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Section 28, le sursaut de la prude Britain

Section 28, le sursaut de la prude Britain

En 1988, le Royaume-Uni de Mme Thatcher interdisait de parler d'homosexualité dans les écoles, comme le feront plus tard la Russie et, tout dernièrement la Hongrie. Londres mettra quinze ans à abroger cette loi désastreuse, la Section 28.

«J’appartiens à toute une génération de personnes queer qui ont la Section 28 dans le sang», témoignait récemment le comédien britannique Russell Tovey dans les colonnes du Guardian. Et pourtant, à 39 ans, il n’était encore qu’un enfant quand Margaret Thatcher a imposé cette loi draconienne interdisant la «promotion de l’homosexualité» dans le royaume.

On est alors en plein dans les eighties. Le pays se relève d’une longue période de marasme économique et s’improvise, à l’ombre du brushing mousseux de sa Première ministre, terrain d’expérimentation du néolibéralisme. Si les barrières tombent au niveau de la libre-entreprise, celles de la morale se renforcent. Les conservateurs au pouvoir s’inquiètent de l’activisme des groupes gay et lesbiens en plein essor depuis la dépénalisation de l’homosexualité, en 1967. Ces mouvements sont souvent soutenus par l’opposition travailliste, et parfois radicaux, comme le Gay Liberation Front qui défile aux côtés des mineurs en grève, une alliance improbable racontée par le film Pride (2014).

Panique morale
Et comme dans la Hongrie de Viktor Orban cette année, c’est d’un rayon littérature jeunesse que part l’offensive des milieux conservateurs contre le mouvement gay et lesbien. En 1983, le tabloïd Daily Mail rapporte qu’une bibliothèque publique propose un livre de photographies sur la vie d’une fillette et de ses deux papas, Jenny Lives with Eric and Martin. Le Parti conservateur de Margaret Thatcher, aidé par la presse de caniveau et certaines Églises, sort l’artillerie lourde. Voilà l’opposition accusée de distribuer dans ses municipalités des ouvrages encourageant l’homosexualité auprès «de petits enfants de 5 ou 6 ans!» s’alarme la baronne et députée Jill Knight. L’opinion publique se braque: en 1987, un sondage avance que 75% des Britanniques voient l’«activité homosexuelle» comme «néfaste», un bond de 15% par rapport à une enquête précédente, cinq ans plus tôt.

Pour sauver la morale en péril, la Section 28 est adoptée en 1988. Ce texte de droit administratif interdit aux collectivités publiques de défendre l’«acceptabilité de l’homosexualité en tant que relation familiale». Les protestations sont vives: 25’000 personnes défilent à Manchester le 20 février, un studio de la BBC est envahi par des militantes lesbiennes en plein direct le 23 mai; des artistes se mobilisent, comme Ian McKellen, Helen Mirren, les Pet Shop Boys et Boy George, lequel sort le single No Clause 28.

Immense gâchis
Formulée de façon vague, la Section 28 ne sera quasiment jamais appliquée. En tant que puissant outil d’autocensure, elle marquera néanmoins au fer rouge de nombreux profs (menacés de chasse aux sorcières) et élèves (livrés à l’homophobie)… «Le directeur de mon école pensait que si je choisissais la vie d’homosexuel, je finirais seul, raconte un témoin à la BBC en 2018. Alors il m’a outé devant mes parents. J’avais 10 ans. Mon monde s’est écroulé.» Pour le tout jeune Russell Tovey, «le message était clair: vous êtes un pervers, il n’y a pas de place pour vous. Vos options sont de rester au placard si vous voulez le succès et le bonheur, mais vous ne serez pas heureux de toute façon. Et si vous faites votre coming-out, vous aurez le sida, et personne ne vous aimera».

Un immense gâchis dénoncé par l’ONG Stonewall. Créée en 1989, elle contribuera à l’abrogation du texte, qui n’interviendra laborieusement qu’en 2000 en Écosse et en 2003 dans le reste du Royaume-Uni. Cette loi laisse un goût amer à ceux qui l’ont défendue. David Cameron fait son mea culpa en 2009, avant de devenir le Premier ministre conservateur qui instituera le mariage pour tou·te·x·s. Même la baronne Knight, 97 ans aujourd’hui, a admis du bout des lèvres «s’être peut-être trompée» en réagissant à «ce que les gens et les journaux disaient». Souhaitons que d’autres politiciens, par exemple en Hongrie et en Russie, deux pays dotés de lois contre la «propagande homosexuelle», fassent de même un jour.

Les Britanniques, elles·eux·x, ont eu le courage de réparer les dégâts en instituant dans les écoles un LGBT History Month. Chaque année au mois de février, les élèves ont l’occasion d’explorer en classe la mémoire d’une diversité longtemps occultée et de se rappeler qu’en matière de conquêtes sociales, rien n’est jamais acquis.