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«Je préfère demander pardon que la permission»

«Je préfère demander pardon que la permission»
Rossy de Palma dans La Ley del Deseo (1987)

Ce n’est pas parce qu’elle a 57 ans que Rossy De Palma ne joue plus au chat et à la souris. L’actrice gère elle-même son agenda très chargé. À l’affiche du nouvel Almodóvar «Mères parallèles», l’artiste aux multiples facettes partage avec nous sa bonne humeur légendaire.

Quand on évoque Rossy de Palma, on s’imagine une star internationale, entourée d’attaché·e·s de presse et d’agent·e·s. Détrompez-vous, la muse de Jean-Paul Gaultier gère tout elle-même: de son agenda aux derniers shootings photos susceptibles de faire la couverture. Un fait suffisamment rare dans le monde du cinéma pour être souligné. Pour la contacter, El Deseo, la société de production d’Almodóvar nous a directement envoyé son numéro de téléphone. Dans nos conversations avec l’artiste, les différents messages audios pour la couverture s’enchaînent. Il faut dire que Rossy de Palma soigne scrupuleusement son image. Les conversations sont ponctuées de «gros bisous» et de divers émoticônes. Une fois la couverture validée, condition sine qua non pour l’interview, la Majorquine nous a accordé un quart d’heure qui s’est finalement prolongé. Au total, 40 minutes d’interview où l’actrice est revenue sur sa carrière. Avant de terminer l’appel, «la chica Almodóvar» prend le temps de nous poser des questions et demande à prendre une photo avant de… l’envoyer sur notre groupe WhatsApp, en souvenir. Une chose est sûre, on se souviendra de la bienveillance et de la chaleur de la diva de Palma.

Mères parallèles, c’est votre retour avec le cinéma de Pedro Almodóvar. Le dernier film avec lui, c’était Julieta en 2016… Quelle est votre relation à Almodóvar?
Avec Pedro, on a toujours été lié·e·s. C’est une relation presque familiale. J’adore travailler avec lui. C’est un génie. Lui et moi, on a la même façon de chercher la vérité dans un personnage. Pour moi, le cinéma est un mensonge qui sert à raconter une vérité. C’est ça qui m’intéresse. Le cinéma est une thérapie qui me permet de rentrer en empathie avec des personnages.
 
Vous rencontrez Almodóvar dans les années 1980. Pensiez-vous à l’époque que cette rencontre allait changer votre vie?
Je travaillais dans un bar où il venait souvent avec des ami·e·s. Il était déjà très connu dans le milieu underground. Moi, j’étais déjà une artiste: je jouais avec mon groupe de musique Peor Imposible. Il venait souvent à nos concerts. On s’est admiré·e·s mutuellement. La Loi du désir a été mon premier rôle avec lui. Pedro avait demandé à ce que je ne sois ni maquillée, ni coiffée, ni habillée par les équipes de tournage: il me voulait au naturel. J’avais 20 ans. Il souhaitait capturer cette plastique que j’avais à l’époque. De fait, l’interprétation du personnage a été facile pour moi. Ça lui a beaucoup plu. Il a ensuite écrit le rôle dans Femmes au bord de la crise de nerfs spécialement pour moi. 
 
Dans Kika, vous jouez Juana, une femme de ménage lesbienne. Dans Attache-moi, une dealeuse vengeresse. Dans Mères parallèles, la meilleure amie de Janis, le personnage principal. Votre spectre de personnages est très large. Y a-t-il un point commun à tous ces rôles?
Pour moi, ce sont des rôles très différents. Je suis une interprète. Je travaille à chaque fois avec beaucoup d’humanité et d’énergie. J’ai toujours été très vraie. Cela rend selon moi le personnage beaucoup plus réel. Je n’ai pas de stratégie. Je n’aime pas ça. Je me sens un peu comme Tilda Swinton. Je ne me définis pas comme actrice: je suis une artiste qui fait de la comédie, comme parfois je peux écrire un poème, faire une sculpture ou écrire une chanson. Je suis touche-à-tout.
 
Vous dites souvent qu’être actrice, c’est disparaître…
Je vis l’interprétation d’un personnage comme une espèce de possession. Je lui prête mon corps, mon regard, ma voix… Iel m’envahit. À chaque fois, je fais le vide. Je mets de côté l’ego, la vanité et les apriori. Je suis très taoïste.
 
