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Porter plainte, une épreuve en soi 

Porter plainte, une épreuve en soi 

Après avoir subi des agressions, nombreuses sont les personnes LGBTIQ+ qui renoncent à porter plainte. Ce non-recours s’explique surtout par de mauvaises expériences passées et une prise en charge souvent inappropriée, même si la démarche peut payer.

Comme le soulignait notre article du mois dernier, Une police mieux préparée aux défis LGBTIQ+, la Police cantonale vaudoise est sensibilisée aux questions LGBTIQ+ depuis plusieurs années, par le Pôle agression violence (PAV). Il en est de même à Genève, où les aspirant·e·x·s de Police municipale ont depuis 2016 accès à un cours intitulé «Violence homophobes et droits humains des minorités», proposé par Dialogai.
 
Il semble hélas que ces mesures demeurent insuffisantes, notamment en ce qui concerne la prise en charge des personnes trans*. Ces dernières font souvent face au mépris ou à l’incompréhension de la police, lors des contacts qu’iels ont pu avoir avec celle-ci, même en dehors des situations d’agressions. Les anecdotes partagées par d’autres, faisant état de propos et d’attitude inappropriés, s’ajoutant à ces mauvaises expériences, renforcent encore les aprioris négatifs et les découragent à aller porter plainte, lorsqu’il le faudrait.
 
Alice, jeune femme trans, avait 22 ans lorsqu’elle a subi une agression dans le quartier du Flon à Lausanne, il y a trois ans de cela. «Il y avait beaucoup de monde, c’était vers 18h un jour de février, mais personne n’a réagi», se souvient la jeune femme, «je me suis donc dit que personne ne réagirait non plus à la police, si j’y allais». Lorsqu’elle trouve le courage de parler à ses proches, certaines personnes lui font sentir qu’elle a une part de responsabilité dans cette agression. Elle craint alors d’autant plus de faire face à la même réaction si elle se tourne vers la police.

N’étant pas au courant des mesures à entreprendre, ce n’est que huit mois après s’être fait agresser qu’Alice se rend dans un centre LAVI. «Iels m’ont expliqué comment il convenait de réagir, et qu’un département au CHUV s’occupait des victimes, en recueillant des preuves. Ils m’ont aussi dit que même s’iels collaboraient avec la police, tout restait secret avant qu’une plainte ne soit déposée.» Le délai pour un dépôt de plainte étant de six mois, il est trop tard pour qu’Alice entreprenne la démarche.
 
Mépris et manque de tact
Si la jeune femme, qui espère débuter bientôt des études de psychologie, n’avait pas subi d’agressions avant 2020, elle avait vécu une mauvaise expérience au poste frontière de la gare de Genève. «À cette époque, j’étais en cours de transition et ma pièce d’identité suisse n’avait pas encore été modifiée, tandis que la portugaise, que j’avais aussi sur moi, avait pu être adaptée en l’espace de trois semaines.» Alice avait alors fait face aux remarques méprisantes d’un douanier et avait dû ouvrir son bagage. «Son attitude m’a énervée et je lui ai répondu un peu sèchement qu’il fallait demander au canton de Vaud d’accélérer les procédures, pour que les choses changent.» Une collègue du douanier avec lequel l’échange se passait mal avait heureusement repris les choses en main, et la situation s’était apaisée. Alice avait toutefois raté son train. Depuis lors, elle tente d’éviter le passage par la douane de Cornavin, en prenant si possible le TGV à Lausanne.
 
Zhenya G., la trentaine, elle aussi femme trans, n’a pas non plus porté plainte suite à la dizaine d’agressions qu’elle a subi ces 12 derniers mois. «Les contacts que j’ai eus avec la police se sont rarement bien passés, je renonce donc à porter plainte quand je me fais agresser.» Habitant sur la Côte et travaillant à Lausanne et Genève, Zhenya passe beaucoup de temps dans les gares et les trains. C’est là qu’ont eu lieu ces agressions à répétition.
 
