Prince Maury
Touche à tout de talent, il est à la fois acteur, réalisateur, scénariste et chanteur. On l’a adoré en Hervé touchant dans la série à succès Dix pour cent et en fils-amant ultra-jaloux dans son premier long métrage Garçon Chiffon. Il nous parle sans détour de théâtre, de violence, de deuil et de masculinité: rencontre avec Nicolas Maury qui jouera Le prince de Hombourg à Lausanne et Genève en décembre.
Dans ce projet d’Un prince de Hombourg, qu’est-ce qui vous a plu?
Nicolas Maury: Déjà c’est un grand «oui» pour Robert Cantarella. Je suis plutôt quelqu’un qui fonctionne en termes de forme, je dis d’abord «oui» à un metteur en scène avant un rôle. C’est avant tout une aventure artistique et collective, une situation. Comme dans une recette de cuisine, il faut savoir quel chef il y a, ou alors si on ne connaît pas le chef, se dire que les ingrédients sont radicaux et courageux. Avec Robert Cantarella, c’est une aventure au long court qui date de 2005. On a fait une vingtaine de spectacles ensemble. Et chaque été, on se rend dans sa maison du sud de la France. On se met face à la rivière et Robert dit: «Cet été, on pourrait lire ça», et on essaie, un peu comme en cuisine. C’est dans ce cadre-là qu’on a lu Le prince de Hombourg.
Ce texte est du XIXe, est-il encore actuel?
Aujourd’hui je trouve qu’il y a beaucoup de théâtre «à message», comme si on se servait de l’art pour communiquer, soigner, réparer, faire du vivre-ensemble. Alors que je pense que c’est l’endroit de la poétique. On oublie que l’art poétique, la poésie, c’est plutôt quelque chose qui soulève, bouscule, va vers un résultat du monde qui est indécidable.
Dans Le prince de Hombourg, il y a un homme qui dit «non» au père. Il dit «Je préfère la mort» alors qu’il est puni pour une faute qui n’est pas très grave. Il met le père face à une décision trop rigide et en mourant devant son peuple, il veut faire un exemple de l’absurdité de la raideur des pères. Cet exemple-là, je trouve qu’il est actuel et contemporain: la jeunesse qui se réveille contre les pères, qui tend le miroir absurde, monstrueux et fragile au père, sur la virilité, sur la paternité…C’est très queer!
Est-ce que c’est une pièce qui vous parle par rapport à votre âge, 43 ans?
Oui, le metteur en scène et moi avons eu tous deux des deuils très profonds cette année. De les traverser, de subir ces désastres de la vie, ça sonne. Qu’on le veuille ou non, il faut traverser des déserts, des états qui entament. La vie, ça entame. Comme interprète, je suis un instrument qui travaille, comme le bois travaille. Je suis travaillé par la vie et forcément le son qui sort n’est pas le même. L’âge, le vieillissement, la maturité, je n’aurais pas pu interpréter comme ça ce rôle-là plus jeune.
On peut dire du théâtre qu’il est votre premier amour. Quel en est votre premier souvenir?
C’était un sketch des Inconnus dans lequel je jouais, au centre aéré de ma ville. J’avais une perruque et je disais toujours «Stéphanie de Monaco» et la salle était hilare. Je sentais comme un feu en moi, une espèce de tension incroyable. Je me souviens de la chaleur des projecteurs jaune-orange… et de voir cette masse noire vibrante, comme un animal que je n’allais jamais apprivoiser. Moi qui étais si timide et embarrassé, je me sentais très à l’aise. Voilà mon premier souvenir.
Robert Cantarella dit de la pièce qu’elle commence comme «une palette de comportement inadaptés» et le personnage que vous interprétez peut être lu comme une sorte d’anti-héros classique. Tout comme vos personnages de Hervé dans Dix pour cent ou celui de Jérémie dans Garçon Chiffon. Est-ce que ce genre de rôle vous touche particulièrement?
Le parallèle Jérémie et Hombourg me semble très juste. J’ai voulu créer un jeune homme d’aujourd’hui qui est un soldat de la fragilité. Il n’en est pas moins fort pour autant. Je voulais mettre au centre quelqu’un qui est souvent sur le côté. Je voulais mettre en scène ce que plein d’hommes appellent des faiblesses, des comportements insupportables dans les zones de la virilité. En ça pour moi Jérémie est très viril, il se dresse, s’élève.
Le prince de Hombourg n’a pas de père – tout comme Jérémie dont le père se tire une balle dans la tête au début du film. Il y a quelque chose sur le suicide des hommes: ils sont souvent suicidaires, concrètement ou métaphoriquement. En ça ils peuvent être bouleversants, ce vertige pour le malheur, l’ivresse de soi.
Hervé dans Dix pour cent est plutôt quelqu’un que j’ai aimé, que j’ai montré dans les télés françaises, sans penser que ce serait montré dans les télés du monde entier. C’était pour donner des exemples de façon très populaire, pour qu’il y ait des dialogues entre les pères et les fils. Un père qui aime la série, qui rigole sur le comportement d’Hervé et qui à table a un fils et lui dit «Arrête de faire ton Hervé»… C’est arrivé plusieurs fois, c’est pour ça que j’en parle. Ça m’a bouleversé. Je n’avais pas ça à 14 ans, ce genre de miroir, en famille. Ça a permis de montrer aux parents que si le fils est homosexuel, ce n’est pas très grave. C’est pour ça que j’ai «chargé la mule», pour Hervé. Je voulais qu’il soit très populaire.
