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«T’es clean?» ou comment la sérophobie quotidienne s’immisce dans la vie des personnes vivant avec le VIH

«T’es clean?» ou comment la sérophobie quotidienne s’immisce dans la vie des personnes vivant avec le VIH

Malgré la révolution TasP («traitement comme prévention»), le poids de la malformation et des représentations autour du VIH continue de peser lourdement sur la vie des personnes concernées.

«Oh ça va, je peux boire dans ton verre, t’as pas le sida, lol». Combien de fois avons-nous entendu cette blague grasse et rance héritée du pire des années 90? Si cette vanne pourrie nous dit toute la persistance d’idées reçues autour du VIH/SIDA, elle est aussi la partie émergée de la sérophobie bien ancrée dans l’espace public. Une somme de discriminations, de comportements de rejet et de violences à laquelle les personnes vivant avec le VIH sont confrontées dans leur quotidien même le plus intime.
 
C’est particulièrement dans la vie affective et sexuelle que s’infiltre cette sérophobie. À commencer, notamment pour les hommes gais, par les applications de rencontres. Xavier, aubonnois de 45 ans, raconte: «Au début, sur Grindr, j’indiquais mon statut sérologique par honnêteté et de manière à régler directement la question du VIH. Ce qui n’évitait pas certains désagréments. La plupart des mecs ne lisant pas complètement le profil, ce qui fait que souvent, j’avais le droit à la question détestable “t’es clean?” comme si le fait d’être séropo faisait de moi quelqu’un de sale…Ensuite, beaucoup de ceux qui avaient détaillé mon profil après m’avoir contacté finissaient par me bloquer ou me dire des choses comme “ah, tu as le sida, non merci”. De son côté, Paul, 36 ans, militant associatif, a remarqué des changements lorsqu’il a commencé à indiquer son statut sérologique. «J’aime bien partir seul avec mon sac à dos et c’est souvent l’occasion de faire des rencontres. En général, quand tu débarques dans une ville, tu es très sollicité sur les app. Seulement, à partir du moment où j’ai indiqué mon statut, j’ai fait le constat d’une sérophobie passive: je recevais beaucoup moins de messages, voire pas de message du tout.» Cette hostilité latente est une des raisons qui ont poussé Paul à délaisser les apps et à privilégier la fréquentation des saunas et autres lieux de consommation sexuelle où il y a moins de discussions préalables. 

«I=I», un message biaisé par des représentations erronées
Aujourd’hui, ceux qui font le choix de continuer d’utiliser des apps comme Grindr mettent en place des stratégies afin de régler la question de la protection contre le VIH sans pour autant se dévoiler. David Jackson-Perry, sociologue spécialiste en santé sexuelle et chargé des projets VIH à la Consultation des maladies infectieuses du CHUV explique: «Beaucoup préfèrent désormais indiquer qu’ils sont sous PrEP.» Mais, une fois le premier moment d’intimité passé et lorsque l’envie de se revoir est là, le souci d’honnêteté peut également exposer à des réactions qui vont du ghosting aux violences. «Il y a des personnes qui se barrent directement et claquent la porte, d’autres qui ne décrocheront plus leur téléphone», témoigne Yannick, 50 ans, qui a choisi de toujours parler ouvertement de sa condition à ses partenaires.
 
Comment analyser la violence de ces réactions alors que le sentiment de peur et de rejet n’aurait pas lieu d’être, puisque que les personnes positives sous traitement ne transmettent pas le virus? D’abord par un manque criant d’information. Une enquête réalisée pour le CRIPS Île-de-France (Centre régional d’information et de prévention du sida) et rendue publique le 1er décembre 2023 met en évidence la persistance de croyances erronées vis à vis du VIH: seulement la moitié des personnes interrogées estiment notamment qu’il existe un traitement pour empêcher de transmettre le virus chez les personnes séropositives – et ignorent donc le TasP et la notion de «I=I» (voir encadré). «C’est un des gros ratés de la prévention, le message autour de cette équation ne passe pas», commente David Jackson-Perry, qui déplore que cette ignorance existe également au sein de la communauté LGBTIQ+, pourtant supposée bien informée. Et comme le souligne Yannick, «Quand bien même les gens ont entendu parler de ce “I=I”, ils doutent de sa véracité et restent méfiants.»
 
