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Catherine Fussinger: «Je souhaite n’oublier personne en chemin»

Catherine Fussinger: «Je souhaite n’oublier personne en chemin»
Catherine Fussinger. Photo: ARC/Sieber

Depuis le 1er mai, Catherine Fussinger occupe le poste de déléguée aux questions LGBTIQ+ pour le Canton de Vaud. Interview avec celle qui travaille d’arrache-pied à rendre l’administration cantonale plus inclusive pour les personnes queer.

Catherine Fussinger, quel parcours vous a menée à ce poste?
J’ai un double parcours professionnel et associatif. À l’Université de Lausanne, j’ai participé au développement des études genres dans les années 1990, puis j’ai travaillé durant plus de deux décennies comme responsable de recherche au CHUV. Comme représentante des sciences humaines et sociales dans un hôpital universitaire, un des enjeux était de rendre accessibles et pertinents les apports de ces disciplines à différentes catégories de professionnel·le·x·s de la santé. Entre le milieu des années 2000 et 2010, j’ai élaboré un enseignement «genre et médecine, genre et santé», puis posé les fondations d’une institutionnalisation de ce champ au sein de la Faculté de biologie et médecine et du CHUV: un travail conceptuel et stratégique dont les défis ne sont pas sans points communs avec les missions de mon poste actuel.
Au niveau associatif, j’ai vécu deux périodes d’engagement très intenses. La première débute au moment de la Grève des femmes de 1991 et, même si cela correspond à mon coming in et que j’ai été impliquée dans la création de Lilith, association vaudoise de femmes homosexuelles fondée en 1994, mon engagement était alors avant tout féministe. De 2017 à 2022, je me suis investie au sein de l’Association faîtière Familles arc-en-ciel, dont j’ai aussi été la co-présidente au niveau national. Au travail très exigeant d’accompagnement de l’entrée en vigueur du nouveau droit de l’adoption en 2018 a succédé la campagne pour le mariage civil pour toutes et tous. J’ai aussi mis sur pied des sensibilisations à l’intention de différentes catégories de professionnel·le·x·s tout en apportant, avec d’autres membres de l’association, conseils et soutien aux (futures) familles. Lors de ma postulation, ce sont les apports de cette double trajectoire professionnelle et associative que je me suis efforcée de mettre en valeur.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de relever le défi du poste que vous occupez aujourd’hui?
En prolongement des récents progrès en matière de reconnaissance des droits des personnes LGBTIQ+ en Suisse, il importe qu’une politique publique inclusive, basée sur une réelle prise en compte de leurs réalités et trajectoires soit mise en œuvre. Comme pour d’autres catégories discriminées, il faut opérer le passage d’une égalité formelle à une égalité sociale. J’ai senti une vraie volonté politique au niveau vaudois et le fait que celle-ci s’inscrive dans une évidente évolution sociétale – les résultats des deux dernières votations nationales (février 2019 et septembre 2021) en attestent – m’a donné envie de relever le défi.

Quelles sont les grandes lignes du travail que vous menez?
Ma mission première est d’élaborer un plan d’action cantonal LGBTIQ+, appelé à être validé par le Conseil d’État. Ce travail va se faire en plusieurs étapes.
Actuellement, je réalise un état des lieux. Dans ce cadre, je rencontre successivement des représentant·e·x·s de toutes les associations et fondations actives sur le sol vaudois – plus d’une dizaine – afin de saisir au plus près la nature de leurs activités auprès des personnes LGBTIQ+, ainsi que l’historique de leur relation avec l’État. Les associations nationales seront sollicitées dans un deuxième temps. Parallèlement, je me renseigne auprès des personnes qui ont d’ores et déjà été amenées à travailler sur des dossiers LGBTIQ+ au sein des entités de l’État de Vaud, ou qui pourraient l’être à l’avenir.
Par ailleurs, j’examine les nombreuses initiatives en matière de politique publique LGBTIQ+ adoptées à l’international, ainsi qu’ailleurs en Suisse, au niveau municipal ou cantonal. La démarche vaudoise s’inscrit en effet dans une dynamique plus large, dont il s’agit de tirer profit.
La synthèse des investigations menées durant cette première phase servira de base pour la deuxième étape du processus d’élaboration du plan d’action cantonal, laquelle se développera autour d’un large éventail de thématiques et, je l’espère, dans le cadre d’un processus de co-construction entre plusieurs partenaires, comme cela a été le cas au Québec dans les années 2000.

Concrètement, quels sont les domaines de l’administration cantonale où vous pensez pouvoir agir?
De fait, les sept départements de l’administration cantonale vaudoise sont susceptibles d’être impliqués dans le plan d’action cantonal LGBTIQ+ au travers d’une ou plusieurs de leurs entités. Construire la transversalité du plan d’action constitue donc un défi majeur, mais aussi tout son intérêt, puisque l’objectif est de couvrir de manière lisible, cohérente et adaptée l’ensemble des besoins. Pour y parvenir, il s’agit d’initier une dynamique qui permette aux représentant·e·x·s des différentes entités étatiques de prendre conscience des vécus et besoins des personnes LGBTIQ+ et, sur cette base, de s’impliquer dans l’élaboration de mesures adaptées.

