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Quand les lesbiennes font peur

L'auteure féministe Julie Bindel s'attaque à un stéréotype souterrain, mais coriace: celui de la lesbienne violente. L'objet d'une psychose dont le milieu gay n'est pas exempt, et qui, selon la chercheuse, donne plutôt matière à rire.

Déjà en 1954, le psychiatre Frank S. Caprio caractérisait «la lesbienne agressive», saisie par une jalousie dévastatrice. «Une lesbienne m’a informé un jour qu’elle avait menacé de tuer son amie si elle menaçait de sortir avec un homme», écrivait l’éminent psychiatre dans son ouvrage de référence d’alors, «Female Homosexuality». Plus d’un demi-siècle plus tard, la description de cette folie violente semblait se confirmer. En 2007, l’Amérique découvrait avec horreur le phénomène des «gangs lesbiens». Une émission de la chaîne Fox, «The O’Reilly Factor», évoquait un «réseau national clandestin» de criminelles sillonnant le pays pour violer les petites filles dans les toilettes des écoles ou attaquer les hommes hétérosexuels au hasard. Bien évidemment, aucune preuve n’a jamais été produite de l’existence de ces gangs, encore moins de l’existence d’organisations criminelles homosexuelles, même s’il existe des groupes de jeunes délinquants LGBT dans certaines villes. En l’occurrence, cet incroyable délire serait né du braquage d’un vidéo-club par sept jeunes femmes à New York. Le patron de l’échoppe avait affirmé avoir été agressé sexuellement, qualifiant l’assaut de «crime de haine contre un homme hétéro».

Le milieu gay masculin n’est pas exempt de ce type de rumeurs, comme le relève la chercheuse américaine dans un article du Huffington Post. Les lesbiennes y ont une réputation quasi-universelle de bagarreuses. En 2007, un hôtelier gay avait ainsi demandé – et obtenu – d’interdire son établissement aux couples de femmes sous prétexte qu’elles menaçaient ses clients.

Serial killers au féminin
Dans la chronique faits divers, le soupçon d’homosexualité ne flotte jamais bien loin des rares exemples de serial killers au féminin. A la fin des années 1980, Aileen Wuornos avait tué sept hommes en Californie. Celle que les tabloïds américains ont décrite comme la «pute lesbienne des autoroutes» carburant à la «haine des hommes», fut condamnée à mort et exécutée en 2002. Son histoire a inspiré le film controversé «Monster», un an plus tard.

«Qu’y a-t-il chez les lesbiennes qui instille de la peur chez les gens? Pourquoi sommes nous vues tantôt comme des jouets sexuels tantôt comme des gouines prédatrices?», s’interroge l’auteure. Et de noter qu’à son tour, la lesbienne violente fait l’objet de récupération érotique, des innombrables fictions carcérales à la vogue du film de vampires. Plus récemment, la série «Les experts» a plusieurs fois exploité le cliché de lesbiennes poussées au crime par leur libido débordante ou leur jalousie maladive. Pour Julie Binder, ces représentations et leur succès ne sont que l’énième avatar de la misogynie. Et surtout des «hommes qui se rendent compte que nous sommes hors de leur contrôle direct.»

Tapage et humour
Et si, finalement, tout ce folklore n’était que la contrepartie populaire d’une autre réalité, celle du mouvement de libération des femmes et plus particulièrement, des groupes d’actions des années 1980 et 1990, comme les Lesbian Avengers. Leur idée était alors de secouer les idées reçues et de sortir de l’oppression et de l’invisibilité, non sans tapage et humour ravageur. Autrement dit, jouer à fond les mauvaises filles, tatouées, musclées et bardées de cuir, résume Julie Bindel. «Sommes-nous effrayantes? Il me plaît d’admettre que nous le sommes. Mais de la plus gentille manière qui soit.»