Fossé générationnel? Discutons!
Deux militantes, trente ans d'écart, s'interrogent sur les malentendus qui s'installent au sein du mouvement LGBTIQ+. Un malaise grandissant, mais pas irréversible.
Lorsque l’on écoute les quinquas militant·e·x·s ou ex-militant·e·x·s LGBTIQ+, un discours revient souvent. Celui-ci évoque une perte de sens par rapport aux nouvelles formes de militantisme, vues comme moins structurées et plus individualistes. Il pointe du doigt des divergences et des incompréhensions en termes de revendications, faisant notamment des questions de genre une priorité remplaçant les questions de sexualité. Et il déplore une rupture nette avec des jeunes qui seraient déconnecté·e·x·s de l’histoire du mouvement et peu désireux·ses de s’affirmer comme des héritier·e·x·s. Au final, c’est une sorte de désenchantement, sinon de résignation que l’on observe de la part de bon nombre de celleux qui ont pris de plein fouet la pandémie de sida et qui ont lutté pour l’égalité des droits. «J’ai le sentiment d’être dépossédé de nos luttes», glisse un de ces «dinosaures» du militantisme LGBTIQ+. «Je vois bien qu’il y a un bouillonnement en ce moment, mais je ne m’y sens plus vraiment à ma place, il est peut-être temps de passer la main», s’interroge-t-il, fataliste. Celleux qui ont commencé à militer dès les 90s sont-iels désormais «inutiles et hors d’usage» pour reprendre l’expression chantée par Daniel Darc? Les jeunes générations n’ont-elles plus rien à apprendre d’elleux – et inversement – alors que les discriminations et les violences LGBTIQ-phobes persistent et que nous avons toujours des causes et des ennemi·e·x·s commun·e·x·s?
Pour y réfléchir, il faut écouter celleux qui sont sur le terrain toute l’année. «De toute évidence, il existe des ruptures générationnelles», admet Gwen Fauchois, militante et activiste lesbienne, ex-chargée de communication et vice-présidente d’Act-up, 56 ans. «Les priorités sont différentes et la jeune génération qui se prend en pleine gueule l’immobilisme de l’État sur les questions de droits se retourne vers l’autogestion.» Ce qui la heurte aujourd’hui, c’est avant tout la manière dont les jeunes semblent refuser le débat d’idées: «Ces jeunes sont à fleur de peau. Ils ont tendance à prendre la contradiction pour de l’agression, ce qui nous prive d’échanges pourtant essentiels.»
Maladresses
Sasha Anxiety, militante trans* lesbienne et co-fondatrice de XY Média, 24 ans, le concède et explique qu’une unité totale et entière du mouvement est parfois difficile: «De toute évidence, c’est extrêmement précieux d’échanger entre générations», explique-t-elle. «Mais, pour les personnes trans*, il est parfois délicat de débattre avec des personnes cis et de militer à leurs côtés, soit parce qu’elles sont maladroites, soit parce qu’elles sont franchement désagréables.»
«Il y a une forme de puritanisme queer chez certain·e·x·s, ce qui peut interroger les plus âgé·e·x·s.»
Et force est de reconnaître que les personnes trans* sont aujourd’hui écartées d’un certain nombre d’avancées concrètes telles que l’accès à la PMA en Suisse et en France, alors que celle-ci devrait être possible pour les femmes seules et les couples de lesbiennes au début de l’automne 2021 en France. Ces disparités sont ainsi susceptibles d’induire des ruptures qui ne sont pas tant générationnelles que revendicatives. Sasha constate aussi des disparités idéologiques : «Nous sommes davantage dans un militantisme moral qui vise à la reconnaissance et au respect des identités. Les plus anciens étaient davantage dans le concret.» Elle note aussi une certaine colère des jeunes face à des militant·e·x·s de plus longue date qui, selon elles, ont dépolitisé les prides et les ont bradées sur l’autel du capitalisme. «Nous sommes sans doute plus radicaux», concède-t-elle. Elle remarque aussi que l’ancienne génération était sans doute plus décomplexée sur les questions de sexualité que ne le sont certain·e·x·s jeune·x·s : «Il y a une forme de puritanisme queer chez certain·e·x·s, ce qui peut interroger les plus âgé·e·x·s.»
Divisions et exclusions
Reste que les disparités au sein du mouvement LGBTIQ+ sont du pain bénit pour l’extrême droite et tous les mouvements conservateurs qui, de leur côté, trouvent des moyens d’accéder à des consensus pour s’opposer à toute avancée sociétale. En outre, ces divergences peuvent aussi amener à créer de nouvelles exclusions. Gwen Fauchois prend l’exemple des gays qui, de glissements en glissements, ont été assimilés à des dominants, alors même que les violences et les discriminations homophobes persistent.
«On a parfois l’impression que les jeunes repartent à zéro ou réinventent ce qui a été fait, plutôt que d’essayer de voir ce qui a marché ou pas par le passé.»
Pour Gwen Fauchois, les militant·e·x·s de tous âges auraient besoin de «dépasser les réactions à chaud sur les réseaux sociaux pour effectuer un travail de fond, des moments où on débat et où on s’engueule pour finir par trouver des solutions et des stratégies collectives.» Et elle insiste sur l’importance de la transmission – de vive voix et par le biais d’archives: «On a parfois l’impression que les jeunes repartent à zéro ou réinventent ce qui a été fait, plutôt que d’essayer de voir ce qui a marché ou pas par le passé.» Pour Sasha Anxiety, il n’est pas question de faire table rase du passé: «Il faut rester en contact avec les plus anciens au risque d’une dommageable amnésie des luttes.» Selon elle, cela ne peut guère se faire que dans les associations: «Il y a en fait peu d’espace de socialisation où les jeunes et les vieux peuvent se réunir. En effet, ces lieux de socialisation sont souvent des lieux festifs où les générations ne se mélangent pas. Reste pour cela les associations.» Loin de vouloir exclure les plus ancien·ne·x·s, la jeune femme insiste sur l’importance de leur donner une visibilité et de lutter contre l’isolement des seniors LGBTIQ+.
In fine, l’impression qui se dégage de tout cela est celle de deux camps qui voudraient bien échanger, mais n’y arrivent pas, alors que chacun y gagnerait. Peut-être que par le biais d’inter-associations ces débats nécessaires pourraient voir le jour de façon à trouver une unité face à l’adversité, quitte à conserver des divergences. Après tout, qu’est ce qu’une famille sinon un groupe de personnes qui s’engueulent?
Un grand merci à 360° d’avoir osé aborder le brûlot. En tant que gay de bientôt 50 berges, j’éprouve désormais un certain malaise à la vue d’un drapeau arc-en-ciel aux couleurs 2020, brandi à tour de bras pour signaler le genre (?), la race (sic), voire le flocon de neige (??), concepts à mille lieues de mon aspiration à une certaine universalité. Aïe… j’ai dis «gay», zut alors.