En outre, soulignant que les PrEPeurs, protégés de fait contre une infection au VIH et censés disposer de toutes les informations, peuvent avoir des paroles extrêmement dures et stigmatisantes à l’égard des personnes vivant avec le VIH, le sociologue signale que l’ignorance n’explique pas tout. «Cette stigmatisation est également très liée à la persistance de représentations culturelles extrêmement fortes», explique t-il. Xavier expose: «Certains PrEPeurs nous prennent de haut. Pour eux, être séropositif signifie que tu as fait n’importe quoi, que tu ne t’es pas protégé, que tu es une pute.» Le slut shaming n’est en effet jamais loin et il peut aussi, selon les cas, être parfois teinté de biphobie ou de racisme.
 
La charge mentale de la sérophobie
La sérophobie ne s’infiltre pas uniquement dans le domaine de la vie affective et sexuelle. Elle se répand également au sein de la famille et du cercle d’amis: «L’annonce de ma séropositivité a effectué un tri naturel», témoigne ainsi Xavier. De plus, elle est aussi présente dans les milieux du travail et de la santé. «S’il existe des cas de refus de soin, notamment par des dentistes, se présentent aussi beaucoup de situations qui rendent la prise en charge médicale très inconfortable et compliquée. Les soignant·e·x·s font bien comprendre à la personne qu’elle est indésirable: port de double gants, rendez-vous uniquement en toute fin de journée, questionnaires intrusifs….» explique David Jackson-Perry. Il ajoute: «Cela n’est pas sans conséquence pour la santé, puisque les personnes concernées n’osent tout simplement plus consulter.»
 
Face à tout cela, les personnes concernées encaissent, mais à quel prix? Celui, souvent, de leur santé mentale. D’abord parce que nombreux sont ceux qui intériorisent cette sérophobie. «On se vit un peu comme celui qui l’aurait bien cherché. L’incessante crainte d’être rejeté peut réveiller un sentiment d’insécurité personnelle et a un impact considérable sur l’estime de soi et la relation aux autres», témoigne Paul. Ensuite parce qu’il s’agit de faire face à un dilemme: dire ou ne pas dire sa séropositivité? «Certains dépensent une énergie considérable pour cacher leur statut. Or, vivre dans le secret est une charge mentale immense potentiellement très nocive pour la santé physique et psychologique», souligne David Jackson-Perry. Mais, dans le même temps, si révéler son statut soulage et permet d’obtenir du soutien, c’est aussi le risque de s’exposer à des discriminations. «Assurément, tout le monde ne vit pas dans un environnement favorable pour le dire» regrette le sociologue. Ainsi, si Paul a pensé la révélation de sa séropositivité comme un second coming out libérateur, il explique aussi: «C’est une autre charge mentale que de dire son statut car dès lors, il nous incombe la nécessité d’expliquer, d’accompagner la personne en face dans sa compréhension du VIH, d’informer… quitte à s’exposer à du rejet.»
 
Qu’ils soient dans le placard ou non, certains parviennent à trouver un équilibre, mais les personnes vivant avec le VIH continuent aujourd’hui encore de compter parmi les plus exposées au risque de dépression et d’addiction. C’est une des raisons pour lesquelles nous devons tous·tes·x avoir conscience de cette sérophobie, en faire un enjeu communautaire et participer à l’information autour du VIH.
 
 

L’équation à retenir: I=I («indétectable = intransmissible»)

Aujourd’hui, les personnes vivant avec le VIH et qui prennent depuis au moins 6 mois un traitement anti-rétroviral ont une charge virale extrêmement basse, si basse qu’elle est indétectable lors des analyses effectuées en laboratoire. Si basse aussi que le risque de transmission lors d’un rapport sexuel sans préservatif ou par voie sanguine est absolument nul. C’est pour cela que l’on dit «indétectable = intransmissible» et que l’on parle d’une «révolution TasP».