Un média d’autodéfense par et pour les personnes trans
XY Média, nouvelle plateforme audiovisuelle transféministe, a été lancée avec succès grâce à un financement participatif. Retour avec ses fondatrices sur cette initiative unique au monde.
«On s’est rencontrées au sein de groupes de paroles transféminins. On se disait qu’on craignait la vague transphobe de plus en plus grande qui s’abat sur la France, comme ça a été le cas au Royaume-Uni. Avec Carol, Vénus, Sofia et d’autres, on a décidé de se réunir pour former un média, en combinant nos expériences mais aussi nos compétences techniques de graphistes, vidéastes, monteuses…», explique Sasha Yaropolskaya, journaliste et militante au sein de l’association Acceptess-T.
L’objectif des co-fondatrices est simple: créer une plateforme en non-mixité trans* qui servirait d’outil d’autodéfense face au traitement médiatique délétère des parcours trans*. «Outre-Manche, le cas du Times est par exemple assez parlant: le magazine a écrit 324 articles sur les personnes trans en 2020… Aucun n’a été rédigé par une personne concernée», déplore Sasha. «On voulait faire une exception à la règle de n’importe quelle rédaction journalistique, qui engage très peu les personnes trans*.»
250’000 vues sur Twitter
L’équipe fondatrice lance officiellement la plateforme XY Média le 8 mars 2021, lors de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, avec une vidéo sur la transmisogynie, soit la violence spécifique exercée à l’encontre des femmes trans*, présentée par Vénus Liuzzo et Anna Balsamo. «Un extrait de cette vidéo a été republié sur Twitter et a été vu 250’000 fois. Il a atterri ensuite sur un site fasciste, FdeSouche. Dès ce moment, Vénus et Anna ont été la cible d’un déluge de commentaires violents, racistes et transmisogynes», explique Sasha. Preuve s’il en est du caractère hautement nécessaire du travail produit. D’autres contenus suivent jusqu’au lancement de la campagne de financement le 1er juin, sur des thématiques diverses telles que les représentations trans*, le combat des femmes trans* colombiennes contre la répression militaire, la non-binarité face à la colonisation…
Le positionnement du média s’inscrit en outre dans un contexte particulier, à savoir une période pré-électorale en France, ainsi qu’une structuration de plus en plus inquiétante des groupes féministes transphobes, aussi appelés TERF, pour «Trans-Exclusionary Radical Feminists». Dernier événement en date qui vient illustrer cette montée en puissance des mouvements réactionnaires anti-trans*, l’action organisée par un groupe de militantes transphobes pendant la Pride parisienne du 26 juin. Celles-ci ont déployé au milieu du cortège des banderoles où l’on pouvait lire «les lesbiennes n’aiment pas les pénis» et scandaient des slogans transmisogynes du type «les hommes en jupe ne sont pas des femmes». Face à elles, peu de réaction de la foule, si ce n’est celle des fondatrices de XY Média, comme le raconte Sasha dans une vidéo d’explication.
«Cette attaque transphobe a été très lourde sur le plan humain et émotionnel, mais elle a aussi permis de rendre compte du sentiment d’urgence à financer des initiatives transféministes», raconte Carol Sibony, co-fondatrice du média et cinéaste. «Ça a donné un dernier coup de boost à la campagne.»
Un peu plus d’un mois plus tard, lors de la clôture de la campagne de financement, XY Média comptait plus de 91’000 euros de dons (un peu moins de 100’000 francs), un montant bien au-dessus de l’objectif de 12’000 euros (13’000 francs) fixé initialement. «On n’aurait jamais pu envisager une telle somme a priori. Je pense que c’est parce que la stratégie de communication a été très bien organisée. On l’a aussi lancée pour le mois des fiertés, puis la campagne a été soutenue par de nombreuses personnalités publiques… Ça a créé un momentum», détaille Sofia Versaveau, co-fondatrice, réalisatrice et créatrice de la chaîne YouTube Game Spectrum.
Campagne choc
Sasha confirme: «Durant toute la campagne, on publiait tous les trois jours une vidéo de soutien d’une personnalité publique que nous avions préalablement démarchée. Cela pouvait être des journalistes comme Alice Coffin, jusqu’à des artistes comme Bilal Hassani. L’objectif consistait à utiliser leur plateforme pour porter la campagne, mais aussi montrer qu’il y a aussi des figures un peu «mainstream» du féminisme qui nous soutiennent publiquement. Cela a contribué non seulement à assurer la promotion de la campagne, mais aussi à nous donner une légitimité dans l’espace médiatique. On a demandé à tout le monde, même à Judith Butler et à Noam Chomsky (rires)! Ça nous a permis de nous démarginaliser, en fait.»
Le montant récolté servira à financer un ensemble de projets sur le moyen terme: «On veut faire des documentaires moyen et long formats, mais aussi un projet d’émission mensuelle. L’objectif du média, c’est de devenir à terme une plateforme, un lieu où l’on crée un ensemble d’images autour de notre communauté», explique Carol. Mais l’intérêt d’une telle levée de fonds réside également dans sa possibilité à juguler la précarisation économique des personnes trans*, souvent écartées des sphères professionnelles traditionnelles. C’est ce que soulève Sofia: «Grâce à l’argent reçu, nous allons pouvoir salarier des personnes trans* en intermittence et en auto-entreprise.» Une double vocation pour la plateforme, qui souhaite ainsi à la fois porter les parcours et revendications trans* dans la sphère médiatique, mais également encourager l’entraide et l’autonomie intra-communautaire.
Le local de XY Média, futur lieu de productions et de rencontres
La campagne de financement a permis à XY Média de trouver un local dans Paris pour centraliser ses activités et faciliter la mise en lien de l’équipe. «Nous souhaitons en faire un lieu de travail et de rencontres», s’enthousiasme Sofia. «On veut aussi y faire des formations à destination des personnes trans* pour transmettre les techniques de montage, de cadrage…» Carol ajoute: «C’est aussi un espace où on va pouvoir installer une station de montage afin de créer les vidéos.» À contre-courant d’un nombre important de collectifs s’organisant principalement sur des outils virtuels, notamment Discord, l’équipe reconnaît l’importance pour une communauté marginalisée de pouvoir se retrouver physiquement. «Ça permet de se fédérer entre nous et d’humaniser les rapports au sein de l’équipe», confirme la militante. Par ailleurs, le futur local remplira un objectif central d’archivage du contenu produit. «Il nous permettra de stocker les rushs de nos vidéos, afin qu’ils soient à la disposition de tous les membres de l’équipe», conclut Carol.