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OnlyFans: trime, trique et tricks

OnlyFans: trime, trique et tricks
Illustration: Elisa Siro

Avec les confinements, l’usage d’OnlyFans a explosé. Les fans et les créateur·trice·x·s de contenus explicites de ce réseau social payant redéfinissent les contours du travail du sexe numérique.

C’est «l’Insta du porno». Ou son ubérisation. À l’ère de l’entreprise virtuelle de soi-même, OnlyFans est rentré dans la langue et Beyoncé en fait des rimes. Pornstars et pros du sexe y côtoient l’influenceur de niche comme le quidam débutant pour poster photos et vidéos exclusives, sur abonnement à tarifs variables, pour leur cercle de fans. Créé en 2016, OnlyFans n’était pas foncièrement pornographique au départ. L’idée était de s’adresser plus directement à sa communauté en jouant sur la proximité. On y promouvait de la musique, une pose attractive, un bout de quotidien. Mais la réglementation permissive et libérale de la plateforme en matière de contenus explicites n’a pas tardé à la transformer en autoroute du sexe monétisé. OnlyFans est une sorte d’héritage entre les sites de sexcam et la culture influenceurs: ici, on veut suivre une personne plutôt que fétichiser une pratique sexuelle. On fait tout soi-même, on gère sa propre production et surtout, sa propre rémunération. La plateforme ramasse 20% sur toutes les transactions avec les utilisateurs.

Porno de survie

Certes, un paquet bien monté de followers existants facilite la percée. Mais OnlyFans n’est pas l’apanage des stars ou des influenceurs déjà puissants sur d’autres réseaux sociaux. Des lambdas se lancent en masse depuis le premier confinement. En mars, le nombre de créateurs avait presque doublé, et fin 2020 OnlyFans affichait plus de 1 million de créateurs pour 50 millions d’utilisateurs. Chaque jour, 7000 à 8000 nouvelles personnes proposent des contenus. Pour certaines, c’est un outil de survie.

«À New-York, on est tou·te·x·s dessus maintenant. Il n’y a qu’avec ça que j’ai pu me maintenir à flot, cette année», décrit Blew Velvet, «pédé bimbo déviante», musicien et performeur de 27 ans. Comme beaucoup d’ados queer virés de chez eux, il confie que le travail du sexe a toujours été sa source de revenus principale: «J’ai vite appris à capitaliser sur mes compétences de drague comme de baise.» Inscrit sur OnlyFans depuis le printemps dernier, Blew Velvet était pourtant réticent à se lancer. «L’arrivée de la plateforme tuait un peu le prestige de faire du porno. Ça frustrait beaucoup de monde dans l’industrie, mais la Covid et la fermeture des studios a accéléré la migration d’une foule de modèles porn vers OnlyFans.» Ils y trouvent une liberté dans l’autogestion tout en jouissant déjà, pour certains, d’une réputation avantageuse. «Aujourd’hui, je suis mon propre monteur vidéo, mon propre styliste de suce, et mes fans savent qu’ils peuvent déjà trouver à peu près tout ce qu’ils veulent de moi sur mon compte.»

Des titans au travail

Davide est un club kid non-binaire de 30 ans. Quand il ouvre son compte en 2018, il est l’un des pionniers du porn amateur via OnlyFans, en Italie. «J’ai tout de suite compris le potentiel, combiné avec une bonne stratégie de promotion par Insta et Twitter.» Avec la crise, OnlyFans est devenu son job à plein temps. «Le porn c’est vraiment super fun, mais il faut un cerveau pour le faire. Le corps ne suffit pas!» C’est un travail de Titan. Sur la BBC, Lexi, une créatrice de Manchester, soulignait que «la charge mentale de travail non rémunéré pour cette activité est largement sous-estimée.» Car il n’y a pas que la création de contenus ou la réponse aux requêtes de fans. La clé de la réussite est un savant travail de relations publiques. Cela se joue principalement sur Twitter, via des comptes porn où les créateurs postent des extraits vidéos courts que le réseau social tolère, en tout cas pour l’instant.