«J’ai eu l’impression qu’ils rejetaient la faute sur moi» 
Avant qu’elle ne travaille à Lausanne, cette Franco-Algérienne s’était déjà fait agresser une nuit, au centre-ville de Genève. Quand elle avait appelé la police, elle s’était entendu demander ce qu’elle faisait en ville si tard. «J’ai eu l’impression qu’ils rejetaient la faute sur moi avec cette question! C’était 1h du matin et je rentrais simplement d’un dîner entre collègues. C’était moi la victime, je n’avais pas à me justifier!» L’échange s’étant mal passé, Zhenya avait renoncé à porter plainte. À une autre occasion, la coiffeuse se fait agresser dans un tram genevois. La police, qui se déplace d’elle-même, a d’emblée une attitude que Zhenya juge inappropriée, très éloignée de la bienveillance souhaitée. «Souffrant d’un TDAH, j’ai d’autant plus de peine à rester sereine dans de telles situations», confesse-t-elle. La coiffeuse a tout de même tenté de porter plainte, une fois, en se rendant dans un commissariat genevois, sans avoir la force d’aller jusqu’au bout de la procédure. «J’avais à nouveau l’impression d’être jugée, alors qu’en tant que victime, j’aurais voulu être écoutée et comprise.»

Après avoir dû aller se reposer dans une institution quelques temps, du fait de l’état de choc post-traumatique dont elle souffrait après sa dernière agression, Zhenya a adopté une nouvelle stratégie: «Je mets maintenant mes écouteurs durant ces trajets, afin de ne plus entendre ni répondre aux remarques que l’on me fait.»
 
Si la prise en charge des personnes trans* par la police est encore trop souvent inadéquate, celle réservée aux personnes gaies semble s’être améliorée; c’est du moins l’avis de Gaëtan Aubry, après qu’il se soit résolu à se rendre au poste de son quartier de la Pontaise, à Lausanne. Le metteur en scène faisait face aux menaces et insultes de son voisin d’en face depuis plusieurs mois.

«Quand il a emménagé, il semblait un peu étrange, mais rien de spécial n’est arrivé. C’est à partir du moment où il a compris que j’étais gai qu’il est devenu vraiment désagréable.» Gaëtan ajoute que le trentenaire, bâti comme une armoire à glace, était très impressionnant. «J’avais vraiment peur au début, d’autant plus que je suis au rez-de-chaussée. Je tentais de l’éviter au maximum, mais ce n’était pas évident car je devais passer devant sa fenêtre pour entrer chez moi.» L’individu alpague le professeur de théâtre par la fenêtre, lui disant d’«aller faire ça ailleurs». Les insultes fusent, «homophobes, basiques, idiotes». Un jour, il tente d’empêcher Gaëtan de sortir de l’immeuble en le menaçant.
 
Intervention courtoise et adéquate
Le quadragénaire se décide alors à déposer une première main courante. Peu de temps après, son voisin l’attend sur le chemin menant à l’arrêt de bus et le menace physiquement. Effrayé, Gaëtan ne voit d’autre issue que le dépôt d’une plainte. Il a quelques appréhensions, mais tout se passe on ne peut mieux. «Un jeune homme et une jeune femme m’ont reçu, et ils ont été complétements appropriés, jamais jugeant. Ils ont pris ma plainte telle quelle, comme une plainte pour menaces. C’était l’époque où un changement de législation venait d’avoir lieu, et faisait tomber les plaintes pour homophobie directement dans le pénal», précise-t-il. 

Bien qu’il se sente soulagé, aucun changement ne se produit, et les menaces persistent. Six mois passent et Gaëtan dépose une seconde plainte. Quelques mois plus tard, l’artiste reçoit une convocation à la Justice de paix, pour une séance de conciliation. «J’avais la trouille d’y aller, de me retrouver dans la même salle que lui, mais ayant entamé cette démarche, je ne pouvais pas renoncer.»

Contre toute attente, la séance porte ses fruits: «Face à cet homme qui avait des aprioris un peu bêtes et n’avait semble-t-il, à sa décharge, pas été éduqué correctement, la juge de paix s’est montrée très claire par rapport à ce qu’il encourait comme peine de prison et peine pécuniaire. Ça lui a mis une douche froide.»
 
Le metteur en scène ne s’attend pas à un changement radical, mais quelques semaines plus tard, le voisin sonne à sa porte. «Je n’en menais pas large en ouvrant, mais il était venu s’excuser, disant avoir compris qu’il avait agi bêtement et ne recommencerait plus.» Gaëtan ne peut pas oublier cette année de menaces et d’insultes, qui a ravivé chez lui d’anciennes douleurs. Désormais, il se dit toutefois que les choses peuvent évoluer, et que les gens peuvent changer. «On n’est pas devenus amis, mais mon ancien voisin me salue toujours très poliment lorsque l’on se croise en ville.» L’homme de théâtre espère que son témoignage encouragera d’autres personnes à aller jusqu’au bout de ces procédures chronophages et un peu angoissantes. «La police est souvent sous le feu des critiques, mais quand elle se montre adéquate, cela mérite aussi d’être souligné», conclut-il.