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Emeric Cheseaux et les mots valaisans

Emeric Cheseaux et les mots valaisans
Emeric Cheseaux. Photo: Andreas Eggler

Le jeune comédien romand présentera du 7 au 12 novembre une nouvelle mouture de sa pièce La révérence au Théâtre des Halles à Sierre. Rencontre avec un artiste à qui l’on promet une belle carrière. 

Au commencement, il y a une rencontre fortuite avec le théâtre pour le jeune Emeric alors qu’il étudie au collège des Creusets, à Sion. C’est quasiment une révélation, et elle pousse le Saillonin, après cinq ans dans la troupe scolaire, à s’engager dans une formation qu’il débute au Conservatoire de Genève avant de rejoindre La Manufacture de Lausanne. La révérence, c’est justement le spectacle de sortie d’études qu’il présente pour la première fois face à ses collègues de la Haute École des Arts de la Scène de Lausanne, en 2022. Seul sur scène, avec à peine quelques accessoires, l’artiste de 25 ans incarne les figures qui ont peuplé ses jeunes années valaisannes. Extrait:
«Asetate, Emeric. Qu’ess’tu fais maintenant comme métier ? […] Mais, mô, t’aurais bien vu là, grand comme tu es, avec un beau costume: professeur des écoles au village, don? Parce que tô tu sais assez hein, tô tu sais, monstre que ti. Pourquoi tu veux pas rester ici, hein?»

Un vocabulaire rural, des inflexions locales et des mots de patois qui raisonnent rarement dans les salles de théâtres. Emeric Cheseaux nous détaille sa démarche: «J’ai travaillé sur le langage pour dire que la langue de mon enfance, la langue d’où je viens peut avoir une portée artistique. J’ai enregistré les personnes de mon entourage et ainsi récolté des mots, des expressions singulières. De là, j’ai pu faire des monologues et à travers le langage utilisé, identifier les mots récurrents, les obsessions de ces personnes pour en dresser de vrais portraits.» 

Cette réappropriation de son héritage culturel émerge d’ailleurs lors d’une visite de la Manufacture avec son père et sa mère, quand une de ses camarades de classe française ne comprend pas tout ce que les parents de l’étudiant valaisan disent. «Ça m’a marqué et je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse quelque chose, de ces mots» se souvient-il, amusé. 

Une métaphore pour d’autres altérités

Des études dans les villes romandes donc, mais une attache à sa région d’enfance qu’il ne renie pas: «Ce spectacle parle de l’adolescence, de ce besoin de s’affirmer, de comment on se construit. J’avais besoin, comme beaucoup, de m’affirmer dans l’opposition. Partir, ça m’a permis de revenir, en prenant ce que je souhaite de mon héritage et du lieu. Maintenant le Valais, c’est un lieu de ressourcement.» Une vie entre ville et campagne qui nourrit le travail du jeune artiste et qu’il partage avec ses collègues: «Très vite, quand je suis arrivé à la Manufacture, j’avais envie de réunir ces deux mondes. J’ai emmené ma classe en Valais, pour que les gens comprennent d’où je venais, et en même temps j’avais besoin de montrer le théâtre aux gens de mon enfance, pour qu’ils ne se sentent pas exclus de ce monde-là.»

Le seul en scène proposé parle justement de cette distinction ville/campagne et du choix de faire de sa passion un métier, utilisant l’annonce de cette décision professionnelle comme métaphore à d’autres altérités: «J’avais envie de parler de la différence de manière générale, et pour moi parler de ce coming out professionnel auprès de ma famille, c’était une façon de parler de mon coming out sentimental et sexuel. Il y a une forme de pudeur par rapport à ceci de la part de mon entourage, même si ça a été bien accepté.» Une fierté affichée jeune, donc, tout en étant évoquée de manière évasive par ses proches. Emeric détaille: «Ça passait tout le temps par des phrases comme “Tu as tout le temps froid” ou “Tu parles pas comme nous”. Autant de remarques détournées pour parler de ma différence, parce qu’on n’a pas les clés pour l’aborder autrement. Finalement ce coming out professionnel c’est ceci également, on dit “Tu es un théâtreux” alors que le nœud de la discussion se trouve ailleurs.»

Une grand-mère entre rires et larmes

Quand on lui demande la manière dont le spectacle a été reçu dans les différents lieux où il a été présenté, Emeric Cheseaux répond, enthousiaste: «À Fribourg et en Valais, cantons ruraux et catholiques, il y a une double réception: les gens se reconnaissent et sont accueillants du fait qu’on parle d’eux, avec leurs mots. Et en même temps, mon point de vue sur les choses peut heurter. Typiquement, le personnage de la grand-mère fait beaucoup réagir, avec une partie du public mort de rire et une partie qui pleure d’émotion. C’est vraiment quelque chose que j’aime, quand on ne sait pas trop où ça peut partir.» Suivant le public, une lecture différente de La révérence est faite donc. Une occasion en or pour déconstruire les stéréotypes citadins sur la campagne:  «À Genève, quand on ne connaît pas le milieu valaisan, on parle de caricature, alors que pour les gens de mon entourage ce n’est pas du tout le cas. Ce mélange de publics est émouvant pour moi, ce sont les deux mondes dont je fais partie que j’arrive à réunir. C’est à quelque part mon but.»

Lorsqu’il évoque les inspirations pour son travail, Emeric Cheseaux nomme Annie Ernaux, ou encore Zouc, tout en réussissant à distinguer clairement les éléments de filiation et ceux vis-à-vis desquels il s’est détaché: «Ernaux a influencé tout le départ de ce projet: se fixer sur le langage, travailler à partir de ça. De manière générale, j’avais envie de parler de mon parcours, mais plus que ça encore, j’avais envie de parler de mon entourage.» Un travail sur et avec les gens du cru, donc, que le comédien fraîchement diplômé offre sans faux-semblant ni condescendance.

Ce point de vue singulier fait mouche, et c’est ainsi que le directeur du Théâtre des Halles de Sierre, Julien Jacquerioz, propose une résidence de trois semaines au jeune acteur. L’objectif est clair: offrir une nouvelle mouture de La révérence. Interrogé sur cette version remaniée qu’il s’apprête à mettre en scène, Emeric Cheseaux nous confie: «Le spectacle fonctionne dans sa forme actuelle. Mon objectif est de continuer dans la même ligne, représenter sur scène des personnages que je n’ai pas encore exploré, comme par exemple mon frère. On retrouvera aussi mes amies, ce sera un moyen d’aborder la sexualité des adolescents. Ça sera l’occasion aussi de montrer un garçon qui a un lien intime avec les filles, comme elles peuvent l’avoir entre elles habituellement.» Une version nouvelle qui sera présentée pour la première fois à Sierre et qu’on trépigne déjà de pouvoir découvrir. 

La révérence Théâtre des Halles, Sierre. Du 7 au 12 novembre. Plus d’infos sur theatre-leshalles.ch