«Aujourd’hui, je suis mon propre monteur vidéo, mon propre styliste de suce, et mes fans savent qu’ils peuvent déjà trouver à peu près tout ce qu’ils veulent de moi sur mon compte.»

Blew Velvet

Pour Blew Velvet, OnlyFans est un formidable terrain des possibles, mais il faut les épaules pour ne pas s’y paumer psychiquement. Pour lui, la vraie facette obscure et «super démoralisante» réside dans la compétition féroce qui se joue sur ce terrain ultralibéral, sans véritable règles: on se livre des batailles de tweets et retweets pour taper dans l’œil des plus influent·e·x·s, ou on s’acoquine pour pouvoir tourner des scènes avec des créateur·ice·x·s déjà très suivis. L’affaire Bella Thorne l’illustre. L’été dernier, la star de Disney s’était fait plus de 1 million de dollars en 24h sur le réseau, s’attirant les foudres de travailleuses du sexe. Elles dénonçaient ces stars privilégiées qui s’accaparent des espaces de travail du sexe investis par des personnes déjà marginalisées. Un phénomène de gentrification du réseau.

Sexe public vs. sphère privée

S’il trouve qu’OnlyFans contribue à déstigmatiser le travail du sexe, Blew Velvet n’y met pas toutes ses billes. D’abord parce que dans un New York déserté, il tente de maintenir quelques clients de confiance en présentiel. Ensuite parce qu’il craint de brouiller la distinction entre pratique professionnelle et moments choisis. «Aujourd’hui, je pourrais sortir mon téléphone ou mon trépied n’importe quand pour me filmer avec un crush ou un pote de baise. Mais je ne peux pas concevoir d’organiser ma vie en monétisant chaque instant de ma vie sexuelle.»

«Est-ce qu’on ne génère pas du contenu pour mieux s’aimer soi-même?» se demande Damian. Sur OnlyFans, cet artiste trentenaire basé à Madrid, décrit une vraie beauté et un pouvoir dans la représentation de soi assumée. Un sentiment d’appartenance aussi, car il se reconnaît dans des imaginaires autoproduits moins normatifs, moins enfermants que dans le porno mainstream. Et donc plus excitants. Comme la page de l’acteur porno gay Rhyheim Shabazz. Avant de scroller ses 312 vidéos, on est prévenus: «Je suis pour la créativité, le respect, l’honnêteté et l’unité». Ici, les scénarios et la proximité construites sont «plus domestiques, plus réalistes», suggère Damian, très touché par ce compte. Sur fond de weed et de R&B, ça baise souvent sur un fauteuil gonflable au milieu d’une piscine. Soudain, l’hôte superstar, son caméraman et ses invités éclatent de rire parce que le Husky de la maison qui passait par là vient renifler, curieux, la bite de son maître. «On est pas ce genre de chiennes, baby.» C’est vrai qu’on est loin de Pornhub.

Blew Velvet ne sait pas si l’engouement durera après la pandémie. Pour lui, l’avantage d’OnlyFans est qu’il ouvre une conversation nouvelle et globale sur le rapport moral qu’entretiennent nos sociétés avec le travail du sexe. Davide, lui, est catégorique: «Bien sûr que ça a changé ma sexualité, je suis devenu le fantasme de milliers de personnes! Faire du porn en ligne ne m’aide pas seulement économiquement. Ça m’a apporté de la confiance et libéré sexuellement. Je me sens fort et indépendant.»

Nostalgie dystopique

Buzz estival à New York. Des jeunes se sont mis à poster sur leur OnlyFans des vidéos de plans culs tournés dans un spot de cruising bien connu depuis les années 70, tombé en désuétude avec la pandémie et l’avènement des apps. «C’est cool et désolant à la fois, soupire Blew Velvet, ça donne un nouveau souffle à des lieux oubliés tout en capitalisant sur l’aura secrète et sacrée qu’avait l’endroit». Alors, vertige libérateur ou dystopie accélérée de nos sexualités sur les écrans? On se demande bien à quoi ressembleront nos vies sexuelles quand on pourra socialiser de nouveau…