Identités à large spectre
En tant qu’une des ambassadrices de la non-binarité en Suisse romande, l'association Ekivock fête ses trois ans. Rencontre avec trois de ses fondateur·ice·x·s.
Derrière les rubalises, la gare et ses commerces ferment avec une certaine agitation policière: des supporters de foot vont passer par ici. Impression un peu surréaliste de se retrouver dans le café, au calme, au milieu des tintements de verres. C’est là que je retrouve Liam et Mael, puis Raphaëlle, membres du comité d’Ekivock. Mael raconte la genèse de cette jeune association non binaire de Suisse romande, à commencer par la première rencontre, fin août 2020. Liam se souvient de la découverte d’une atmosphère bienveillante. Il s’était senti immédiatement très à l’aise: «Il n’y avait rien, la visibilité des personnes non binaires était quelque chose de nouveau. Le fait qu’il y ait ce type d’événement public m’a donné l’envie de pousser ce genre d’action.»
Pour Raphaëlle, la participation à Ekivock s’est enchaînée avec son parcours de transition. «Certaines personnes ont parfois de la peine à comprendre que je sois une personne non binaire, en dépit de mon pronom (elle), de mon parcours médicalisé MtF et du fait que j’affiche largement du féminin. Le spectre de cette non-binarité est tellement vaste dans les différentes identités qu’on peut y trouver, qu’effectivement, on peut afficher et se ressentir majoritairement dans le féminin mais quand même être non binaire. Mon féminin a été emmuré en moi pendant 45 ans, je pense qu’il a largement besoin d’être là. Peut-être que quand il aura suffisamment vécu au grand jour, il va se tempérer un petit peu… Peut-être qu’à 90 ans je me retrouverai un peu plus au milieu, je n’en sais rien. J’ai cette porte ouverte là.» Petit moment de flottement, je remarque qu’une lointaine musique eighties enveloppe nos voix. Se laisser une porte ouverte. Des mots qui résonnent en moi, qui me suis identifié très longtemps comme personne non binaire pour ensuite transitionner vers le genre masculin.
Invitation au Palais fédéral
Fédérer un groupe au temps du Covid n’a pas été chose facile, il a fallu faire quelques réunions à distance et même une «visio-clette», mais cela n’a pas influé sur l’envie de continuer l’aventure associative. Les groupes de parole ont vu le jour, puis des conférences et des événements, souvent à l’invitation de groupes désireux d’en savoir plus sur la non-binarité. En avril dernier, Ekivock a été invité au Palais fédéral pour intervenir lors d’une séance de la Commission des affaires juridiques du Conseil national consacrée à la question d’un troisième genre ou à celle de la suppression du genre dans l’administration.
La majorité de la population n’étant pas très à jour quant aux questions de genre sortant du cadre binaire, Ekivock s’attache surtout – pour l’instant – à sensibiliser, à informer et à créer une place dans l’espace public autour de la non-binarité. C’est dans cet esprit que l’association a créé (dans le cadre du festival Spielact à Genève) un jeu de plateau qui a rencontré un certain succès, Bon chic bon genre. Au fil d’une centaine de cartes interactives, les joueur·se·x·s font face à des situations réelles, comme «Ton binder est trop serré, passe un tour pour respirer», iels doivent énoncer un maximum d’identités de genre ou encore faire deviner en mimant la pratique du tucking. Ekivock fabrique également à la main des pin’s pronoms et accords qu’elle distribue lors de ses activités. Raphaëlle, qui est aussi responsable de Transgender Network (TGNS) en Suisse romande, soutient la thèse d’un équilibre entre les groupes activistes et les groupes plus «tempérés», permettant de concilier les courants revendicatifs et ceux plus conservateurs de la société.
«La majeure partie de la population est discriminée sur son physique, son genre, son orientation sexuelle, etc. rappelle Raphaëlle. Si seulement toutes ces personnes pouvaient se mettre ensemble et dire ”OK, ça marche plus, il faut changer quelque chose”, cela donnerait un impact et un changement beaucoup important que lorsque chaque domaine précis revendique sa propre discrimination.» Mael a une jolie formule pour résumer cette idée de collaboration: nous sommes tous·tes·x un ensemble de «mille et une pattes». J’aime cette analogie qui fait référence à notre multiplicité et notre puissance collective. Notre rencontre prend fin sur quelques échanges de références de films. Les sons qui nous ont entouré·e·x·s durant ces quelques heures ne sont plus qu’une fine rumeur dans cette gare où le flux des voyageur·se·x·s a repris.
À Genève, l’association Trajectoires non-binaires propose également des moments de rencontres et de soutien en mixité choisie. Plus d’infos sur Instagram: @trajectoires_non_binaires