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«Tiger King», redneck et queer à la fois

«Tiger King», redneck et queer à la fois

La minisérie de Netflix, qui suit la déchéance de Joe Exotic, flamboyant patron gay de zoo, est aussi un surprenant portrait d'une Amérique profonde plus queer qu'il n'y paraît.

C’est actuellement un des shows les plus captivants parmi les nouveautés des plateformes de streaming. «Tiger King» («Au royaume des tigres» en français) nous balance au milieu d’une cage où s’entre-déchirent des éleveurs de fauves et d’autres personnages louches partageant un goût pour les très mignons et très lucratifs câlins de bébés tigres.

En vedette: Joe «Exotic» Maldonado-Passage né Schreibvogel, énergumène à coupe mulet et piercings, qui gère un parc animalier bordélique dans l’Oklahoma. Croisement entre John Wayne et Liberace, le quinquagénaire ne fait pas mystère de son homosexualité, assumée et flamboyante. Elle se décline dans sa garde-robe léopard, franges et paillettes, et par un certain côté fleur bleue à l’égard des garçons de son entourage. Sinon, Joe Exotic passe son temps avec sa collection d’armes, canardant ce qui lui passe sous la main, à vomir sur les défenseurs des animaux et à entretenir – dans des vidéos d’une violence inouïe – sa haine délirante d’une autre patronne de zoo, la «Mère Theresa des tigres» Carole Baskin.

Admiration
Malgré un écheveau de haines et de rancunes croisées sur fond de combines, trafics et coups tordus, l’homosexualité de Joe Exotic n’est pas attaquée ni tournée en dérision, elle semble même faire l’objet d’une certaine admiration de la part de ses très straight ennemis et des habitants du coin, comme lors des ahurissantes campagnes électorales menées par Joe Exotic pour la présidence des États-Unis, puis pour le poste de gouverneur de l’Oklahoma.

Peut-être l’homophobie a-t-elle été toilettée des interviews pour ménager les susceptibilités des abonnés de Netflix…? Mais ce serait étonnant, vu les propos trash tenus tout au long des sept épisodes. Aussi bizarre, kitsch et over the top qu’il soit, Joe Exotic aura longtemps inspiré l’adhésion, la crainte et le respect. On le mesure dans le regard des personnages secondaires, comme ses ex-employés ou l’une de ses belles-mères. Ils se prêtent sans broncher à des mises en scène insensées, par exemple des obsèques où Tiger King s’improvise pasteur et fait des blagues sur les couilles du défunt.

Paumés
Joe est aussi un romantique, et les spectateurs voient défiler ses trois derniers maris (dont deux en même temps), tous toxicomanes à des degrés divers. Car depuis l’ouverture de son zoo, Exotic récupère des paumés qu’il prend sous son aile – et parfois dans son lit. C’est ainsi qu’émergent d’autres figures LGBT, comme Josh, vendeur chez Walmart devenu directeur de ses campagnes électorales, ou Saff, jeune trans (d’ailleurs mégenré par la production de la série) amputé d’une main, deux des personnages les plus lucides et les plus attachants.

«Qu’est-ce qu’un mec gay comme moi peut faire dans un trou paumé comme l’Oklahoma?»

La question sexuelle n’est pas anecdotique dans «Tiger King», du pouvoir de séduction des bébés tigres exhibés dans les chambres d’hôtel de Vegas aux attitudes prédatrices de plusieurs protagonistes masculins, qui se vantent de posséder un harem. Les réalisateurs sont tentés de rapprocher ces comportements de celui de Joe Exotic avec ses jeunes maris. À la différence que Joe, lui, semble croire à l’amour: «Qu’est-ce qu’un mec gay comme moi peut faire dans un trou paumé comme l’Oklahoma?» Et il continue d’y croire quand ses hommes se mettent à courir les filles. Beaucoup de spectateurs LGBT ont d’ailleurs reproché à la série de gommer la bisexualité de ces derniers. «Ils ne sont pas gay», entend-on, comme pour souligner l’énième illusion dont se berce le héros.

Arche de Noé
S’il ne s’était pas proclamé roi des tigres, Joe Exotic se serait sans doute bien vu en Noé sur son arche, mais une arche pas très étanche, qui s’est mise à prendre l’eau. Le naufrage s’est produit devant de multiples caméras: celle de la minisérie d’Eric Goode et Rebecca Chaiklin, mais aussi celles des téléréalité, clips et propagande produits par la propre équipe audiovisuelle du zoo, donnant au spectateur un sentiment de vertige.

Il y a quelque chose de fascinant dans ces histoires d’utopie qui tournent mal (Netflix s’en est même fait une spécialité). Mais «Tiger King», au-delà du délire et de la tragédie, préserve de la tendresse pour son héros. «Il m’a montré l’amour et à quel point mon cœur était grand et combien je pouvais aimer», dit de lui Finlay, son bourrin édenté d’ex-mari, que l’on verra quelques épisodes plus tard faire effacer un tatouage «Propriété de Joe Exotic» sur son bas-ventre. La fin d’une époque: celle où l’amour (des hommes ou des animaux) pouvait encore sauver.

«Tiger King: Murder, Mayhem and Madness» sur Netflix