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«La foi, c’est une chose à soi, et personne ne peut nous l’enlever»

«La foi, c’est une chose à soi, et personne ne peut nous l’enlever»

Les institutions religieuses ne sont pas bien vues dans les milieux queer, traumatisés par la somme de violences que ces premières leur ont infligées. La spiritualité est-elle compatible avec les identités LGBTIQ+? Rencontre avec quatre personnes queer qui se sont réconciliées avec leur foi. 

C’est un affrontement politique qui dure depuis plusieurs décennies entre les institutions religieuses et les communautés LGBTIQ+. Dans nos contrées, lors des débats au sujet du mariage pour tous·tes·x, la Conférence des évêques suisses avait exprimé son alignement sur la doctrine du Vatican en choisissant de s’opposer à l’ouverture de ce droit, invoquant l’intérêt supérieur de l’enfant et la complémentarité entre les hommes et les femmes. Depuis, l’autorité pontificale multiplie les prises de positions contradictoires: en 2019, le Vatican publiait un texte intitulé Il les créa homme et femme, visant à lutter contre ce qu’il appelle la «théorie du genre». En 2022, le Pape François recevait un groupe de personnes trans* et appelait à leur accueil dans les communautés. Il déclarait en janvier que «l’homosexualité [n’était] pas un crime mais un péché». Le traitement des personnes LGBTIQ+ au sein de l’institution catholique demeure marqué par les traumatismes, comme le racontent Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre dans le livre-enquête Dieu est amour (Flammarion, 2019), une infiltration au sein de groupes traditionalistes pratiquant les thérapies de conversion sur les personnes concernées. Un positionnement ambivalent qui se retrouve dans les trois grands monothéismes, actant pour beaucoup la rupture entre leur pratique spirituelle et leur identité queer. 

Il n’est pas forcément plus simple d’être une personnes religieuse au sein des communautés queer. «L’islamophobie y est éloquente», explique Jamal, créateur de Jins Podcast, qui raconte les sexualités des personnes queer arabes et/ou musulmanes. «Elle vient de la fétichisation sexuelle, mais aussi des préjugés qu’on peut avoir sur la sexualité d’une personne qui porte le foulard, sur le fait que les hommes musulmans sont forcément actifs… Il y a aussi des dynamiques homonationalistes, selon lesquelles il n’y a qu’une seule manière d’être gai ou trans* selon des critères définis par l’Occident: il faut faire son coming-out, se libérer sexuellement, sans compter que l’islam est forcément associé à la répression des identités queer. Chez les personnes queer, comme partout, il y a des votants d’extrême-droite», déroule-t-il. 

Astrid de Chassey, membre de la collective québécoise féministe catholique Oh My Goddess!, raconte pour sa part: «Dans les communautés militantes, il y a un discrédit assez généralisé envers le catholicisme. Quand je parle de la collective, il m’est plus facile de revendiquer notre féminisme que notre catholicisme, car celui-ci est souvent utilisé à des fins identitaires par des personnes dont on ne partage pas du tout la position. Mais en même temps, on n’a pas envie de leur abandonner des termes qui importent.» Un malaise généralisé qui s’explique aisément pour Adrian Stiefel, fondateur de l’Antenne LGBTI Genève, à la fois bureau cantonal de l’Église protestante de Genève pour les questions LGBTIQ+ et association de prévention de l’homophobie et de la transphobie dans les milieux religieux: «Eu égard aux discriminations dont les autorités religieuses se sont rendues coupables, il y a souvent un rejet épidermique de la spiritualité institutionnalisée.» Pourtant, il insiste: «En tant que personnes queer, on a droit à la spiritualité qui nous convient. Vivre une spiritualité n’est pas un devoir, mais c’est une question d’égalité des droits.» Adrian vient d’un milieu  évangélique fondamentaliste qui condamne l’homosexualité. «Je me suis battu toute ma jeunesse contre mes désirs. Je suis passé par les prétendues thérapies de conversion. À 24 ans, j’ai vécu une rupture complète avec l’Église et avec mon passé. J’ai alors assumé mon homosexualité. Il m’a fallu faire un chemin de près de quinze ans pour me réconcilier avec la foi», détaille-t-il. 

Des ponts entre identité religieuse et

queerness

De fait, malgré les violences infligées aux personnes queer dans leur communauté religieuse et la méfiance des communautés LGBTIQ+ à l’égard des instutitions, de nombreuses personnalités et initiatives émergent afin de recréer des ponts jusqu’alors brisés entre identité religieuse et queerness. Cela passe parfois par l’investissement de positions clés au sein des institutions. C’est la voie qu’a emprunté Josué Ferreira, rabbin trans* exerçant dans une synagogue de Montpellier et enseignant à l’École rabbinique de Paris. Affilié au mouvement du judaïsme libéral, il a à coeur d’investir l’accueil des personnes queer au sein de sa synagogue, en «les recevant sans distinction» et en laissant ouverte la possibilité de «parler de problématiques relatives à leur identité LGBTIQ+». Josué Ferreira intervient également dans des associations juives de personnes concernées pour «faire des sessions d’étude sur la Torah centrées sur des thématiques LGBTIQ+». Dans cette perspective, les personnes LGBTIQ+ s’emparent progressivement des espaces religieux afin de reprendre la place qui leur a été arrachée.  

