L’hôtellerie gay s’ouvre à M. et Mme Tout-le-Monde
«Hétéro-friendly». C’est le nouveau concept lancé par un hôtel gay de Barcelone. Est-ce un simple coup marketing ou le début d’une nouvelle ère post-genre?
Niché au cœur du mythique quartier Gayxample le bien nommé, le Twohotel, propriété du groupe Axel, a récemment ouvert ses portes et compte bien se démarquer de ses nombreux concurrents alentour en revendiquant haut et fort sa philosophie hétéro-friendly. Pourtant à première vue, la façade de l’établissement ressemble à celle un brin racoleuse des autres hôtels de la zone destinés à une clientèle exclusivement homosexuelle: gigantesques photos d’éphèbes imberbes à peine vêtus d’un slip, fauteuil drapé d’un drapeau arc-en-ciel, revues spécialisées, pas de quoi inciter Monsieur et Madame Bien-sous-tous-rapports à pousser la porte d’un lieu tout entier dédié aux us et coutumes des hommes gays.
MÉLANGER LES GENS
Mais alors «hétéro-friendly», ça veut dire quoi? Adrià Muñoz, le très chic directeur de l’endroit, nous affirme que c’est la philosophie qui anime l’ensemble du projet. Partant du constat que «si les espaces gay-friendly avaient fleuri ces dernières décennies, il n’y avait pas de bars, de restaurants ni d’hôtels gays ouverts à tous». Et pour cause, la norme dominante marche en général dans un sens et un seul: hétéroland. Pour Adrià Muñoz, le message est simple: «Ici, c’est notre maison et si vous voulez venir, vous êtes plus que les bienvenus, du moment que vous acceptez nos vies, nos modes de vie, notre façon de voir les choses. Il suffit d’être ouvert d’esprit.» Il importe au maître des lieux que «chacun soit soi-même». L’idée est de mélanger les gens, de mixer, de shaker éventuellement et on obtient le cocktail du Twohotel, une atmosphère détendue où chacun se sent bien. Et s’il ne fait pas les comptes entre homos et hétéros, il précise que certains jours c’est quasi du 50-50. D’ailleurs aujourd’hui, la proportion des couples dans le lobby allait dans le sens du manager. Ceux que nous avons interrogés nous ont dit pour les uns que le prix et l’emplacement l’emportaient sur la thématique gay et pour les autres qu’ils appréciaient l’hôtel pour sa différence.
Adrià Muñoz avoue que certains clients ne savent pas toujours où ils mettent les pieds mais que ça ne pose pas de problème particulier. Rares sont ceux qui refusent de rester, «mais c’est déjà arrivé», reconnaît-il. «Au final, la chambre est juste une chambre d’hôtel», se justifie-t-il. Dans l’incessant défilé de touristes, il expérimente toutes sortes de personnes comme ce jeune homme ravi de venir avec sa petite amie sans craindre de la voir repartir au bras d’un autre: «Pour lui, l’environnement le rassurait. Avec des hommes gays, il savait qu’il ne se passerait rien», nous raconte le directeur d’un air entendu.
Réappropriation
Le phénomène bien connu de la réappropriation des lieux gays par les hétéros ne semble pas préoccuper notre hôte qui explique l’intérêt qu’ils ont à le faire: «Pas de bagarre, du cool, de l’harmonie.» Mais qu’en pensent les gays? Un hôtel gay à la sauce hétéro, c’est pas un peu fadasse? Adrià Muñoz nous fait visiter de A à Z en insistant sur les petits plus comme le jeu de miroirs en direction de la douche vitrée ou le D pour Disturb à suspendre à la poignée de porte qui signale à n’importe qui qu’il peut vous retrouver dans votre chambre. Selon notre guide, «c’est le genre de détails qui plaît en particulier aux gays».
«Venez comme vous êtes, avec qui vous voulez, vous êtes libres, c’est ça l’idée.» Adrià Muñoz
Lorsqu’on titille le jeune manager sur l’approche purement marketing, il s’en défend: «Ce n’est pas du préfabriqué ni quelque chose de faux. Au Twohotel, on ne vous jugera jamais. Venez comme vous êtes, avec qui vous voulez, vous êtes libres, c’est ça l’idée. Et c’est la raison pour laquelle les gens reviennent. Hétéro-friendly c’est une philosophie, c’est aussi une façon d’éduquer.» Et en tant qu’ancien instituteur, il sait de quoi il parle: «Passer du temps avec nous permet de mieux nous connaître et de voir qu’il n’y a rien de mal dans la façon d’être des personnes LGBT.» Loin d’être une posture, cette vision hétéro-friendly défendue avec passion par Adrià Muñoz peut-elle se diffuser ailleurs? Sans doute, il suffit d’y croire et encore plus de le vouloir.