Rentrée scolaire pour les familles queer: Vaud premier de la classe
En Suisse, toutes les familles arc-en-ciel ne sont pas logées à la même enseigne lorsqu’il s’agit d’accueil scolaire. Dans cette nébuleuse territoriale hétérogène, Vaud se démarque par son volontarisme en matière d’accompagnement.
«Avec ma compagne et notre fille de 9 ans, nous habitions jusqu’à récemment au Tessin. Notre relation à l’administration scolaire a été très traumatisante: formulaires non adaptés, équipe d’accueil dépassée par notre situation familiale particulière, mépris de leur part… On avait l’impression d’être une épine dans le pied de tout le monde. Depuis que nous habitons à Lausanne, on respire enfin», raconte Laura*, femme lesbienne de 33 ans. Même son de cloche pour Ezekiel*, père trans en couple avec un homme et ayant porté leurs deux enfants de 5 et 8 ans: «J’ai beau chercher, je n’ai aucun souvenir de violence ou de maltraitance de la part de l’école de nos enfants», se réjouit cet habitant de Montreux. «Tout ce que je peux rapporter, ce sont parfois des maladresses de la part des personnes les moins informées, mais ça n’est jamais de la méchanceté, tout se règle vite en expliquant les choses en quelques mots».
Ce constat enthousiaste est partagé par l’association faîtière Familles arc-en-ciel, spécialisée dans l’éducation et l’accompagnement des professionnel·le·x·s dans l’accueil des familles arc-en-ciel [ndlr: dont un ou plusieurs parents font partie de la communauté queer]. «Les discriminations que subissent ces familles dans les écoles publiques suisses changent énormément de nature d’un canton à l’autre», assure Thomas Méchineau, directeur général de l’association. «Dans les cantons francophones, ça se passe très bien. Dans les cantons germanophones, c’est pas mal mais il y a encore du chemin à faire, notamment sur le plan de l’inclusion administrative. Dans les cantons du côté du Tessin, c’est la catastrophe. Les familles arc-en-ciel peinent à se faire entendre. En la matière, Vaud fait figure de pionnier.» Le directeur général craint une augmentation de ces disparités à la suite de l’arrivée au pouvoir du gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni en Italie: «De manière générale, on a un backlash dans toute la Suisse avec l’UDC qui prépare son plan d’action contre le “wokisme”. Mais c’est particulièrement compliqué près de la frontière italienne», résume-t-il, craignant une contamination des idées réactionnaires.
Remontées de terrain
Dans cette atmosphère d’incertitude, la situation vaudoise est d’autant plus saluée par les associations. De fait, le Canton a présenté le 17 mai 2021 un plan d’action ambitieux visant à protéger les personnes LGBTIQ à l’école, qu’il s’agisse des élèves ou des parents queer. Pour construire ce projet, Dre Caroline Dayer, déléguée cantonale historiquement engagée sur ces thématiques, s’est rendue sur le terrain: «Ce document est le fruit de multiples collaborations. Il se base sur les besoins et demandes récurrentes du terrain, comme les établissements scolaires, les élèves, les parents, sur la littérature scientifique locale et internationale, ainsi que sur des cadres légaux. Il se fonde enfin sur les apports de la plateforme cantonale relative aux lieux de formation que je coordonne et qui rassemble les différents partenaires actifs sur cette thématique». Ces ressources ont été complétées par des entretiens de recherche auprès de différents acteurs de la scolarité obligatoire et postobligatoire du canton, d’après la déléguée, qui insiste sur le caractère «participatif» de la démarche.
Au coeur des problématiques portées par cette feuille de route, trois mots-clés: «violences, silence et reconnaissance», liste Dre Dayer, «afin de répondre au fait que les personnes concernées présentent davantage de facteurs de risque et moins de facteurs de protection, qu’elles manquent de supports de visibilité et de reconnaissance». Concrètement, dix mesures sont mises en avant, parmi lesquelles la nomination d’une personne référente dans chaque établissement, formée à prévenir les violences LGBTIQphobes, ou encore une grille d’action pour apprendre à réagir face aux discriminations.
