latex sont de plus en plus nombreux. Arrivé dans le quartier de Schöneberg, bastion historique de la scène gay berlinoise et port d’attache légitime de la Folsom Europe, tout ce petit monde descend.
 
Pas besoin de checker Google Maps pour trouver le centre névralgique de la Streetfair, le grand raout du festival fétichiste berlinois: au fur et à mesure que l’on se rapproche du but, les Lederkerle, comme on appelle ici, les «gars en cuir», prennent d’assaut le bitume. Les terrasses bondées des bars gays du quartier ressemblent à des planches de Tom of Finland, les sex shops mettent bien en évidence leur attirail BDSM sur les trottoirs.
 
Marée humaine
Cette année, pénétrer dans l’aire fermée de la fête de rue n’est pas aussi aisé qu’à l’accoutumée. Il faut montrer patte blanche à l’entrée, présenter la preuve de sa vaccination contre la Covid-19 ou le résultat négatif d’un test tout frais du jour, puis s’enregistrer au moyen d’un QR Code. La queue à l’entrée dure de longues minutes. Une fois à l’intérieur, à la croisée à la croisée de la Fuggerstrasse et de la Welserstrasse, la fête bat son plein. Une marée humaine toute de cuir et de latex vêtue s’abreuve de bière blonde dans une ambiance bon enfant, flânant entre les différentes animations et les stands vendant costumes, sous-vêtements, harnais, colliers et poignets de force, fouets de toutes les tailles…
 
La foule est à 95% gay, on croise de temps à autre des petits groupes de lesbiennes et aussi quelques rares couples hétéro. Quasiment tout le monde est sur son 31, donnant à la fête des airs de défilé de mode fétichiste. Les adeptes du Puppy Play sont revenus en nombre cette année, des dizaines de couples maître-chien s’offrent un tour de quartier. Autres tendances indémodables de la Streetfair: les uniformes de flics, de soldats, d’officiers assez nazis sur les bords, les masques à gaz portés sur des combinaisons hermétiques, les panoplies d’éboueurs et de mecs de chantier. Quelques furries sont également de la partie.
 
Escadron gay tchèque
Un groupe d’hommes déguisés en soldats en mission spéciale, dont les uniformes noirs sont floqués du sigle S.F.U.T. attire notre attention. «Nous sommes la Special Fetisch Uniform Team», nous explique le dénommé Skinbiker, à la tête de cet escadron gay tchèque venu spécialement à Berlin pour le week-end. «Ce qui me plaît ici, c’est de pouvoir m’exprimer en toute liberté, me montrer tel que je suis», explique-t-il. Lui et son groupe se rendent à la Folsom Europe quasiment depuis les débuts, il y a une quinzaine d’années. «Nous sommes là surtout pour discuter avec ami·e·x·s et revoir tou·te·x·s celleux que nous n’avons pas pu voir depuis deux ou trois ans.»
 
Quelques centaines de mètres plus loin, après avoir assisté à une petite démonstration de fouet, on tombe nez-à-queue sur un sculptural lapin à peine vêtu d’un petit masque, d’un cache-sexe et d’un pompom version cuir noir. «The Bunny», c’est ainsi que tout le monde l’appelle ici, est venu spécialement de Londres pour le festival. «Dès que j’ai appris que l’Allemagne était considérée comme une zone verte par l’Angleterre, je me suis dit : ok, I do it!», s’amuse-t-il. Heureux de «pouvoir embrasser pleinement son personal brand à la Folsom Europe», il est ravi de retrouver son public.
 
Regards bienveillants
Dans un autre coin de la street party, un groupe de lesbiennes adeptes du cuir éclusent des bières autour d’une table avant d’aller danser. Elles viennent elles aussi chaque année à la Folsom. Comment se sentent-elles ici en tant que membres d’un groupe éminemment minoritaire? «Je me suis toujours sentie bien ici car je me sens moi-même gay, je me balade d’ailleurs avec un packing dans le pantalon et je trouve les hommes gay très attirants», explique Steffi. «Je me sens super bien intégrée ici et les regards sont bienveillants. C’est un vrai plaisir pour une fois de ne pas avoir à se cacher, d’être comme on est dans l’espace public, et non dans des lieux privés, comme c’est le cas le reste de l’année.» Une de ses amies, Tania, une SM Dyke toute de cuir vêtue et elle aussi une habituée de la fête de rue, s’autorise à rêver un peu: «Je me sens très bien ici mais j’aimerais bien qu’il y ait une deuxième Folsom où tous les participants seraient clonés en femmes! (rires) Quelle fête ça serait!» «Ça serait notre rêve!», ajoute Steffi en s’esclaffant.