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Mischa Badasyan met Berlin à nu

Mischa Badasyan met Berlin à nu
Photo: Abdulsalam Ajaj

Depuis 2011, l’artiste russe Mischa Badasyan, basé à Berlin, explore le corps social et politique par la nudité, celle de son propre corps et de celui de ses modèles.

Pour Mischa Badasyan, c’est l’expérience collective qui crée des liens entre les personnes et leur environnement. Avec «Weil Ich Dich Liebe» («Parce que je t’aime»), un titre qui fait ironiquement écho au slogan des transports publics berlinois – «Weil wir dich lieben» («Parce que nous t’aimons») – Basayan invitait récemment des citoyens ordinaires à intervenir dans 16 stations de métro. «L’idée était d’explorer les modes de connexions entre les gens, comment est-ce que l’on se rencontre dans l’espace public? Quelles sont les frontières entre nous, êtres humains? Et comment jouer avec les limites fixées par les règles sociales?» dit-il. 

Après avoir tenté en vain durant six mois d’obtenir une autorisation des pouvoirs publics, il a finalement lancé un appel sur les réseaux sociaux, et décidé de travailler illégalement très tôt le matin avec les volontaires – généralement avant que les trains ne commencent à circuler.

L’expérience a donné lieu à une exposition au festival L’Art pour Elkaar, à Maastricht (Pays-Bas), au début du mois de janvier. Ce qui est frappant, c’est la façon dont la série met en lumière certains détails qui passent habituellement inaperçus. Un rai de lumière, les couleurs du mobilier urbain, les lignes de fuite, l’ordre géométrique très Bauhaus de certaines stations. L’autre objectif avoué du projet est de renforcer la confiance en soi, en son propre corps, voire dans certains cas de combattre une forme de dysmorphophobie. Selon Badasyan, l’un des bénévoles trans lui a déclaré que c’était la première fois qu’il se sentait à l’aise avec son corps. Sans être absolument révolutionnaire, le travail de Badasyan interroge notre relation au corps et à la nudité. Le corps nu, individuel ou collectif, est-il encore transgressif aujourd’hui? Et s’il provoque un malaise, sommes-nous gênés face à la nudité en tant que telle, ou face à certains corps en particulier?

Photo: Abdulsalam Ajaj

– Vous déclarez que votre travail est influencé par le mouvement du body positive, qu’est-ce que cela signifie pour vous?
– Pour moi le body positive est une manière d’appréhender le corps dans ses mouvements, dans ses déplacements, mais aussi lorsque les corps se rencontrent… Lors de mes performances, surtout quand je réunis beaucoup de personnes, je veux que les participants gagnent en confiance dans leur identité corporelle, et je leur demande toujours de l’utiliser pour ce qu’elle est. Mais je trouve que l’appellation «body positive» est assez critiquable et, pour ma part, je préfère parler de «body reality». Je trouve que «body reality» est un terme qui permet vraiment d’exprimer le fait d’être dans l’acceptation de soi, et d’éviter d’être uniquement dans l’idéalisation d’un corps en perpétuel devenir. Il y a d’abord le corps tel qu’il est, ici et maintenant. Ensuite chacun est libre de faire un travail pour le modifier comme il le désire.

– Et vous, quel est votre rapport à votre corps?
– Je ne peux pas dire aujourd’hui que je suis en complète harmonie et que j’aime mon corps, mais depuis que j’ai décidé de performer nu, je me sens de mieux en mieux. En ce moment l’un de mes challenges est de perdre mon ventre, et j’ai entamé un travail photographique de longue haleine autour de ça. C’est un work-in-progress qui s’intitule «Belly». J’ai commencé le 1er septembre 2018, et depuis, chaque jour je fais une photo de mon ventre pour voir comment il évolue. Avec cette performance, je voudrais dire adieu à cette partie de mon corps, c’est un peu comme un processus de deuil, et de renaissance bien sûr. Je veux aussi montrer qu’il est possible de changer tout en étant dans l’acceptation de ce que l’on est.

Photo: Abdulsalam Ajaj

– Avez-vous d’autres projets en cours?
– Oui, et je reste très inspiré par Berlin, parce que cette ville exerce une attraction terrible sur l’artiste que je suis. Mon travail performatif me permet de sublimer la violence urbaine à travers la poésie de l’action, mais ce qui se passe à Berlin en ce moment est vraiment très dur. Donc cet été, je vais tourner «Naked Berlin», un film qui sera dans la continuation du projet dans le métro, «Weil Ich Dich Liebe». Avec ce film, j’ai envie de montrer Berlin au-delà des clichés touristiques et de sa réputation de ville «cool». Parce que sous couvert de liberté sexuelle et de drogues dites récréatives, Berlin est surtout une ville-monde avec tout ce que ça comporte de violence psychologique et de destruction sociale. Donc je voudrais parler de la face cachée de Berlin, une face cachée bien réelle, qui révèle une solitude extrême… Par ailleurs, je prépare aussi la publication d’un livre sur l’ensemble de mon travail de recherche, qui s’intitulera «Touch».

» mischabadasyan.com