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«Drag race? Une opportunité phénoménale et urgente»

«Drag race? Une opportunité phénoménale et urgente»
Moon. Photo ©bastardised

Véritable phénomène culturel apparu aux USA il y a bientôt 15 ans (bonjour le coup de vieux!), RuPaul’s Drag Race essaime ses franchises nationales sur les petits écrans des quatre coins du globe. Après l’Espagne, la Suède, la Thaïlande, le Mexique ou encore la Belgique, le plus époustouflant des concours drag revient en France pour une deuxième saison qui met en lumière la première compétitrice suisse: Moon!

Tu t’appelles Ava Matthey, tu as 31 ans, vis à Genève, d’origine tzigane, diplômée de la HEAD en arts visuels, tu es une femme trans* peintresse, première suissesse des franchises de RuPaul’s Drag Race. Cet été on a pu te voir dans presque tous les médias, tu as notamment parlé publiquement de ta transidentité sur le plateau de l’émission de France 2 Quelle époque! présentée par Léa Salamé. Dans cet ouragan médiatique, ma première question est la suivante: comment vas-tu?
(Rires) Tu sais qu’on oublie cette question! En vrai, je gère, beaucoup mieux que quand j’ai tourné l’émission. En fait, tu n’es jamais préparée à ce qui t’arrive. Tu as beau avoir des gens autour de toi qui savent ce que ça fait que d’accéder à une certaine notoriété, ça ne te prépare jamais. Tu te rends compte que, sans le vouloir, tu as beaucoup de pression sur les épaules, parce que tu es une représentation…pour ma part, de la transidentité déjà, mais aussi des femmes tziganes et des femmes tout court dans Drag Race. Donc ça fait parfois beaucoup…Mais en vrai, ça va!

Revenons sur ton parcours, quand est-ce que tu commences à faire du drag?
J’ai débuté durant mon bachelor à la HEAD en Art/Actions. J’ai toujours aimé créer des alter egos que je pouvais faire vivre à travers mon corps. Le drag est arrivé un peu comme ça, grâce à ces études d’art. J’ai navigué à travers plusieurs personnages drag et j’ai trouvé Moon en 2015, à Londres. 

Tu as donc exploré la scène drag londonienne?
Oui, à Londres c’était très Club Kid. Je vivais à Dalston (Est londonien), au dessus d’un pub. Mon personnage, c’était la maman enceinte qui faisait des grands écarts…et je buvais beaucoup trop (rires). Avec mon groupe d’ami·e·x·s, on regardait des photos de Leigh Bowery et on se maquillait en s’inspirant de son travail. On était un peu freaky!

Bond dans le temps, tu postules à RuPaul’s Drag Race
Oui, je suis allée assez loin dans la sélection pour la saison 1, mais je crois que je n’étais pas tout à fait prête. J’ai à nouveau postulé pour la seconde saison, j’avais davantage la tête sur les épaules et me disais que c’était mon dernier essai en tant que drag. Je songeais à peut-être arrêter…

Et tu reçois un appel annonçant que tu es prise!
Oui! Dans un premier temps, je réagis très bien, puis rapidement, c’est le stress: tout ce que je regarde depuis toute petite à la télé, je vais devoir le faire! Je me demande: «Est-ce que je vais réussir? Est-ce que je prends la place de quelqu’un d’autre? Est-ce que je suis valide pour le faire?…» C’est dans mon caractère, je me pose trop de questions. 

Et comment est-ce que tu te prépares à la compétition?
Je me dis que je vais tout faire toute seule, ce qui semble rapidement inimaginable. Je fais un énorme brainstorming et en un jour, j’ai toutes les idées de look. Je sais comment je veux rentrer dans l’atelier, comment je veux représenter la Suisse, etc. La question, c’est comment réaliser ces idées. J’ai donc travaillé avec mes connexions pour mettre tout ceci en place. 

Quel est ton état d’esprit quand tu arrives?
Quand j’arrive, je me sens stressée mais soulagée. Ensuite, lorsque je rencontre mes compétitrices, je vois tout de suite leur niveau et pense directement que ça va être très difficile, parce qu’elles sont extrêmement fortes. Leurs looks, leur matériel, je vois que ce sont des professionnelles. 

Et dans ces rencontres avec les autres drag de la saison 2, est-ce que tu as un coup de cœur pour une queen?
J’ai eu une connexion avec tout le monde, je les aime toutes. Mais c’est vrai que le soir, j’étais beaucoup avec Mami Watta, Cookie Kunty et Kitty Space. 

Est-ce qu’il y a une anecdote du tournage que tu veux nous partager, quelque chose qu’on ne voit pas quand on est devant sa télé?
Mais à peu près tout! Je regarde les épisodes avec beaucoup de bienveillance, parce que je sais la pression constante que c’est, et du coup j’ai de l’amour pour toutes les queens qui participent à Drag Race. Quand tu te dis «Mais elle aurait au moins pu coller l’avant de sa perruque», elle n’a peut-être simplement pas eu le temps (même si en général je déteste cette excuse…) Cet aspect temporel est vraiment très dur à gérer. 
Aussi, c’est marrant, parce que quand je me regarde, j’ai l’air assez sereine alors qu’en vrai c’est le bordel dans ma tête! J’étais stressée H24, mais à la caméra ça ne transparaît pas. Je suis plutôt fière de moi, de l’image que je projette malgré le bordel interne (rires).