Plus de deux ans après le début de la mise en œuvre du plan d’actions, la plupart des problématiques principales des familles queer semblent avoir été résolues. La question de l’inclusion administrative en est un exemple: «Dans certains cantons, les discriminations commencent dès l’inscription. Pas mal de familles sont exclues parce que les formulaires mentionnent toujours «papa» et «maman». Sur Vaud, ce n’est plus le cas: ces mentions ont été remplacées par «parent 1» et «parent 2». Une fois les parents inscrits, la documentation mentionne directement les deux pères ou les deux mères», détaille Thomas Méchineau.
Besoin de formations
Mais l’enjeu principal du programme, c’est la nécessité de former le personnel scolaire, qui a émergé comme mesure fondamentale pour que les familles arc-en-ciel se sentent protégées et en sécurité. Dre Caroline Dayer explique: «Le besoin de formation est celui qui a été le plus relevé dans l’élaboration du plan d’action, donc plusieurs modalités ont été déployées en ce sens. La session de sensibilisation au sein de l’établissement est obligatoire pour l’ensemble du personnel, en référence au règlement d’application de la loi sur l’enseignement obligatoire. En fonction des écoles, elle peut se réaliser lors d’une conférence interactive plénière, dans le cadre d’une journée pédagogique ou d’un projet d’établissement». En parallèle de cette session obligatoire, le Canton propose une formation continue attestée du catalogue de la Haute école pédagogique du canton de Vaud, pouvant se dérouler en établissement ou par inscription individuelle. Les écoles qui le demandent peuvent enfin bénéficier de formations spécialisées, adaptées à leur contexte spécifique.
Malgré un engagement fort de la part des pouvoirs publics, l’association Familles arc-en-ciel insiste sur les différences entre écoles publiques et école privées, ces dernières étant libres de définir leur propre approche pédagogique. Thomas Méchineau rapporte: «L’association a été en contact avec un couple dont une des mamans est une femme trans, et les choses se sont très mal passées pour elle et son enfant. Dans mes propres cours, lorsque j’enseignais dans le privé, j’ai fait en sorte de mentionner régulièrement des familles arc-en-ciel, je modifiais les intitulés du matériel pédagogique pour qu’ils soient plus inclusifs… Malheureusement, dans le privé, il suffit d’une famille qui se plaint pour que l’administration réagisse mal. Dans mon cas, je n’ai pas du tout été soutenu dans ma démarche d’inclusivité, et j’ai fini par démissionner.»
L’importance capitale de la sphère associative prend tout son sens face à cette différence entre les régimes d’enseignement. Là où la formation cantonale obligatoire ne s’applique pas, ce sont les structures bénévoles qui prennent le relais. À cet égard, l’association Familles arc-en-ciel propose à chaque professionnel·le·x volontaire une mallette pédagogique, composée de livres et de jeux mettant à l’honneur les familles dans toute leur diversité. Une manière d’appuyer le travail des structures publiques et de rendre visible les modèles familiaux non hétéronormés.
Ces perspectives encourageantes ne signifient pas pour autant que le travail est terminé, même dans le canton de Vaud. «Cette dynamique pourrait être étendue pour travailler l’articulation avec les champs préscolaires, parascolaires et extrascolaires, ce qui est en train d’être actuellement examiné. Le travail pour garantir les droits des enfants et des jeunes dépasse le périmètre de l’école. Ces enjeux s’inscrivent dans une politique publique interdépartementale et transversale qui est en cours. Le programme de législature vaudois prévoit un plan cantonal pour prévenir et lutter contre les discriminations visant les personnes LGBTIQ dans l’administration et plus largement dans la société», appuie Dre Caroline Dayer. Avec un horizon à long terme pour les personnes concernées: «Que nos enfants intègrent profondément que leur famille a droit à la paix et à la tranquillité comme toutes les autres», conclut Laura*.