Amours fugitives
Quand les parents de Dalia ont appris qu’elle était lesbienne, ils se sont mis à tout contrôler. Pour pouvoir vivre son amour pour Steffi au grand jour, cette jeune Allemande d’origine libanaise a dû se résoudre à s’enfuir. Elle raconte.
Elles se sont aimées au premier regard. Quand Dalia* et Steffi*, 18 ans toutes les deux, se sont rencontrées pour la première fois par l’entremise d’une amie commune, ça a été le coup de foudre. Des SMS à n’en plus finir, des nuits passées à chatter sur Facebook. Bien que plusieurs dizaines de kilomètres séparent leurs deux villages, elles se sont débrouillées pour se voir le plus possible.
Si les parents de Steffi savent qu’elle est lesbienne depuis son adolescence, ceux de Dalia ignorent alors tout de l’orientation sexuelle de leur fille. Pour eux, Steffi n’est qu’une «amie». Dalia aurait pourtant aimé le dire à sa mère, qu’elle a toujours considérée comme sa meilleure amie. Elle n’ose pas, mais elle ne cesse d’envoyer des signaux : elle dit à plusieurs reprises à sa mère en parlant de Steffi qu’elle «l’aime», et elle l’invite même à dîner chez ses parents. «Un jour que j’étais toute seule avec ma mère à la maison j’étais à deux doigts de le lui dire mais elle a recommencé à parler de foi, du coup j’ai eu trop peur», se souvient Dalia. La jeune femme a grandi dans une famille musulmane conservatrice.
Comme un garçon
Ses parents la surveillent beaucoup, l’obligent à rentrer directement après les cours, lui interdisent de se couper les cheveux. Aujourd’hui Dalia les porte très court, sous une casquette. Il y a un an, elle était méconnaissable avec ses longues boucles brunes qu’elle détestait. Depuis qu’elle a pris la fuite avec Steffi, elle s’est réapproprié son apparence physique, a décoré son visage de quelques piercings discrets. «Je me sens plus comme un garçon. À la maison, c’était comme si je devais porter un masque.»
Le scandale a éclaté le jour où Dalia a oublié par mégarde son journal intime sous son oreiller. Quand elle rentre des cours, elle trouve sa chambre sens dessus-dessous. «Comment as-tu pu faire ça à maman?», lui demande son petitfrère. À partir de ce jour-là, ses parents ne lui adressent plus la parole.
Plus question de revoir Steffi, ni d’ailleurs de voir qui que ce soit en dehors des cours, plus d’ordinateur portable, plus de téléphone. Seul geste de son père : il démonte la porte de sa chambre, de façon à ce que toute la famille puisse voir à tout moment ce que Dalia fait à l’intérieur. Sa mère l’accuse d’être «possédée par le diable». Dalia réussit à tenir bon, à se débrouiller comme toujours : elle fait croire à ses parents que les cours se terminent plus tard. Deux fois par semaine, elle fait une heure et demi de route pour rendre visite à Steffi. Au bout d’une demi-heure, il est déjà temps de repartir si elle ne veut pas se compromettre.
Elle tient bon pendant six mois. Jusqu’à ce qu’un soir, elle surprenne une conversation entre ses deux parents, dans laquelle il est question de prétendues vacances d’été au Liban et de mariage arrangé pour sauver l’honneur de la famille.
«Il fallait prendre une décision. C’était soit la liberté, soit continuer à vivre à la maison comme si j’étais en taule»
C’est le déclic : «Il fallait prendre une décision. C’était soit la liberté, soit continuer à vivre à la maison comme si j’étais en taule», raconte Dalia. Elle s’enfuit de chez elle un jour après avoir obtenu son permis de conduire, au petit matin, dans la voiture d’une amie : «Je n’ai pas dormi de la nuit, j’étais toute habillée dans mon lit. Ma chambre était déjà complètement rangée. J’avais même déjà emballé ma couette et mon oreiller, car Steffi m’a dit qu’il valait mieux que je les emporte parce que ça coûte cher. J’ai aussi emporté mon ours en peluche. Alors que le parquet ne grinçait jamais, ce matin-là il a craqué à chacun de mes pas. J’ai entendu que ma mère était réveillée, mais elle ne s’est pas levée. [ …] Une fois dans la voiture je me suis rendue compte que j’étais pieds nus. J’ai dû remonter chercher mes chaussures le plus vite possible.»
Poursuite
Dans la lettre qu’elle a laissée à ses parents, elle leur a expliqué qu’elle partait pour être libre. Et que pour elle, «liberté ne signif[iait] pas boire de l’alcool». Dalia ne perd pas espoir de renouer un jour contact avec sa famille. Mais ce sera forcément «dans longtemps». Pendant un an, elle et Steffi ont fait le tour de l’Allemagne, dans divers lieux d’accueil. Contraintes de se balader dans la rue comme des stars qui veulent rester incognito, lunettes de soleil plaquées sur les yeux été comme hiver, par crainte d’être découvertes.
La famille de Dalia s’est lancée à leur poursuite, les a menacées de mort et de représailles des mois durant via son blog perso, a essayé de l’attirer en lui faisant croire que sa mère était malade… Après des mois d’errance, le couple vient enfin d’arriver à destination. Elles vivent depuis quelques mois dans une grande ville où elles se sentent désormais en sécurité. Chacune a réussi à trouver un job et une formation et elles ont enfin leur propre chez soi. «Ces derniers mois nous n’avions aucun contact avec l’extérieur, aucun ami car nous avions tellement peur que nous nous sommes isolées, explique Steffi. Aujourd’hui nous commençons à nouveau à vivre.»
* Prénoms fictifs