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Portier des nuits

Les clubbers du monde entier le redoutent. Sven Marquardt, 52 ans, est l’âme du Berghain, dont il garde farouchement l’entrée.

100 mètres. 60 mètres. 20 mètres. 3 mètres… Plus on avance dans la queue démesurée qui s’étire depuis la façade monumentale de l’ancienne centrale électrique qui sert de décor au Berghain, plus la tension est palpable. Les cœurs palpitent à l’approche de la bâtisse dont les vitres tremblent avec fracas sous les assauts de la techno. La foule de clubbers qui se presse dans un étroit dédale de barrières, dont la délicate composition rappelle le couloir de la mort d’un abattoir à bestiaux, s’apprête à passer le seul poste-frontière qui donne encore des sueurs froides à Berlin: Checkpoint Svenie. Il est là. Sa silhouette se dresse dans l’antre des enfers techno. Hiératique, tout de noir vêtu, le visage constellé de piercings qui lui valent le surnom de «Metal Face». Sven Marquardt décide d’un seul regard, d’un seul mouvement de tête, qui fera ou pas partie des élus du temple de la fête cette nuit-là.

À la porte du Berghain depuis une décennie, le videur berlinois au look extravagant est une source inépuisable de fantasmes et de rumeurs dans le monde de la nuit. À part quelques interviews données en marge de ses expos – il est photographe de formation et excelle dans l’art du portrait masculin viril, dans des mises en scène souvent morbides et à l’esthétique industrielle prononcée – on ne connaissait presque rien de lui. Cet été, il a fait la surprise de publier une autobiographie* dans laquelle il raconte ses souvenirs de jeunesse de l’autre côté du Mur et ses nuits blanches dans le Berlin des folles années qui ont suivi la Réunification.

Né dans une famille modeste à Berlin-Est, dont le père déserte rapidement le foyer, Sven Marquardt se pique de sympathie pour les Sex Pistols à l’adolescence et décide de devenir punk. Il suit un apprentissage dans un laboratoire de photo, passe son temps libre à photographier des bâtiments en ruine la journée et ses nuits dans les quelques bars gays que compte alors Berlin-Est. Sa crête, ses vêtements en cuir et son homosexualité assumée en font un sujet gênant pour les autorités de la dictature communiste. C’est pour cette raison qu’il se verra interdire de circuler dans le quartier de Mitte par la police berlinoise car «les touristes pourraient être effrayés et l’image de la RDA abîmée», comme il l’explique dans son livre.

Punk à Berlin-Est
Quelques mois avant la chute du Mur, il reçoit un visa pour se rendre en France aux Rencontres photographiques d’Arles. Mais au lieu de faire le voyage, il préfère profiter de cette occasion inespérée pour visiter Berlin-Ouest. L’idée de ne jamais retourner de l’autre côté du Mur l’effleure mais l’angoisse terriblement, comme il l’avoue dans son récit, qui révèle un être doux et fragile, loin de l’image de redoutable cerbère qui l’auréole depuis des années. Il rentre au bercail. À la chute du Mur, il laisse son appareil photo de côté et se fond avidement dans la club culture alors en pleine explosion. Vendeur dans un magasin de chaussures la semaine, il passe ses week-end dans les clubs qui éclosent à tous les coins de rue, s’oublie dans la drogue et la techno. «Je ne veux plus qu’une chose: la prochaine fête, la prochaine ivresse», écrit-il.

Comment tenir toute la nuit à la porte du Berghain? «Deux barres de chocolat doux-amer et une banane.»

C’est à cette époque qu’il se fait tatouer le visage, demandant à l’artiste de piquer «les épines et le fil barbelé d’une manière si réaliste que ce serait comme si les deux avaient été fraîchement enfoncés dans ma peau, qu’ils l’entaillaient plus profondément à chaque flexion du corps et étaient une incitation permanente à se tenir droit.» Tout est dit. C’est dans les clubs, où il se retrouve un peu par hasard à jouer les portiers de temps en temps, qu’il rencontrera ses futurs employeurs, le couple homo qui ouvrira les deux clubs gays les plus célèbres de Berlin: le feu Ostgut puis le Berghain en 2004. Aujourd’hui, Sven Marquardt est revenu de ses années d’excès. Comme il l’écrit: «Je m’arrête désormais moi-même devant le rayon des biscottes suédoises au supermarché.» Sa recette pour tenir toute la nuit à la porte du Berghain?: «Deux barres de chocolat doux-amer et une banane.»

Ceux qui espèrent trouver dans son livre des conseils pour entrer au Berghain seront déçus. Sven Marquardt confie toutefois que «cela ne [lui] pose pas de problème que les gens puisent dans la boîte à malices pour pouvoir être admis chez nous», en évoquant amusé les garçons qui font semblant d’être homo en se tenant la main dans l’espoir d’augmenter leurs chances de rentrer. Lui seul garde le secret de ses oukazes. Les voies de Sven Marquardt sont impénétrables.

* Die Nacht ist Leben, Sven marquardt, Ullstein extra.