À Berlin, la Pride électrisée par la guerre à Gaza
Jamais la communauté LGBTIQ+ berlinoise n'a semblé aussi déchirée. Depuis des mois, le conflit israélo-palestinien mobilise autant qu'il divise. Sans surprise, il a jeté une ombre sur les différentes marches des fiertés qui avaient lieu dans la capitale le week-end dernier.
Avant toute chose: la Pride de Berlin ne se résume pas, comme dans beaucoup de capitales européennes, à une unique marche des fiertés. La Pride de Berlin, c’est un week-end entier, en juillet, de manifestations suivies d’une pléthore d’after parties, c’est même un mois entier de festivités, le Pride Month. Et même plus: c’est une dizaine de marches réparties de juin à août, de l’East Pride, initiée par des ancien·ne·x·s Allemand·e·x·s de l’Est, à l’ACSD, le Christopher Street Day (CSD) anarchiste, en passant par la Behindert und verrückt feiern Pride Parade, manif des personnes en situation de handicap et neurodivergentes, ou encore la TIN* Pride, la marche des personnes trans*, inter et non binaires.
Cet été 2024 restera particulier dans l’histoire de la Pride berlinoise, en ce que la majorité des marches ont reflété les revendications de la société civile vis-à-vis de la guerre qui fait rage en Israël-Palestine depuis des mois. D’un côté les membres de la communauté LGBT* qui font part d’un soutien indéfectible à l’État d’Israël, en partie en raison de la dette morale et historique de l’Allemagne à son égard, et qui sont en cela en phase avec la ligne du gouvernement allemand, et qui entretiennent souvent des liens forts avec la communauté LGBTIQ+ israélienne vivant à Berlin ou Tel-Aviv. Ils sont plutôt de nationalité allemande, blancs et cis, ont souvent plus 40 ans et sont bien souvent plus gay et lesbiennes que queer, et politiquement à gauche ou au centre. De l’autre coté, une jeune génération résolument queer, qui semble constituée plus d’expats et de migrant·e·x·s que d’Allemand·e·x·s, très à gauche, prend fait et cause pour la Palestine.
Le «grand CSD», comme on appelle à Berlin la marche principale du samedi après-midi (plus de 250’000 participant·e·x·s cette année), a été épargnée par les tensions qui ont émaillé le week-end. Un bloc issu de la pro-israélienne East Pride était présent à la manifestation avec de grands drapeaux israéliens et leur slogan «Homos sagen Ja zu Israel», doublé désormais d’un «Queers for Israel», réponse directe au «Queers for Palestine» utilisé depuis des mois dans les manifs pro-Gaza par l’autre camp.
Tandis que les militant·e·x·s pro-Israéliens défilaient joyeusement dans les allées de Tiergarten, les militant·e·x·s pro-Palestiniens battaient le pavé à Neukölln, au sud de la ville. L’Internationalist Queer Pride (IQP), lancée en 2021, se veut une alternative au grand CSD, jugé par beaucoup ici trop commercial, capitaliste et pinkwashiste, avec ses chars à essence aux noms de grandes entreprises allemandes, trop hédoniste et mou dans ses revendications politiques, mainstream et peu queer, peuplé avant tout d’hommes gays en slip et de femmes hétéros à paillettes. En résumé: old school et cliché.
Cristallisation du conflit à la Dyke* March
Face à cette parade un peu fade, l’IQP propose une manifestation très politique et très diverse. Entre 5000 et 15’000 personnes étaient présentes selon les estimations. L’IQP était cette année entièrement dévolue à la cause palestinienne. Une nuée de drapeaux rouge-noir-blanc-vert et de keffiehs planait au-dessus d’une foule jeune et queer. L’ambiance était très tendue tout au long du cortège. Plusieurs altercations ont eu lieu entre la foule et la police, suscitant mouvements de foule et plusieurs arrestations.
Mais c’est la Dyke* March, la marche des fiertés lesbiennes, qui a traditionnellement lieu le vendredi soir, veille du grand CSD, qui a cristallisé les lourdes tensions qui parcourent depuis des mois la communauté LGBTIQ+ berlinoise. Empêtrées depuis quelques semaines dans une shitstorm provoquée par des militantes de l’East Pride qui les accusent de soutenir la cause palestinienne, les organisatrices de la Dyke* March ont eu bien du mal à convaincre la communauté FLINTA* (Femme, lesbienne, inter, non binaire, trans*, agenre) de leur prétendue neutralité sur le sujet. Au point qu’une petite contre-manifestation a été organisée simultanément par des militantes pro-Israël. Malgré l’appel du groupe organisateur de la Dyke* March à ne pas manifester avec des drapeaux nationaux, quels qu’ils soient, une marée de drapeaux palestiniens claquaient au vent vendredi dernier. Plusieurs altercations ont eu lieu en fin de cortège – notamment autour d’un groupe de TERFs arborant des pancartes transphobes – qui n’en sont toutefois restées qu’aux mots.
Cerise sur le gâteau de ce week-end mouvementé: un groupe d’une trentaine de jeunes néonazis s’était rassemblé samedi midi sur le trajet du grand CSD dans le but d’attaquer des manifestants gays. Ils ont été heureusement arrêté par la police avant le passage de la marche et placés en garde à vue préventive toute la journée. Du jamais-vu à Berlin.