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Queeriser les luttes écologistes

Queeriser les luttes écologistes
Photo: Cy Lecerf Maulpoix

Invité du lancement de la campagne contre l'homophobie, la biphobie et la transphobie 2024 de la Ville de Genève, le chercheur, auteur et militant français Cy Lecerf Maulpoix présente sa démarche pour une écologie queer. Il y réfléchit sur ce que le capitalisme prédateur, les crises climatiques ou encore certains discours écologiques font sur les corps et les sujets.

Cy Lecerf Maulpoix, vous dites qu’il faut «queeriser» les luttes écologistes. Qu’entendez-vous par là?

L’écologie queer désigne la manière dont il est possible de repenser les concepts de nature, de lutter pour le soin du vivant en y intégrant des perspectives sur le genre et la sexualité non reproductive. Elle permet d’articuler la manière dont le capitalisme repose sur différents systèmes de domination et de prédation qui hiérarchisent les vies en fonction de leur genre, de leur sexualité, de leur race ou de leur classe. Elle invite à questionner les imaginaires et héritages normatifs qui affectent encore la manière dont la médecine, la religion ou l’écologie stigmatisent des corps ou des sujets comme malades, contre-nature ou déviants. Il s’agit de penser la vulnérabilité des personnes queer en temps de crise – effondrement climatique, pandémies… C’est ce qu’essaie d’articuler la Ville de Genève en ce moment.

Comment les crises affectent-elles particulièrement les personnes LGBTIQ+?

Dans des moments de crise sanitaire ou écologique, l’accès à un logement digne et sécurisant est particulièrement essentiel. Un tiers des personnes sans-abri sont LGBTIQ+! Autre exemple, celui des personnes LGBTIQ+ qui doivent quitter un territoire en raison d’une guerre ou d’un contexte socio-climatique délétère. On peut aussi citer l’accès au soin. Pendant la guerre en Ukraine s’est posée la question de l’accès aux hormones pour les personnes trans* ou aux antirétroviraux pour les personnes séropositives. Les personnes LGBTIQ+ sont particulièrement concernées par de multiples parcours de soin qui se voient menacés dès que la pression sur les systèmes hospitaliers ou médicaux s’exacerbe. Enfin, il y a évidemment toutes les formes de discours politiques réactionnaires qui instrumentalisent les questions minoritaires pour désigner des boucs-émissaires en temps de crise. De nombreuses formes de violences en découlent.

Quelles places ont les personnes queer aujourd’hui dans des luttes écologistes et sociales? Est-ce que leur perspective est prise en compte?

Dans certains espaces militants qui ont émergé ces dernières années, les choses commencent à bouger. Les récentes publications des Soulèvements de la terre intègrent la question des discriminations contre les personnes LGBTIQ+ et ils s’interrogent par ailleurs sur le concept de nature, sur celleux qui se voient rejeté·e·x·s hors d’elle par des idéologies réactionnaires. Plus récemment, ils ont signé la tribune qui appelait à la mobilisation contre la transphobie. De la même manière que des perspectives pour la justice sociale, écologiste et antiraciste commencent à coaliser, des engagements commencent à être pris par différents collectifs et organisations.

Comment expliquez-vous l’émergence récente de ces coalitions?

C’est en partie une question générationnelle: les 18-25 ans sont confronté·e·x·s depuis très jeunes à des crises et des formes de violences qui touchent différentes formes de vies et différents groupes sociaux. Sans doute saisissent-iels plus clairement le rôle joué par les États, les politiques et les multinationales dans ces formes ramifiées de domination. Ce n’était pas aussi évident il y a encore quelques années. Cela dit, j’ai toujours constaté que les personnes queer étaient particulièrement mobilisées, qu’il s’agisse des luttes contre de grands projets inutiles, en soutien aux personnes exilées, contre les réformes sociales portés par le gouvernement ou plus récemment, pour le soutien à la Palestine.

Est-ce que ces coalitions font naître de nouvelles manières de militer?

Dans les milieux militants que je fréquente, une attention particulière est portée sur la manière dont circule le pouvoir interne ou dont les décisions sont prises. On s’attache plus à mettre en pratique certaines notions, comme celle du soin, de ce que la lutte fait au corps et aux émotions. Ce sont des enseignements directement tirés des luttes féministes, queer et décoloniales. Ça a d’autant plus d’importance aujourd’hui que la répression des mouvements sociaux est particulièrement violente. À cause de la censure, la nécessité de la coalition apparaît comme centrale!

La rencontre avec Cy Lecerf Maulpoix aura lieu le mercredi 15 mai à 19h, à L’Espace Tiers-Lieu d’Après, chemin du 23-Août 1 (en face du Palladium), Genève . Entrée libre, sans inscription. Plus dinfos sur evenements.geneve.ch/17mai-geneve/

Pas de durabilité sans inclusivité

Lire Écologies déviantes – Voyages en terres queers, de Cy Lecerf Maulpoix (2021, réédité en poche en 2022). Éditions Cambourakis.