Et un moment qui t’a peut-être marquée plus négativement?
Le fait de ne jamais être prête…Ce sentiment peut rapidement réveiller de vieux démons. Mais sinon, parler de toutes ces expériences que je vis en tant qu’Ava était assez compliqué. Je me suis rendu compte que je n’y allais pas que pour Moon, mais aussi pour montrer qui était Ava, la femme trans* sous le maquillage. Mettre des mots là-dessus, face à la caméra, c’était émotionnellement fort. 

Justement, comment c’est de se découvrir chaque semaine sur écran?
C’est stressant! Je ne suis pas une très grande fan de me voir en image. Il y a tout que je changerais, mais je suis ok avec la façon dont je parle, ce qui me satisfait beaucoup…parce que ça pourrait être dur à vivre de se dire «J’ai des super looks, mais je déteste ce que je dis». Mes looks, pour les améliorer, j’ai toute la vie pour le faire, alors que pour mon mental, à 31 ans, je trouve que je me suis bien débrouillée. 

Pourtant ce n’est pas la première fois que tu es représentée à l’écran, on a pu te voir dans un court métrage de Youssef Youssef qui fait partie de la série Futura
C’est la première fois que je suis représentée en tant qu’Ava. Depuis ma transition, je n’ai pas été exposée aux médias et c’est tellement récent! Ça fait seulement un an que je suis sous hormones et je suis déjà à la télé, et il y a toute la France qui est au courant, et la Suisse. Imagine tout le stress que tu as avec ta transition et ta prise d’hormones et ceci est partagé directement avec deux pays! C’est beaucoup à gérer.

Moon. Photo ©bastardised

Pour continuer à parler des moments plus difficiles dans la compétition, tu as décidé de quitter l’émission après l’épisode 6. Est-ce que tu veux nous en dire un peu plus sur ton choix?
Ça faisait quelques semaines que je n’allais pas très bien. Même si je me confie beaucoup dans l’émission, je n’ai pas pour habitude de beaucoup parler de ce que je ressens. Tout ce que j’évoque sur les pensées suicidaires, les violences que j’ai vécues… Tout ça, mes familles de cœur et de sang n’étaient pas au courant. En débutant l’émission, je ne pensais pas dire tout ça. Au fur et à mesure du tournage, je me confiais de plus en plus, aussi sur les conseils de la production, qui me confirmait que ce que j’exprimais à l’écran trouverait son audience, que mes mots finiraient par toucher le public… Ce qui est vrai, vu les retours que je reçois maintenant! Donc j’ai pris sur moi, mais le soir, après le tournage, je me demandais  systématiquement si j’avais raison d’avoir dit tout ça. Avec le stress, l’anxiété, le manque de sommeil, je ne pensais qu’à ça. Je n’étais plus dans l’optique émission TV, divertissement et Moon. J’étais trop dans ma tête, centrée sur ce qu’Ava allait dire au monde dans le prochain épisode et je n’en pouvais plus. Avant toute chose, le drag doit être fun, sympa pour toi, et divertissant! Donc être dans le bottom à l’épisode 6, ça a été comme une porte de sortie qui s’offrait à moi pour quitter l’émission.

Tu évoques les retours du public sur ta participation, comment sont-ils?
Très positifs! Et pas plus tard que ce matin, il y a un mec trans* de 16 ans qui a dit qu’il a compris qui il était en me regardant. Je crois qu’elle est là, ma couronne. Ce genre de message, ça ne s’invente pas! Je suis en train de proposer la représentation que j’aurais aimé avoir plus jeune et que je n’ai pas eue. 

Et comment est-ce que tu vois la tournée qui se prépare?
Pour moi, cette tournée, ce n’est que du bonus! C’est quelque chose de positif qui arrive: pouvoir voyager dans toute la France (et Genève!) avec mes sœurs de la saison 2 pour faire ce que j’aime sur scène. 

Tu as d’autres projets qui t’attendent?
Je ne vais pas parler de projets précis, je suis une sorcière: si j’en parle, j’ai peur que ça n’existe pas! Mais j’adorerai collaborer avec des artistes dans le monde de la mode, de la peinture, etc. Je n’ai pas envie de me fermer des portes ni de construire tout mon futur sur le drag. J’ai envie de me laisser porter par ce qui va arriver… et travailler, je suis une travailleuse!

Un conseil pour une queen suisse qui postule dans la saison 3?
Appelle-moi! On est en Suisse, je pense que je te connais (rires). Et surtout, Go for it! Prépare-toi, ne vois pas cette préparation comme un devoir, mais comme une opportunité phénoménale et urgente. Et surtout, mets de l’argent de côté! (rires)

Merci Moon pour ces conseils. Ultime question: qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite?
D’être heureuse, de continuer à être heureuse de faire ce que je fais, peu importe où je suis et ce que j’entreprends. 

Saison 2 de RuPaul’s Drag Race France, diffusé sur France TV Slash
Spectacle Drag Race France – Saison 2, mardi 17 octobre 2023 à 20h au Théâtre du Léman, Genève.