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L’art discret du vieillir lesbien

L’art discret du vieillir lesbien
Ravi Patel/Unsplash

En Suisse romande, plusieurs groupes et associations se penchent sur le vécu des lesbiennes de plus de 50 ans et leurs besoins. Tâche complexe tant les réalités sont diverses.

Dimanche ensoleillé à Vidy. Je tombe sur les pétillantes cinquantenaires Véro et Gaby et leur raconte que je rédige un article sur le «vieillir lesbien». Leur réaction ne se fait pas attendre: «Il faut des maisons de retraite pour les gougounes!». Elles expliquent qu’il est nécessaire de multiplier les structures sécurisantes, mixtes ou non, pour les lesbiennes plus âgées, afin que ces dernières puissent se projeter sereinement. Pour les deux acolytes, vieillir peut isoler les aîné·e·x·s, mais c’est aussi une libération vis-à-vis de certaines pressions sociales: «On se concentre un peu plus sur l’essentiel.»

Même jour, 18h, j’ai rendez-vous avec Chris Barthélémy, 67 ans, surnommée la «reine des Babayagas», du nom du groupe de lesbiennes seniors autogéré en non-mixité qui se réunit une fois par mois dans les locaux de l’Association 360 à Genève. Chris n’a jamais eu à cacher son homosexualité, que ce soit dans sa vie privée ou professionnelle. La fonction de direction qu’elle a assumée dans son travail l’a, selon elle, «protégée de la lesbophobie». Chris se sait privilégiée par rapport à d’autres Babayagas, qui ont vécu dans la peur de perdre leur emploi et leur logement si leur homosexualité venait à être connue, et qui préfèrent la taire encore aujourd’hui. D’où la nécessité, selon Chris, «de disposer d’une place où la sororité est au centre et où on peut être soi-même, échanger et s’entraider».

Marjorie Horta, responsable du projet Aîné·e·s à l’Association 360, précise que c’est cette «famille choisie» qui peut prendre le relais quand la famille biologique ne constitue pas une ressource. Une famille, rappelle-t-elle, «dont la plupart des membres ont dû se construire entre dépénalisation et pathologisation de l’homosexualité, à une époque où les femmes avaient peu de droits». Une famille, on l’oublie souvent, dans laquelle les lesbiennes ont aussi perdu des êtres chers pendant les années sida.

Le silence et le tabou

Sociologiquement, les personnes lesbiennes aînées forment un groupe très hétérogène, dont les âges, ressources (sociales et financières), intérêts et états de santé peuvent considérablement varier. D’où l’importance, pour Marjorie, d’offrir des activités variées et accessibles à la majorité de celles qui vivent des situations précaires. Certaines recherchent la non-mixité pour échapper au sexisme tandis que d’autres préfèrent être avec des personnes LGBTIQ+ plutôt qu’avec des femmes hétérosexuelles. Cependant, avoir une vue d’ensemble des besoins et des difficultés rencontrées par les lesbiennes aînées s’avère compliqué. Elsa Thétaz, animatrice régionale à Pro Senectute, relève «le silence et le tabou» auxquels elle se heurte sur le terrain. Marjorie, de son côté, souligne le manque de données, de témoignages et de ressources. Chris, quant à elle, pense qu’il manque des espaces intergénérationnels sécures. En raison de son âge, elle se sent, par exemple, «déplacée» dans les lieux festifs, alors qu’elle adore danser.

En matière d’accès aux soins et de santé, Marjorie observe, dans les quelques données à disposition, les mêmes tendances que pour les lesbiennes/VSV* plus jeunes: une certaine méfiance vis-à-vis du monde médical qui peut amener à prendre soin de soi plus tardivement, à une exposition élevée à différentes formes de violences lesbophobes, à une consommation importante de psychotropes, à des états anxieux et dépressifs, à des pensées suicidaires, voire à des tentatives de suicide. Ces tendances s’expliquent en partie par le «stress minoritaire». À l’âge peuvent s’ajouter une grande solitude, des maladies graves (dont nombre de cancers et pathologies dégénératives qui touchent les aîné·e·x·s) et des handicaps.

Si les enjeux restent de taille, les parcours des lesbiennes aînées témoignent cependant aussi de la force et de la résilience qu’elles ont su mobiliser pour exister et pour ​​écrire l’histoire du «génie lesbien» si cher à Alice Coffin. Pour Gaby et Véro, c’est ce «savoir-être qui est important» car il fait société et permet une transmission intergénérationnelle. Chris rappelle qu’il «ne faut rien lâcher et continuer à lutter», notamment car la transmission aux plus jeunes passe aussi par les actions et la mémoire liés aux combats menés pour l’égalité des droits.

* Personne ayant une vulve ayant des relations sexuelles avec d’autres personnes ayant une vulve