Votre physique vous a-t-il permis d’avoir un tournant dans votre carrière?
Mon nez, ça a surtout été un bouclier. Il ne m’a jamais complexée, mais m’a au contraire permis de m’enrichir. C’est plutôt la réaction, parfois ingrate, des autres qui m’a dérangée. Pourquoi faire culpabiliser quelqu’un·e pour quelque chose qu’iel n’a pas choisi? Je dis souvent que c’est mon ADN basque et que mon nez a pris l’indépendance de mon visage (rires).
 
J’ai vu Mères parallèles à Madrid. Lors de votre apparition, dans la salle, il y a eu quelque chose de spécial. Les spectateur·rice·x·s étaient content·e·x·s de vous retrouver. Êtes-vous consciente de l’affection de votre public?
Dans la rue, que ce soit à Paris ou à Madrid, les gens sont tellement chaleureu·x·ses avec moi. Je reçois beaucoup d’amour. C’est très touchant. Si la célébrité permet d’être très aimée, on se demande parfois si c’est sincère. Dernièrement, une personne m’a dit: «Tu sais Rossy, je ne te connaissais pas, mais ta personne et tes personnages sont très proches. Il n’y a pas de décalage. Quand les gens disent qu’iels t’aiment, iels t’aiment vraiment toi». J’aime recevoir l’amour de mon public. Il y a un échange très fort entre elleux et moi. Rendre les personnes heureuses, c’est ce qui m’attache à ce métier. Quand un·e chauffeur·se de taxi me dit que je lui ai donné la pêche, ou que je l’ai fait rire, j’adore. Je crois que je préfère être considérée comme quelqu’un·e·x qui donne chaud au cœur que comme la meilleure comédienne du monde. 
 
Dans le cinéma, beaucoup d’actrices ont peur de vieillir, d’être mises de côté. Quel est votre rapport à la vieillesse?
Je n’ai pas peur de vieillir. Ce que j’aimerais beaucoup dans les prochaines années, c’est avoir une liberté totale de choix. Je commence à me le permettre. Je veux faire les choses que j’aime car j’en ai envie. J’aimerais pouvoir me dédier à l’écriture, à la musique, à d’autres domaines artistiques que je trouverais plus intéressants à ce moment-là. Dans le monologue d’une pièce de théâtre que j’ai écrite récemment, il y a un moment où je mets un voile et je dis: «Le visage, c’est un vampire, il veut toute l’attention pour lui. Les yeux veulent tout voir. Le nez veut tout sentir. La bouche veut tout dévorer.» Parfois, il y a des moments où il faut se couvrir pour être vraiment vu·e·x. Au fur et à mesure que je vieillis, je perds l’intérêt de me montrer.
 
Vous êtes aujourd’hui une icône intergénérationnelle qui a dépassé les frontières. Qu’est-ce que cela représente pour vous?
C’est comme si tu arrivais à une sorte de royauté. Tu n’as plus rien à démontrer. C’est très très satisfaisant. Je fais toujours la blague en espagnol d’être une icoño (ndlr: mélange entre icône et coño, terme familier pour dire vagin). Il faut regarder les choses avec humour. C’est vrai que c’est quelque chose dont je suis fière. Pour moi, l’art c’est quelque chose auquel il faut s’accrocher afin d’échapper à la réalité de la vie. Ce que j’aime aussi, c’est que l’art n’a ni religion, ni frontière, ni genre. C’est un univers que j’adore. En étant une icône, tout t’appartient et en même temps, rien.
 
Justement, quels sont les avantages? 
Ce qui est génial, c’est qu’en étant une icône, on n’a pas d’âge (rires). Inspirer d’autres artistes à ton tour, c’est super. C’est ça le vrai échange d’un·e artiste. Se dire que l’on a pu inspirer beaucoup de gens tout en s’inspirant soi-même d’elleux. Il y a vraiment un pouvoir thérapeutique à cela. Toutes tes influences te permettent de créer, et ces créations vont elles-mêmes en inspirer d’autres.
 
Être une icône, est-ce quelque chose de réducteur selon vous?
Non. Si tu ne te réduis pas, personne ne peut te réduire. Tout dépend de toi.
 
Devenir une icône, c’est quelque chose que vous avez cherché? 
Pas vraiment. À l’époque, ce n’était pas la même dynamique. C’était génial. Il n’y avait pas de réseaux sociaux. Il n’y avait pas cette folie de vouloir avoir du succès ou de l’argent. On n’avait pas un sou, mais on ne pouvait pas s’empêcher de faire ce que l’on faisait. C’était plus fort que nous. On exprimait notre créativité. Je ne suis ni carriériste ni stratégique. Ça a été mon parcours de vie. Je ne peux pas me plaindre. J’ai eu des rencontres richissimes dans ma vie tant au niveau personnel qu’artistique.
 
