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Quel avenir pour la Pride?

Quel avenir pour la Pride?
Pride 2004 à Genève. Photo: Isabelle Meister

Stonewall, c'était il y a cinquante ans. Que pourra bien nous réserver le demi-siècle prochain?

2019 est une année toute particulière pour le militantisme LGBTIQ+, elle marque les 50 ans des émeutes de Stonewall. La saison des prides vient tout juste d’être lancée et avec elle, de multiples célébrations de cette révolte originelle. Les prides n’ont cessé d’évoluer en 50 ans, que ce soit par leurs nombres, leurs revendications ou leurs fonctions. Quelle sera l’évolution de ces manifestations au cours de ces 50 prochaines années? Voici, quelques pistes de réflexion…

Bigger is better
Dans un monde ultra-globalisé, les prides ont vu leur taille se multiplier par dix. Comme c’est déjà le cas à l’occasion de certaines de ces manifestations, le nombre de personnes présentes ne se chiffre plus en milliers mais en millions. En 2011, la Pride de Sao Paulo aurait attiré plus de 4 millions de participant-e-s. La Worldpride, l’Europride ainsi que la Pride de New York affichent une participation similaire chaque année.

Indéniablement, certains de ces événements grand public sont devenus des attractions touristiques majeures de l’agenda estival homosexuel et même parfois hétérosexuel. Alors du merchandising arc-en-ciel est vendu de tous les côtés et des tarifs préférentiels sont mêmes proposés par des hôtels et des compagnies aériennes. Face à une «clientèle» toujours plus nombreuse, les prides ont dû s’adapter pour être à la hauteur des attentes et doivent proposer une programmation toujours plus étendue et attractive. C’est là une chance pour la communauté LGBTIQ+ qui bénéficie d’une visibilité encore plus importante mais c’est aussi une aubaine pour certaines entreprises privées et gouvernements qui ont flairés la bonne affaire pouvant rapporter gros. La communauté LGBTIQ+ se transforme en poule aux œufs d’or une fois par année, il serait triste de ne pas en profiter. Lorsque événement commémoratif et commercial se confondent, la pride perd de sa portée politique.

Comme le souligne Alexandra Chasin dans «Selling Out: The Gay and Lesbian Movement Goes to Market», «lorsque vous avez un événement marketing de ce type, vous ne défiez pas fondamentalement la société de manière réelle… Les gens ne doivent pas confondre le statut sur le marché avec l’égalité». Cette crainte est légitime, la Pride pinkwashée est un investissement rêvé pour les traders et pourrait facilement devenir la façade d’un certain capitalisme occidental.

Homonationalisme
50 ans de luttes et plus, ça ne s’oublie pas comme ça. La communauté LGBTIQ+ a beaucoup gagné en visibilité ces dernières années mais celle-ci peut à chaque instant être instrumentalisée à des fins de politique locale ou internationale. L’homonationalisme en est un moyen. Décrit comme «la convergence entre sexualité et politique qui marque un moment culturel d’assimilation nationale de l’homosexualité traçant un possible parallèle entre la libération queer et celle de la nation», l’homonationalisme est une façon d’utiliser les droits LGBT pour se distinguer des autres pays. Lorena Parini, directrice de l’Institut des études genre de l’Université de Genève, précise que «d’un côté, on va voir ceux qui s’identifient comme les gentils sauveurs ouverts d’esprit et de l’autre, les méchants oppresseurs, rétrogrades et antidémocratiques».

Lorena Parini utilise comme exemple les conditions d’entrées dans l’Union Européenne imposées aux pays de l’ex-Yougoslavie, «les droits LGBT sont utilisés par l’UE comme un nouvel impérialisme culturel et économique. Ces crispations sont alimentées parfois par le soutien de certains pays de l’UE à des manifestations LGBT, comme lors de la Pride de Podgorica au Monténégro en 2014 financée par les ambassades de Grande Bretagne et de Hollande». Homonationalisme et pinkwashing sont intimement liés et peuvent réussir à duper la communauté LGBTIQ+ comme par exemple aux États-Unis après le 11 septembre 2001. Le drapeau arc-en-ciel fut remplacé par le drapeau états-unien lors de la Pride, l’hymne national fut chanté à l’ouverture de l’événement et des chars dédiés à l’unité nationale firent leur apparition dans le cortège. La communauté LGBTIQ+, sous le choc, s’est identifiée comme victime du terrorisme et appelait à soutenir la guerre en Irak afin de libérer les homosexuels du Moyen-Orient.

Un parallèle peut également être fait avec Israël qui utilise les palestinien·ne·s LGBTIQ+ comme argument pour justifier ses actions sanglantes et meurtrières. La prudence doit alors guider les organisateur·trice·s des prochaines prides quant aux financements de certains gouvernements en contrepartie d’une visibilité accrue lors de la manifestation. Lorsqu’un gouvernement défile lors de la pride, cela ne fait pas de lui un exemple en matière de politique LGBTIQ+, ce serait même, dans la plupart des cas, plutôt le contraire.

Manifester encore
Une vision un peu plus optimiste est tout de même possible. D’après Stéphane Leroy, «malgré l’accroissement ambigu de la popularité de la Gay Pride auprès de la population hétérosexuelle, ce rendez-vous rituel conserve intacts, 50 ans après sa naissance, ses buts originels: l’occupation et l’appropriation homosexuelles de l’espace public, la transformation stratégique du stigmate en «fierté» et la transgression des normes, actes politiques radicaux essentiels bien qu’éphémères pour les gays et les lesbiennes». Lorena Parini partage une opinion similaire, «la Pride, en tant que telle, a toujours été critiquée si c’est une grande foire avec du sponsoring, marketing, pinkwashing mais je pense que le politique sera toujours une composante importante des manifestations LGBTIQ+. Notre communauté a un socle de lutte commune qui est la société sexiste, genrée, binaire et l’exclusion des minorités. On n’est pas prêt de s’arrêter de marcher». La lutte continue.