Pouvez-vous me donner des exemples plus concrets?
Dans deux contextes différents – l’élaboration de la politique municipale LGBTIQ+ lausannoise et un mémoire de fin de formation d’un officier de police – un questionnaire en ligne a été adressé à des représentant·e·x·s des services concernés pour identifier leur appréhension des difficultés que pouvaient rencontrer les personnes LGBTIQ+. Bon nombre de réponses montrent que beaucoup ne voient pas où est le problème: «Oui, on rencontre des situations de violences envers les personnes LGBTIQ+, mais elles sont rares et dans ces cas, on procède comme d’habitude, et cela va très bien pour tout le monde.» Dès lors, il importe d’amener des éléments de compréhension, des exemples, capables de faire levier et de susciter une prise de conscience.

Ce n’est pas aux personnes LGBTIQ+ de faire les frais du manque de connaissances des professionnel·le·x·s et représentant·e·x·s de l’État et d’y pallier au quotidien en assurant «à vif» leur formation continue «sur le tas»

Il faut donc savoir se montrer pédagogue et tenir compte du fait que les professionnel·le·x·s n’ont généralement pas été formé·e·x·s sur les thématiques LGBTIQ+ et manquent dès lors d’outils pour réfléchir et agir adéquatement. Mais d’un autre côté, on se doit aussi d’être clair: ce n’est pas aux personnes LGBTIQ+ de faire les frais du manque de connaissances des professionnel·le·x·s et représentant·e·x·s de l’État et d’y pallier au quotidien en assurant «à vif» leur formation continue «sur le tas». En effet, en pareilles circonstances, les questions blessantes ou inutilement intrusives sont fréquentes et constituent autant de micro-agressions pour les personnes concernées. Ce n’est donc pas un hasard si le travail d’information et de formation, ainsi que l’élaboration de ressources occupent une place centrale dans la plupart des politiques publiques LGBTIQ+.

On sait par exemple qu’il peut y avoir beaucoup d’homophobie et de transphobie dans les clubs sportifs. Des mesures doivent donc être prises pour éviter que jeunes et moins jeunes se trouvent privé·e·x·s des apports d’une activité physique pour cette raison.

Mais il est aussi essentiel de comprendre les réalités et les contraintes du terrain pour imaginer des ressources efficaces. On sait par exemple qu’il peut y avoir beaucoup d’homophobie et de transphobie dans les clubs sportifs. Des mesures doivent donc être prises pour éviter que jeunes et moins jeunes se trouvent privé·e·x·s des apports d’une activité physique pour cette raison. Mais les mesures proposées doivent tenir compte du fait que les coachs sont le plus souvent des bénévoles et que, dans bien des cas, les ressources des clubs sont limitées. Cela ne veut pas dire faire quelque chose au rabais, mais plutôt co-construire des solutions pertinentes pour tous·tes·x en fonction d’un contexte donné.

Quelle est votre marge de manœuvre au niveau cantonal, alors que les grandes décisions en faveur des droits LGBTIQ+ (mariage pour tous·tes·x et norme anti-raciste) ont été prises au niveau national?
Dans un pays comme la Suisse, je suis persuadée que le niveau cantonal est le plus pertinent pour agir, ceci en vertu du fédéralisme et de la souveraineté cantonale qui concerne des domaines aussi décisifs que la santé, la police, l’école ou encore la fonction publique. En outre, lors de la mise en œuvre des lois fédérales, un travail d’accompagnement au niveau cantonal peut vraiment faire la différence. J’en étais déjà convaincue, mais l’entrée en vigueur du mariage civil pour toutes et tous me l’a encore une fois démontré.

Avez-vous identifié d’autres enjeux pour ce poste?
Derrière l’acronyme LGBTIQ+, il y a des expériences et des trajectoires qui ne sont pas identiques pour les différents groupes de personnes concernées. Les besoins de certaines d’entre elles sont mieux connus et acceptés, tandis que les réalités et les droits d’autres sont largement méconnus ou davantage remis en cause. Il en va de même au niveau des thématiques: ainsi la santé des jeunes LGBTIQ+ a fait l’objet de davantage de recherches et d’interventions que l’élaboration d’un accompagnement adapté pour les personnes LGBTIQ+ en situation de migration ou de demande d’asile, et ce n’est que récemment qu’on se préoccupe du vécu des seniors ou des familles LGBTIQ+…
Ce n’est pas un scoop, il s’avère difficile d’être réellement inclusif, y compris au sein même de la communauté LGBTIQ+. Aussi, je souhaite n’oublier personne en chemin, ce qui requiert beaucoup de rigueur et de vigilance.