Violences sexuelles: l’Inde se mobilise
En Inde, un mouvement sans précédent tente de mettre fin à la culture du viol dans ce pays. Parmi les acteurs incontournables: des militants féministes et queers.
Lorsque le monde a appris le cas de viol en réunion de Jyoti Singh dans la capitale indienne le 16 décembre dernier, une onde de choc s’est propagée à travers la planète. Ce soir-là, alors qu’elle montait dans un autobus d’un quartier chic de New Delhi accompagnée d’un jeune ami, elle est sauvagement violée sans relâche par six hommes durant 90 minutes avant d’être matraquée à la tête et jetée par la porte du véhicule. L’ami de la victime, lui aussi battu pour avoir essayé de la protéger, témoigne que le chauffeur aurait également participé à ce sordide événement. Même avant la mort de la victime dans un hôpital singapourien le 26 décembre, les militants et sympathisants féministes et queers de New Delhi se sont manifestés partout en Inde pour condamner l’atrocité de cet acte et revendiquer un procès accéléré contre les accusés.
Le procès contre les agresseurs est en cours depuis début février, et le parlement indien planche sur un nouveau projet de loi qui imposera la peine de mort pour des viols fatals et raccourcira les durées d’attente pour la justice. L’intensité et la rapidité du mouvement a coïncidé avec une série de manifestations planifiées partout dans le monde le 14 février sous la bannière de «One Billion Rising» qui souligne le fait qu’une femme sur trois sera victime d’agression physique ou sexuelle dans sa vie, et que la violence misogyne persiste partout – et que pour y mettre fin, il faut une nouvelle stratégie. Que ce soit au Canada, aux Etats-Unis, en France ou en Inde, un vent féministe se lève. 360° a joint Deepti Sharma, militante lesbienne du collectif féministe Saheli à Delhi, pour essayer de comprendre ce qu’il y a derrière cette bouleversante réaction de la population indienne, et quel rôle jouent les personnes queers dans le mouvement.
Les féministes militent
Beaucoup de personnes dans le mouvement féministe sont queers», constate la militante à vie qui vient de témoigner à la Commission Varma, créée dans le sillage du viol de Jyoti Singh pour répondre aux revendications des féministes. «Lorsqu’on est allé devant la cour pour demander la décriminalisation de l’homosexualité (en 2011), on a expliqué que le contrôle de la sexualité fait partie des méthodes de contrôle de la vie des individus, tout comme le système de castes. Pour nous, les gens peuvent s’identifier comme queer sans nécessairement être homosexuel: c’est une identité qui s’applique à toute personne voulant rejeter le statut quo social.» La décriminalisation de l’homosexualité en Inde, longtemps revendiquée par les associations de lutte VIH/ sida et féministes, a bénéficié de la participation de toute une gamme d’associations sympathisantes: même les couples hétéros intercastes peuvent s’identifier comme queer parce qu’ils comprennent la force de la stigmatisation et de la tradition. Maintenant avec le nouveau projet de loi proposé pour rectifier la «culture du viol» en Inde, Saheli a exigé que les victimes lesbiennes, transgenres et hejira soient protégées par la loi en les nommant spécifiquement dans le texte. La reconnaissance du viol conjugal et du viol commis par les militaires s’avérera un plus grand défi, selon Sharma.
Le cas de Jyoti Singh, une étudiante en médecine âgée de 23 ans, est devenu un défouloir de la rage et de l’incompréhension de ce pays en voie de développement qui conjugue sans cesse la tradition et la modernité. Si le droit a transféré la charge de la preuve du viol de la femme à l’homme dans les années 1980, les manifestations de décembre ont témoigné du mécontentement général envers le système judiciaire de la plus grande démocratie du monde: en Inde, la période d’attente pour un procès de viol peut durer jusqu’à 5 ans; le viol conjugal n’est pas encore reconnu; et le pire, pour les femmes habitant le nord-est du pays, les soldats accusés de viol contre un civil sont à l’abri de poursuites pénales à cause des mesures d’urgence imposées dans la région.
Loin du compte
Même si le taux de conviction des accusés de viol en Inde est généralement supérieur à ceux d’autres pays démocratiques (26 % en moyenne), les attitudes misogynes font en sorte que les victimes d’agression sexuelle hésitent à déposer une plainte officielle à la police. Comme partout dans le monde, les statistiques du viol ne reflètent aucunement la dure réalité de la stigmatisation qui empêche les femmes d’attaquer en justice leurs agresseurs.
Pour Deepti Sharma, qui fait aussi partie de Nigah, une association de défense des droits queer, les manifestations qui ont eu lieu en décembre ont pu avoir un effet sur le gouvernement fédéral indien et sur le judiciaire de Delhi à cause du grand souci de la classe politique de représenter le pays comme un endroit paisible et progressiste pour les touristes et les investisseurs internationaux. «Nous avons organisé une marche pour ‘reprendre la rue’ la veille du jour de l’an, et afin de continuer la pression sur le gouvernement, celle du 21 février demandait, elle, que les recommandations féministes de la Commission Varma soient mise en place.»
Une punition avant tout
Toujours nuancée dans son approche, Saheli fait partie de la minorité des voix qui s’opposent également à l’application de la peine de mort contre les agresseurs, en essayant d’expliquer à leurs compatriotes que «ce n’est pas la sévérité de la punition qui importe, mais plutôt la certitude que l’agresseur soit puni. En ce moment, si tu es violée, tu es supposée le tolérer et garder le silence.» Le mouvement féministe et queer en Inde continue sa lutte: le silence n’y règnera plus.
partout dans le monde des femmes sont victimes de viol et partout les violeurs et les systèmes judiciaires même dans les pays occidentaux transforment souvent les victimes en coupables ou menteuses. Il faut exiger que la lutte contre le viol et les violeurs soit reconnue comme une Cause Internationale au niveau des gouvernements et de l’ONU. Il faut aider les associations féministes à venir en aide aux femmes (ou hommes!) victimes de viol