C’est facile de taper sur un personnage public. C’est de bonne guerre, je ne vais pas me plaindre, mais parfois c’est compliqué. On se fait à la fois assujettir par les hétéros, parfois par les hommes gais aussi. Il faut être sacrément costaud
Par rapport à Hervé justement, une partie de la communauté homosexuelle masculine n’a pas été tendre avec vous, sur le fait de proposer cette représentation-là.
Je ne suis pas étonné. Je peux comprendre qu’il y ait des crises identitaires, qu’on aime bien chercher la petite bête, mais faire un procès à une personne… De façon plus personnelle, récemment j’étais au Rosa Bonheur un dimanche soir, seul. Plein de gens sont venus vers moi pour me dire des choses très gentilles. Une bande d’hommes me parle, me demandent un selfie. C’était très sympa. Sur le chemin en rentrant chez moi, je me retrouve derrière eux. Ils étaient cinq ou six. Ils parlaient de moi très fort, en rigolant. Leur comportement était d’une violence inouïe, alors même qu’ils m’avaient demandé mon compte Instagram, m’ont écrit. J’ai écouté, ça m’a violenté. Se lâcher entre amis on a le droit, sauf que j’étais derrière… Je ne peux pas dire les mots, parce qu’ils étaient très cruels. En ligne, tous m’ont envoyé un cœur, un «merci». Je leur ai répondu individuellement pour leur parler de leur comportement hypocrite, destructeur, homophobe. Ensuite j’ai bloqué leurs comptes. Ça, pour moi, c’est à l’image du comportement suicidaire que je mentionnais auparavant. Flaubert dit: «Le jour où j’ai arrêté de juger j’ai commencé à écrire.» C’est facile de taper sur un personnage public. C’est de bonne guerre, je ne vais pas me plaindre, mais parfois c’est compliqué. On se fait à la fois assujettir par les hétéros, parfois par les hommes gais aussi. Il faut être sacrément costaud.
Dans Têtu· vous avez dit: «J’ai été l’un des premiers à ne rien cacher tout en étant très populaire». Pour vous, c’est une chance, un poids?
Je suis issu du combat pour aller plus haut que là d’où je viens et que ce que je suis. Je viens de l’aristocratie du peuple, comme dit Pasolini. J’ai grandi dans le Limousin. Je ne suis pas «fils de personne», parce que mes parents ne sont pas personne, ce sont des gens extraordinaires, mais je ne suis pas dans un héritage culturel. Dans la cour d’école c’était très violent pour moi. La violence ne me fait pas peur. Si j’avais été une petite nature, je ne serais pas encore debout aujourd’hui. Je fais ce métier depuis 27 ans, je ne crains pas mon image. Ce qui peut m’angoisser, c’est quand un rôle est fonctionnel. Quand en 2023 on me propose encore quelque chose de schématique et de caricatural, là je sors les griffes…
Quels sont vos prochains projets, Nicolas Maury?
Je vais jouer dans la prochaine série événement de France 2 qui s’appelle Ça c’est Paris. C’est l’univers d’un cabaret parisien, avec Monica Bellucci. Ça devrait être diffusé à la rentrée prochaine. Je joue un garçon d’aujourd’hui qui ne se définit pas, comme j’ai pu en rencontrer à Berlin. Ils sont plus avancés que nous – à Paris en tout cas. Tout à coup, ces hommes qui sont avec des filles, ils s’amusent. Je leur demande: «Toi tu es bi? Non, je ne suis pas bi, mais toi tu es sacrément Parisien», me répondent-ils. Et je me sens complètement réac, et j’adore ça! Ils me réjouissent, ces gens qui ont entre 20 et 25 ans aujourd’hui, ces hommes qui m’ont réveillé sur plein de choses. Et en tant qu’interprète, je suis obligé d’en faire part.
Je travaille aussi sur un projet qui sera comme un livre ouvert sur la relation aux hommes. Que ce soit une femme qui est la maîtresse d’un homme ou mon personnage qui sera l’amant d’un homme marié à une femme. L’occasion heureuse pour moi de m’approcher du territoire masculin, comme si je prenais un petit bateau pour aller voir un oiseau migrateur très rare. Pour moi c’est très important et ma vie en témoigne. Dans mes chemins, mes errances nocturnes, parfois je rencontre des hommes de tout genre, de tout style. Ils me parlent de choses que je ne retrouve pas dans les films que je trouve très schématiques, très contextualisés à une histoire. J’ai l’impression que c’est mon endroit, de nuancer beaucoup de choses, d’être impoli, de ne pas être chichiteux, de ne pas être trop pudibond… Je trouve important de donner du mystère à l’homme, comme il y en a eu pour la femme, de le regarder avec amour et tendresse, et netteté, de se rapprocher du corps de l’homme, de la sexualité de l’homme. Je suis très proche des femmes, j’ai été élevé par elles. J’ai l’impression, même si on ne connaît jamais rien, que c’est comme un pays, un territoire que j’ai fréquenté et que je fréquente encore. Alors que l’homme, j’ai toujours mis un recul. Là j’ai envie de m’approcher.
Lausanne, théâtre de Vidy, du 6 au 10 décembre vidy.ch
Genève, théâtre Saint Gervais, du 13 au 15 décembre saintgervais.ch
Yverdon, théâtre Benno-Besson, le 18 janvier theatrebennobesson.ch