En Roumanie orthodoxe, le défi de rapprocher religion et droits LGBTQ+
Le chercheur Rémy Bonny poursuit son tour d'Europe des luttes pour les droits LGBTQ+ avec la Roumanie, où le militant Florin Buhuceanu tente de déminer le discours de haine religieux.
C’est le moins que l’on puisse dire: religion et droits LGBTQ+ ne vont pas toujours main dans la main. Depuis des décennies, de nombreux groupes religieux mènent une croisade violente contre nos communautés. Au sein de ces dernières, beaucoup continuent néanmoins à vivre leur foi, voire à se battre pour une meilleure acceptation et compréhension mutuelle. C’est le cas en Roumanie, l’un des pays les plus religieux d’Europe. Florin Buhuceanu y a cofondé l’association pionnière Accept. Ce militant préside également l’Église communautaire métropolitaine de Bucarest, une congrégation protestante LGBTQ-friendly.
«L’Église orthodoxe est très importante ici, elle reste une source d’autorité morale, de force et d’espoir, rappelle-t-il. J’ai toujours refusé de vivre une sorte de vie schizophrénique où mon identité religieuse serait coupée de mon identité gay. Tous deux sont importantes: je suis gay, chrétien et aussi un militant qui croit en l’indivisibilité des droits humains. La liberté de religion en fait partie, de même que les droits LGBTQ+. Réconcilier les deux n’est pas forcément facile, surtout en Europe de l’Est où la religion a souvent été ces dernières années exploitées pour attaquer nos droits et exclure les personnes LGBT de l’espace public.»
Dépénalisation tardive
Florin retrace son engagement à la période de transition post-communiste, durant laquelle l’homosexualité restait illégale en Roumanie: «Des gens ont été envoyés en prison à cause de leur orientation sexuelle jusqu’à très tard: l’année 2001. À l’époque, c’était un devoir moral de dire non à l’utilisation de la religion pour opprimer ma propre communauté.»
Les questions LGBTQ+ sont revenues sur le devant de la scène politique dès 2015, avec le lancement d’un référendum contre le mariage pour tous, signé par 3 millions de Roumains. Le clergé orthodoxe y a joué un rôle central, comme défenseur autoproclamé des «valeurs familiales». «Cela a normalisé beaucoup de discours dénigrants, constate Florin. On n’était plus dans un registre religieux, mais de haine pour des buts politiques.»
Perte de crédibilité
De fait, cette campagne a fait de gros dégâts de part et d’autre. «Le gouvernement a essayé de jouer la carte gay contre le pouvoir religieux, en soulignant que l’on risquait de s’écarter de notre destin européen. C’était une erreur politique majeure. De son côté, l’Église orthodoxe a enflammé les esprits. Elle s’est alignée sur des groupes extrémistes, y compris fascistes, mettant en cause la démocratie même.» Résultat: le référendum d’octobre 2018, boycotté par une large part de la population, n’a de loin pas atteint le minimum requis de 30% de participation (21,1%) et a donc été invalidé. Le militant estime que les autorités religieuses ne se sont pas tout à fait remises de cet échec à mobiliser le public, et y a perdu des plumes en matière de crédibilité.
Tout aussi inquiétante est l’ingérence croissante de lobbies ultraconservateurs russes (parfois en lien direct avec le Kremlin) et américains dans les affaires roumaines. «Tous utilisent le ressort de la religion comme un outil pour attaquer nos droits fondamentaux, remarque Florin. On doit rester vigilants et utiliser tous les moyens pour se protéger, surtout en cette période où les droits humains peuvent être suspendus sous prétexte de santé publique. Il est plus nécessaire que jamais de garder à l’œil cette influence russo-américaine qui cherche démoniser l’Ouest, à le décrire comme corrompu. Ce n’est pas de la rhétorique, c’est une attaque directe contre nos démocraties.»
Nous avons des intérêts communs. Ce qui manque actuellement, c’est un espace de dialogue, un ‘safe space’
Pour l’activiste, la meilleure parade reste le dialogue avec les croyants et les autorités religieuses. «Après tout, nous avons des intérêts commun: la liberté d’expression et d’assemblée, la lutte contre les discriminations. Ce qui manque actuellement, c’est un espace de dialogue, un ‘safe space’. On doit aussi équiper les militants LGBTQ, afin qu’ils aient des arguments face aux fondamentalistes, qui sont très habiles à monopoliser la carte religieuse.»