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Nadine Huong, Nelly Mousset-Vos © Auto Images

Dans la programmation du Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève, une perle: «Nelly et Nadine», qui retrace l'histoire d'amour de deux femmes dans l'enfer des camps de concentration. Rencontre avec son réalisateur, Magnus Gertten.

– Comment est né ce film?
– C’est une longue histoire. Tout a commencé quand je suis tombé sur ces images d’archives tournées en avril 1945 au port de Malmö, la ville où je vis. Elles montrent les survivantes des camps de concentration de femmes qui ont été libérées par la Croix rouge suédoise, à leur descente du ferry. Ce sont leurs tout premiers pas en tant que femmes à nouveau libres. Ce film avait été montré à l’époque aux actualités suédoises, dans les cinémas et les théâtres. Ce qui est extraordinaire sur cette brève séquence vidéo, contrairement aux autres images de la libération des camps, c’est que celui qui les a tourné s’attarde sur les visages. Celui de Nadine apparaît dans le film. Elle vient d’être libérée du camp de Ravensbrück. Elle porte l’uniforme rayé des prisonnières, une écharpe blanche à son cou, et fixe l’objectif d’un regard ambigu. Elle est énigmatique, et elle a l’air cool. Quand j’ai découvert ce film je me suis demandé qui étaient toutes ces personnes, j’ai voulu mettre un nom sur ces visages. De cette quête, qui a duré plusieurs années, est notamment né mon documentaire Every face has a name, sorti en 2015. C’est lors de la tournée du film que j’ai été contacté par Sylvie, la petite-fille de Nelly. Elle avait reconnu Nadine, la femme avec qui sa grand-mère partageait sa vie. Même si j’avais décidé de ne plus travailler sur la Seconde Guerre mondiale, j’ai senti qu’il y avait là un grand sujet.

Nadine Hwang
Nadine Hwang © Gustaf Boge / Auto Images

– Pour celleux qui n’ont pas encore vu le film, qui était Nadine?
– Nadine était la fille de l’ambassadeur de Chine en Espagne. Elle a passé son enfance à Madrid, avant de rentrer en Chine avec sa famille. Elle faisait partie de la haute société chinoise. Dès le plus jeune âge, elle a refusé de jouer le rôle qu’on attendait d’elle, de rester dans l’ombre des hommes. Elle était passionnée de sport, conduisait des voitures. Elle parlait plusieurs langues et voyageait beaucoup. Elle devint colonel honoraire de l’armée chinoise, travailla pour un Premier ministre. Elle menait une vie privilégiée en Chine mais visiblement, quelque chose lui manquait là-bas, elle ne pouvait pas être entièrement elle-même au sein de la société chinoise. C’est pour cette raison qu’elle partit vivre à Paris en 1933. Elle fit très vite partie du salon littéraire de l’écrivaine lesbienne Natalie Clifford Barney, pour qui elle travailla et dont elle fut l’amante régulière pendant des années.

Nadine était une femme courageuse, à plusieurs niveaux, mais être lesbienne et l’assumer était sans doute la chose la plus courageuse qui soit à certains moments de sa vie.

– Pour quelle raison a-t-elle été déportée à Ravensbrück pendant la guerre?
– Nous savons qu’elle vivait à Biarritz sous l’Occupation et qu’elle était engagée dans la Résistance. Elle a notamment aidé des personnes à fuir vers l’Espagne via les Pyrénées. Mais la raison de son arrestation n’est pas claire. J’ai l’espoir que d’autres recherches seront menées sur la vie de Nadine dans le futur car depuis que mon film fait la tournée des festivals, le nom de Nadine Huong est devenu viral en Chine. C’est un personnage fascinant, mais je ne suis pas sûr que le fait qu’elle était lesbienne soit mis en avant dans les médias chinois. Mais je souhaiterais que cet aspect ne soit pas oublié. Nadine était une femme courageuse, à plusieurs niveaux, mais être lesbienne et l’assumer était sans doute la chose la plus courageuse qui soit à certains moments de sa vie.

– C’est au camp de concentration de femmes de Ravensbrück, au nord de l’Allemagne, que Nadine fait la connaissance de Nelly, à Noël 1944…
– Nelly était une cantatrice belge, et une agente secrète, membre du fameux réseau de résistant·e·s belges Luc-Marc. Comme elle voyageait beaucoup à travers le monde pour se produire, en particulier en France, elle servait de coursière. Le réseau a fini par être dénoncé, Nelly arrêtée pour espionnage et envoyée à Ravensbrück. Elle fait partie des rares résistant·e·s de ce réseau à avoir survécu.

– On a du mal à s’imaginer une histoire d’amour dans un camp de concentration, quand on sait que les prisonnières n’avaient aucune intimité, vivaient dans le froid et la faim, sous une surveillance accrue…
– Je pense qu’il y a eu beaucoup d’histoires d’amour dans les camps. C’était aussi une façon de survivre. On sait que Nadine disposait d’un couchage individuel. Elles ont sûrement dû avoir des moments d’intimité. Dans l’un de ses journaux intimes de l’époque, écrit au camp de Mauthausen, Nelly se demandait comment les gens pouvaient bien vivre sans connaître l’amour et ce sentiment d’embrasser une autre personne.

Sylvie Bianchi
Sylvie Bianchi © Caroline Troedsson / Auto Images

– Après la guerre, les deux femmes se sont retrouvées et sont parties vivre ensemble en Amérique du Sud, loin des horreurs de la guerre. Sylvie, la petite-fille de Nelly, que vous accompagnez dans votre film dans ses recherches sur le passé de sa grand-mère, dit ne pas savoir que les deux femmes, qui ont vécu ensemble toute leur vie, formaient un couple. Cela ne vous a-t-il pas surpris?
– Non, pas vraiment, car elle était enfant à cette époque. Et elle se souvient que chacune avait sa propre chambre. Elle s’est posée quelques questions à l’adolescence, mais étant donné que personne n’en parlait dans sa famille, cela est resté en suspens. C’était un secret de famille lié à l’Holocauste. Tant qu’on en parlait pas, c’était comme si cette réalité n’existait pas.

Nelly et Nadine, en VOD jusqu’au 20 mars sur le site du Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève (FIFDH): fifdh.org