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«L’homophobie, c’est le standard dans le monde du foot»

«L’homophobie, c’est le standard dans le monde du foot»
Ouissem Belgacem (à dr.) en compagnie de Thomas Huwiler. Photo: Teo Nos

Ancien espoir du ballon rond français et l’un des rares footballeurs professionnels à avoir fait son coming out publiquement, Ouissem Belgacem était invité à Lausanne par Network. Rencontre avec un homme prêt à déplacer des montagnes pour un sport qu'il aime par-dessus tout. 

Nous sommes reçus dans les salons feutrés d’un grand hôtel lausannois en cette fin de journée estivale. Depuis plus de vingt ans, l’association Network – Gay Leadership organise des Club Dinners, ou l’occasion d’entendre une personalité LGBTIQ+ revenir sur son parcours personnel et professionnel. S’y sont succédé de grands noms: Claude Nobs, Pierre Bergé, Frédéric Mitterrand, Bertrand Delanoë ou encore Corine Mauch. 

Décor luxueux mais ambiance décontractée: on favorise le tutoiement, on sert des mains et les discussions abordent la politique, l’économie bien sûr mais aussi les vacances d’été qui se profilent. Pour cette première rencontre en terres vaudoises, Raphaël Hatem, responsable régional du Network, a proposé au Genevois Thomas Huwiler – triathlète professionnel – de modérer une discussion avec l’ancien footballeur Ouissem Belgacem. 

Sourire charmeur, barbe parfaitement taillée, tenue soignée et tutoiement de rigueur également alors que nous rencontrons Ouissem, 35 ans, avant sa prise de parole. Il revient avec franchise sur son parcours de vie qu’il a eu l’occasion de relater en détail dans son premier livre publié chez Fayard (et en poche chez Harpercollins France), Adieu ma honte, co-écrit avec Eléonore Gurrey. Véritable succès de librairie, le périple intime du Français a été adapté en série documentaire à voir sur Canal+ – et dont le premier épisode est disponible gratuitement sur YouTube

Brigade anti-gay

C’est le Sud de la France qui voit naître Ouissem. Issu d’une famille dont les parents sont tous deux originaires de Tunisie, il grandit dans une cité d’Aix-en-Provence. Seul garçon de la fratrie et cadet d’une famille de cinq enfants, il comprend très tôt qu’il devra être «le passeur de nom», alors que son père décède prématurément dans un accident de voiture. Très vite, le jeune Ouissem est repéré pour ses talents avec le ballon rond, mais des propos homophobes accompagnant dès ses débuts son expérience sportive le crispent. Il soupire: «C’est le standard dans le monde du football, de la part des équipes encadrantes aussi: “Ne jouez pas comme des pédés”, par exemple, sert à motiver l’équipe.» Instinctivement, il comprend l’enjeu et adopte un comportement de mâle alpha pour cacher ce qu’il ressent intimement. 

Alors qu’il est en sport-étude dans un centre de formation à Toulouse et qu’il aspire à une carrière pro, il va jusqu’à participer à des «brigades anti-gay» pour effrayer les hommes qui se rencontrent sur un lieu drague non loin de là. Lucide sur sa volonté d’alors d’être le plus éloigné possible de tout «soupçon d’homosexualité», il confie qu’il souhaiterait aujourd’hui rencontrer une de ses personnes pourchassée, afin de pouvoir s’excuser. 

Durant l’adolescence, cependant, Ouissem Belgacem est bien loin de cette rédemption-là et cherche absolument à ne plus éprouver d’attirance homosexuelle. «Ces pensées ne partent pas», confie-t-il aux différentes psychologues qu’il consulte, alors que dans sa tête, une équation simple tourne en boucle: footballeur = hétéro.

L’ombre de soi-même

Sur le plan professionnel, tout se passe pour le mieux pour le jeune espoir, qui passe son bac et est approché par l’équipe nationale de Tunisie pour les qualifications de la Coupe d’Afrique des Nations. «Moi qui suis décrit par mes proches comme quelqu’un de solaire, je n’étais que l’ombre de moi-même, je ressentais une grande solitude», se souvient-il. Sa carrière se poursuit aux USA, où il joue pour les Colorado Rapids de Denver. Trois continents, même constant: l’homophobie indéfectible. 

Ouissem Belgacem raccroche alors ses crampons et déménage à Londres. La capitale britannique l’accueil les bras ouverts: c’est l’endroit parfait pour mettre les compteurs à zéro. Il y reprend des études, rencontre une communauté LGBTIQ+ qui l’inspire sur certains aspects, même si celui qui dit se méfier de tous les communautarismes garde une certaine distance. 

Animé par un amour inconditionnel pour le football, il fonde une société pour accompagner les anciens professionnels du ballon rond dans leur reconversion. C’est un carton, mais ce milieu le renvoie à une forme de placard et, le jour où il rend publique son orientation sexuelle à travers son livre, le constat est amer: «Avec la société on perd 80% de la clientèle que l’on avait.» L’homophobie est pour le moins tenace dans le milieu. 

Le lion de la famille

Combattant, celui que son oncle a baptisé enfant «le lion de la famille» ne se décourage pas. Son engagement le fait gagner une place dans les rangs des militants (ultra-)visibles: plateaux télé, récompenses et interviews s’enchaînent. Ouissem devient le visage de la lutte contre l’homophobie dans le sport. «Je n’ai jamais eu de contact avec la Fédération française de football (FFF), se désole-t-il, mais j’ai pu travailler en Belgique, par exemple, ou avec certains clubs de formation de la future élite du ballon rond français.» Une fermeture des instances dirigeantes hexagonales qu’il déplore, alors qu’en 2019, Noël Le Graët, alors président de la FFF, déclare que les chants homophobes des supporters ne doivent pas interrompre les matches: «Considérer que le football est homophobe, c’est un peu fort de café», s’étrangle sur France Inter celui qui «ne veut pas être pris en otage sur l’homophobie». Pourtant, la réalité est là: immortalisés dans le reportage de Ouissem Belgacem, une horde de supporters chauffés à blancs hurlent lors d’un match: «Il faut tuer ces pédés de Montpellier.» Glaçant.

Côté vestiaire, l’ancien footballeur est très lucide: «Certains joueurs se cachent derrière l’islam pour expliquer leur homophobie. Une excuse bien peu applicable à Noël Le Graët», s’amuse-t-il, avant de reprendre: «Les jeunes espoirs sont les leaders d’opinion de demain. Si Mbappé se teint les cheveux en violet, demain, à Paris, vous avez un adolescent sur deux qui aura la même coupe que lui.» Alors, inlassablement, l’ancien espoir du foot français continue d’arpenter les centres de formation, là où il est invité, avec son énergie solaire, son parcours pro impressionnant et sa volonté d’éducation, parce qu’«éduquer, c’est répéter encore et encore». Une volonté inépuisable qui émane d’un homme luttant ardemment pour que le sport national de tant de pays à travers le monde se positionne avec fermeté contre une homophobie aujourd’hui encore si ordinaire. 

Adieu ma honte, 187 pages
Édition poche chez Harpercollins France

Adieu ma honte
Série en 4 épisodes sur Canal+
Premier épisode disponible gratuitement sur YouTube