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Masque attaque!

Masque attaque!
Wild & Lethal Trash – Paradise Pleasure Productions AW95 © Ronald Stoops / Courtesy of Wereldmuseum

Accessoire mode et fétiche dont la pop raffole, le masque est le gage d’une réalité augmentée où tout est permis. Surtout les fantasmes les plus fous.

À la question «Password, Sir?», Bill Harford répond «Fidelio». Sous sa cape noire, le docteur enfile son masque doré loué pour l’occasion et pénètre dans le manoir. Il avance à pas feutrés, observant à travers la vision réduite de son camouflage la luxure immense qui s’offre à ses yeux. Mais le piège ne tarde pas à se refermer sur lui: incapable de donner le deuxième mot de passe, celui de la «maison», le maitre de cérémonie lui ordonne de dévoiler son vrai visage devant le cercle des membres masqués de la société secrète. Ce rituel, les inconditionnel·le·s de Stanley Kubrick l’auront deviné, est l’une des scènes clés – et accessoirement une des plus emblématiques – de son tout dernier film «Eyes Wide Shut» sorti en 1999.

La légende désigne l’inspiration du scénario au cinéaste par un bal masqué surréaliste donné par la baronne Marie-Hélène de Rothschild au Château de Ferrières le 12 décembre 1972. En Occident, du carnaval de Venise aux palais tapissés de velours rouge sang, le masque représente une porte d’entrée vers des contrées augmentées et sans limites. Un fantasme charnel que l’on prête aux élites tentant de tromper l’ennui dans des liturgies orgiaques. Un peu comme si, derrière un masque, tout était permis.

Cinquante nuances de SM
Parents proches des cinquante nuances de SM, la culture pop et la mode s’emparent régulièrement du masque pour donner du piquant à l’imagination collective. «Le masque interfère avec l’apparence d’une personne. C’est un objet très fort. Quand j’en utilise dans mes collections, je veux qu’ils dérangent, pour que d’un coup, les gens regardent quelque chose qu’ils ne comprennent pas, quelque chose de subversif»: le designer belge Walter Van Beirendonck a fait de l’accessoire la signature de son style exquisément hors norme.

Les silhouettes spectrales et hautes en couleurs de ses collections pour homme déploient un kaléidoscope de masques tantôt fun, fétiches, romantiques et maquillés. En toute logique, c’est à lui que le musée d’ethnographie Wereldmuseum de Rotterdam a fait appel pour la curation de son exposition «Power Mask» en 2018. En effet, qui d’autre pour tisser le lien entre les œuvres de Jean-Michel Basquiat, Cindy Sherman, Martin Margiela et des masques de la Papouasie-Nouvelle-Guinée? «Tout cela tourne autour de la manière qu’on a de raconter des histoires et d’utiliser notre imagination. C’est une conversation entre différents univers et tempéraments», révélait-il dans le magazine «I-D» au moment de l’exposition.

Gauche: ©Viktor&Rolf SS16 Haute Couture Courtesy of The Wereldmuseum. Droite: ©Maison Margiela Artisanal SS15, Courtesy of The Wereldmuseum

Surréalisme sulfureux
Pour accentuer le surréalisme de ses collections, Thom Browne ajoute volontiers une touche bestiaire à son vestiaire masculin. Masqués en lapin ou en éléphant, les modèles du designer new-yorkais se faufilent dans une ambiance cinématographique à la croisée des univers de Federico Fellini et David Lynch. Garant du grand frisson sur les podiums, le masque a également fait les belles heures de John Galliano chez Christian Dior, sa grande période. Celle où il jouait constamment avec le feu.

Oscillant entre les Incroyables et les Merveilleuses du Directoire et les cyber pirates, le génie du flamboyant designer anglais surfait sur la réappropriation historique par la «club culture» sous l’égide du sigle CD. Au même titre que l’éventail, le monocle ou l’épingle à nourrice empruntée aux punks, le masque fait partie intégrante de l’ère parisienne sulfureuse de Galliano. Toute une époque.

Caché pour faire parler de soi
Côté pop, sur scène ou sur papier glacé, les stars en mal de corser leur image misent elles aussi sur l’accessoire à l’aura scandaleuse. La plus souveraine et extravagante d’entre toutes, Grace Jones, a fait de son corps un monument. Rescapée fabuleuse des nuits new-yorkaises des années 80, la reine du disco le sait et s’en amuse: les designers sont à ses pieds et ses concurrentes ne lui arrivent pas à la cheville. Femme totem façonnée par Jean-Paul Goude au début de sa carrière, Miss Grace Jones sort rarement sans un masque sur mesure signé Stephen Jones ou Philipp Treacy, les deux modistes britanniques les plus sensationnels de ces dernières décennies.

Dans un registre plus artistique mais non moins fabuleux, Björk ne montre plus son visage depuis plus de dix ans. Embrassant sa passion pour la nature et la technologie, elle préfère confier son faciès comme une palette d’expérimentations fantastiques à l’artiste de broderie britannique James Merry. Ensemble, le duo crée les effets futuristes dont elle seule a le secret.

Parmi la trinité souveraine de la pop, le masque sanitaire n’aura pas réussi à sauver Michael Jackson de son destin tragique. Par contre, après leurs explorations de la dentelle dans les années 80, les indomptables Prince et Madonna goûtaient à l’imagerie SM à coup de masques en chaines dans les années 90 et 2000. A l’ère numérique, à mesure que s’amenuise la vie privée au profit du grand déballage sur les médias sociaux, la posture derrière le masque représente peut-être un des derniers endroits de revendication d’une forme de liberté d’expression.