L’antenne LGBTI de l’Église protestante de Genève en est un autre bon exemple, la structure organisant «deux rencontres mensuelles, un échange thématique pour parler d’un sujet lié aux identités LGBTIQ+ et à la spiritualité et une rencontre plus récréative pour que les personnes de la communauté puissent se retrouver». L’antenne propose par ailleurs une ligne téléphonique d’entraide pour les personnes qui ont besoin d’être écoutées. 

Tous insistent sur une dimension centrale de la réappropriation du fait religieux lorsqu’on est queer: la relecture des textes sous un prisme critique qui ne condamne pas leur existence. C’est ce qu’explique Jamal, prenant l’exemple de l’histoire du peuple de Lot, racontée dans le Coran: «Environ 70 fois y est mentionnée la question de ce que tout le monde a appelé homosexualité. Mais ce terme en tant que tel n’existe pas dans le Coran. L’enjeu moral soulevé dans le récit du peuple de Lot, c’est le péché de la violation. Au lieu de ramener l’accusation au refus de l’hospitalité aux jeunes étrangers, au brigandage, on a accusé l’homosexualité». Jamal évoque par ailleurs des études qu’il a menées avec des imams queer et/ou progressistes, mettant en lumière la présence dans le texte de figures qu’on considérerait aujourd’hui comme des femmes trans*, les mukhannathun, et comme des hommes trans*, les moustarjilate. Josué Ferreira abonde en ce sens: «Les personnes queer ont parfois entendu toute leur enfance des discours homophobes ou transphobes justifiés par la lecture de textes religieux. En les réinterprétant différemment, ces arguments peuvent être démontés facilement. On peut avoir une spiritualité et une autre approche des textes. Ce n’est pas incompatible».

C’est aussi le travail que propose la collective Oh My Goddess!, lequel multiplie les initiatives: le podcast Bonne Nouv·elle, qui relit les Évangiles sous un prisme féministe, des traductions modernes de textes religieux pour «donner des choses nouvelles à entendre», et enfin un livre, Dieu·e (Éditions de l’Atelier, 2023), qui invite à repenser le féminisme à la lumière des questions de genre. Astrid de Chassey en est certaine: se réapproprier le message religieux, c’est déjà lutter. «Je pense à mon prof de philosophie fétiche à la faculté jésuite de Paris. Selon lui, l’Église catholique existerait pour transmettre quelque chose qu’elle n’a pas compris. Quand je lui ai demandé ce que ça commandait comme rapport à l’Église, il a répondu: de la transgression».

Remettre l’intime au cœur du débat

Progressivement, les ponts se créent et les mains se tendent. «Au début, je ressentais beaucoup de méfiance, se souvient Adrian Stiefel. Du côté de l’Église, on me voyait comme un militant gai qui venait faire du lobbying au sein de l’Église, avec tous les stéréotypes que ça suscite, et de l’autre côté, le secteur associatif craignait une volonté prosélyte de ramener des personnes LGBTIQ+ à l’Église. D’un côté comme de l’autre, cette méfiance s’est levée avec le temps, cela s’est fait au fil des collaborations, en apprenant à se faire confiance.». Astrid de Chassey, quant à elle, insiste sur l’hétérogénéité des mouvements catholiques et sur la revalorisation d’autres points de vue, lesquels sont la preuve d’«une tradition vivante et complexe», s’incarnant aussi dans des «écoles catholiques plus progressistes et plus à l’aise avec les avancées contemporaines sur les questions de genre et de sexualité».

Finalement, tous·tes·x s’accordent sur une chose: l’importance de remettre la question du sens et de l’intime au cœur du débat afin de pouvoir réconcilier les deux facettes de son identité. «La question de la foi, c’est avant tout celle du sens. La théologie, c’est l’étude du sens de la vie!» défend Astrid de Chassey. Jamal la rejoint: «L’identité, c’est comme la foi, c’est une chose à soi. On ne peut pas nous l’enlever. Il n’y a pas de Monsieur Islam qui peut définir ce qu’est pour moi la religion.» Sans attendre ni les changements de mentalité ni l’inclusion effective des personnes LGBTIQ+ dans les lieux de culte et dans les textes saints, la révolution religieuse queer est déjà en marche.