Explorations du nu
La nouvelle série d'événements proposés par le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève, «Nus artistiques, nus politiques» s'ouvre ce mercredi avec une conférence abordant les transidentités au Moyen-Âge.
Quand on dit «nu», on pense souvent érotisme. Mais ce n’est de loin pas le seul domaine auquel se réfère la figure dévêtue dans l’art et la littérature des siècles passés. Les facettes du nu sont multiples et bien souvent politiques, entrant en résonance avec les enjeux actuels comme l’affirmation du désir féminin, le rejet du patriarcat ou la dénonciation du viol. C’est dans cette réflexion que nous entraîne «Nus artistiques, nus politiques», la série d’événements ouvert à tou·te·s organisés ce semestre par le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève, en collaboration avec plusieurs entités, notamment l’Unité d’histoire de l’art de l’alma mater genevoise et la HEAD – Genève.
Ce mercredi 28 février, la première conférence de la série abordera une forme de nu «judiciaire» en quelque sorte, celui représenté sur une fascinante miniature du XVe siècle conservée à Glasgow. On y voit une femme présentée à la foule sur un chariot. Ses yeux sont baissés tandis qu’on lui relève ses jupes pour dévoiler son sexe: un pénis. Cette image sidérante par sa singularité – et aussi par ce qu’elle évoque de violences transphobes à nos yeux du XXIe siècle – servira de point de départ à la conférence de Clovis Maillet, Nudité, sexualités et transféminité à la fin du Moyen âge.
Cette image est en réalité l’illustration d’un des récits des Cent nouvelles nouvelles, recueil de la fin du Moyen-Âge. Il s’agit de l’histoire de Dame Marguerite, lavandière trans infiltrée dans un milieu féminin où elle multiplie les amantes. Le récit s’achève par la punition de l’usurpateur·ice: l’exhibition publique de ses organes génitaux. Une scène où la gravité et la honte voisinent avec la grivoiserie et le rire.
Spécialiste des questions de genre et d’histoire des transidentités et enseignant à la HEAD de Genève, Clovis Maillet rappelle que les personnages trans ne sont de loin pas absents de la littérature de cette époque, on pense notamment à la figure Saint Eugène devenue Sainte Eugénie, sans compter les filles-chevaliers «toujours présentés comme des personnages abstinents et vertueux [tandis que l]es dames trans sont tous des amants déguisés», écrit-il dans un article de la revue Clio consacré à Dame Marguerite. À noter que Clovis Maillet est aussi l’auteur d’un très remarqué Les genres fluides, de Jeanne d’Arc aux Saintes trans paru l’an passé aux éditions Arkhé.
Martyre et érotisme
Pour la conférence suivante, ce vendredi 1er mars, on se déplace de quelques décennies à peine, vers la Renaissance. S’il n’était de loin pas absent de l’art du Moyen-âge, le nu explose désormais en ce XVIe siècle européen. Les peintres Dürer, Cranach, Raphaël, le Titien et bien d’autres se passionnent en particulier pour le corps d’une figure de l’Antiquité romaine: Lucrèce. Cette dernière s’est donné la mort après avoir été violée par le fils du tyran Tarquin le Superbe. Pourquoi un tel engouement pour cette martyre de la République romaine en train de se transpercer le ventre d’une dague? Pourquoi cette nudité, cette sensualité dans une scène aussi morbide? Henri de Riedmatten, professeur boursier du Fonds national suisse au sein de l’Unité d’histoire de l’art de l’Université de Genève, a récemment consacré un ouvrage à cette figure. Il tire le fil de la fonction politique de ces représentations jusqu’à ses détournements érotiques.
Le cycle «Nus artistiques, nus politiques» se poursuivra avec plusieurs autres événements ce printemps. Notamment en avril, avec Eric Fassin, sociologue et spécialiste en études genre, et Joana Masó, docteure en littérature française et en études féminines, autour de la figure d’Elsa von Freytag-Loringhoven, incroyable «baronne Dada». Aussi, en juin à Lausanne aura lieu une visite-performance inédite du Musée cantonal des Beaux-Arts, par la danseuse et chorégraphe Gaëlle Bourges, autour des corps nus représentés par les surréalistes. Le programme complet est à retrouver sur le site internet du CMCSS: unige.ch/cmcss
Le Centre Maurice Chalumeau
Le CMCSS a été créé en 2020 grâce au don philanthropique de Maurice Chalumeau (1902-1970). Ce centre académique interdisciplinaire promeut la recherche et la formation en sciences des sexualités. À partir de ses importantes collections, ainsi que des projets qu’il soutient, le CMCSS développe de manière autonome un agenda d’information scientifique, sur les plans nationaux et internationaux. Les thématiques abordées croisent les sexualités avec des sujets d’actualité tels que le numérique, le climat, la géopolitique, les arts, les migrations, l’éducation, etc. Les activités du CMCSS s’inscrivent dans trois axes qui sont les «arts et savoirs sur les sexualités», «droits sexuels» et «santé sexuelle».