Tu parles de ça tout en donnant l’impression de rester une personne très normale, très accessible.
Je suis une vraie personne. Je suis très naturelle, très humaine dans ma vie. Je crois que c’est peut-être c’est ça mon meilleur talent. Il faut oser dans la vie. Je préfère demander pardon que la permission.
 
Modèle, actrice, designeuse aussi. Qui sont les autres Rossy?
Elles sont multiples: l’écrivaine, la danseuse … Elles attendent que la Rossy modèle ou actrice leur laisse plus de place. Elles attendent leur tour. J’espère avoir une longue vie pour faire sortir toutes ces Rossy et leur donner un petit moment à chacune. Pour moi, la poésie est la mère de tous les arts.
 
Vous êtes la muse de Jean-Paul Gaultier et de Pedro Almodóvar… Comment vivez-vous cette place?
J’ai beaucoup de tendresse pour eux deux. Ce sont mes amis. Je les adore et je les admire. Je suis fascinée par leur génialité. À travers ces amitiés très fortes, il y a un lien personnel unique. 
 
Ce sont deux figures punks de l’époque. Ils transgressaient certaines règles. Vous sentiez-vous complice à l’époque?
On faisait ça avec le sentiment d’être vrai·e·s·x. On n’avait pas l’envie de provoquer.  Juste d’être libres et de trouver notre propre liberté. C’est pour moi différent. Ni Jean-Paul Gaultier, ni Pedro Almodóvar ne sont des provocateurs à la base. Ce sont des personnes qui profitent de leur liberté pour s’exprimer et créer. D’autres personnes peuvent prendre cela comme de la provocation.
 
Vous êtes aujourd’hui très engagée auprès d’associations. Vous militez notamment pour le droit des enfants au Ghana. Quel est l’importance de vos engagements dans votre vie?
J’essaie de servir à quelque chose. Je me sens parfois impuissante. Depuis ma personne, je fais ce que je peux. Cela fait plus de 10 ans que je suis la marraine d’une association d’enfants au Ghana. On a fait plusieurs campagnes, notamment avec Louis Vuitton afin de récolter de l’argent. La fondatrice est une ancienne éditrice de mode qui a tout abandonné pour créer cette association. J’essaie de la soutenir du maximum que je peux. Mais c’est elle l’héroïne qui aide les enfants sur place. 
 
Vous êtes aussi engagée auprès de l’Open Arms, le bateau qui vient à la rescousse des migrants en mer…
On fait la misère aux personnes qui traversent la Méditerranée pour trouver du travail et avoir une vie meilleure. Iels laissent tout derrière eux et ne font pas ça par plaisir. Certains sont mort·e·s en mer. Je trouve cette hypocrisie occidentale malsaine. Je ne peux pas le supporter. On doit beaucoup à l’Afrique.
 
Quel est votre lien avec la communauté LGBTIQ+?
Je veux être une sœur, une tatie, une mamie, une maman, une cousine ou bien tout ça à la fois (rires). Bien que je me considère comme hétéro, je comprends et soutiens cette communauté. C’est quelque chose qui fait partie de mon ADN. On ne peut pas laisser l’autre nous culpabiliser. Finalement, cellui qui agresse, c’est cellui qui vit dans la peur de la différence.
 
Comme notre communauté, vous avez parfois été harcelée, notamment à l’école. Quel parallèle pourrais-tu faire avec notre communauté?
Cellui qui harcèle est cellui qui a un problème. Sa propre peur révèle des blocages internes. On ne peut pas culpabiliser quelqu’un·e pour ça. C’est comme avec mon nez. Je me suis dit que celleux à qui ça ne plaisait pas, c’était leur problème. Moi, je continue à vivre.
 
Pour terminer, quelle conclusion pourriez-vous tirer de votre expérience?
Tout est éphémère. Cette pandémie m’a fait réaliser qu’il fallait prendre le temps de s’émerveiller, de célébrer tout ce qui avait été fait auparavant, que ce soit dans la mode, dans la musique, dans le cinéma. Certains projets auxquels j’ai participé sont devenus iconiques alors que sur le moment on ne se rendait même pas compte de ce que l’on faisait. On était dans une espèce de frénésie de vie, à toujours penser au futur immédiat. Aujourd’hui, je veux valoriser et mettre en valeur ce qui s’est déjà fait avant. C’est cela qui m’intéresse désormais.