Richie Nath: «Exprimer cette partie de moi que j’ai longtemps dû dissimuler»
Cela fait tout juste un an que Richie Nath, jeune peintre-illustrateur birman, est arrivé à Paris. Accueilli par l’Atelier des Artistes en Exil, il poursuit sa carrière artistique et se fait à sa nouvelle vie parisienne.
«Quand je suis parti étudier en Angleterre, ma famille n’acceptait pas mon orientation sexuelle, mais cela m’était égal…», confesse le jeune peintre, envoyé dans un internat anglais à l’âge de 16-17 ans. Il poursuit ensuite des études en illustration de la mode, au London College of Fashion. Son Bachelor en poche, Richie Nath revient vivre dans son pays, qu’il a quitté adolescent. C’est à cette période qu’il entame réellement sa carrière d’artiste. Le jeune homme, né d’un père hindo-bouddhiste et d’une mère chrétienne, s’intéresse à la mythologie hindoue, aime l’art grec et ses sculptures dénudées, et s’inspire des légendes indo-birmanes ayant bercé son enfance. Il crée un univers coloré, dont les personnages rappelant les miniatures mogholes ont des postures «extrêmement gaies et sensuelles», selon ses termes. «J’exprime ainsi cette partie de moi que j’ai longtemps dû dissimuler», explique le natif de Rangoon.
«Plus je restais, plus je risquais d’être arrêté»
«A mon retour en Birmanie, j’étais adulte, et c’était différent. Je me suis fait des ami·e·x·s et je travaillais en tant qu’artiste, les mentalités avaient évolué», se souvient-il. Richie n’est de retour dans son pays que depuis trois ans, lorsque le coup d’état du 1er février 2021 renverse le pouvoir en place. Peu de temps après, il peint une œuvre politique, intitulée Bitch better have my democracy, contre le régime militaire. «J’ai vendu des copies de cette peinture, et reversais les bénéfices au Mouvement de Désobéissance Civile», raconte l’artiste militant. «Les personnes de ce mouvement étaient en grève, et n’avaient comme moyen de survie que les donations. Je souhaitais donc les soutenir». Le jeune homme est rapidement dans le collimateur de la junte, qui arrête son père. «Plus je restais, plus je risquais d’être arrêté à mon tour, et ma mère insistait pour que je quitte le pays».
Richie se décide alors à fuir, mais ne sais pas où aller. L’Institut français de Birmanie peut l’aider à rejoindre la France, ce qui lui convient. «Il se trouve que l’institut était en contact avec l’Atelier des artistes en exil, basé à Paris», précise l’artiste. «Judith Depaule, la fondatrice de l’association, est même venue me chercher à l’aéroport!».
Avant son arrivée dans la Ville Lumière, le jeune Birman nourrissait certains a priori à l’égard de ses habitant·e·x‚s, qu’il imaginait peu sympathiques… «Paris est une ville magnifique, et cette réputation des Parisien·ne·x·s qui seraient désagréables, ce n’est vraiment pas ce que j’ai vécu. Tout le monde a été tellement gentil avec moi! Paris est très gay-friendly me semble-t-il». Richie est logé dans un foyer mais pourra bientôt obtenir son propre logement. L’Atelier des Artistes en Exil met par ailleurs un atelier à sa disposition, pour qu’il puisse peindre dans de bonnes conditions.
«C’est incroyable qu’une telle structure, accueillant des artistes du monde entier, existe!», s’enthousiasme Richie. «C’était vraiment une bonne surprise! En plus, il ne semble pas y avoir de structure équivalente ailleurs… On aurait pu imaginer d’autres pays mettre cela sur pied, mais non, c’est en France que ça s’est fait!»
L’association qui a assisté le jeune plasticien dans sa procédure d’asile, lui permet de côtoyer des artistes de tous horizons. «Ces derniers temps, il y avait beaucoup d’Afghan·ne·x·s, et maintenant, des Ukrainien·ne·x·s et des Russe·x·s arrivent. Tous ces gens se retrouvent dans une situation identique, du fait de circonstances qu’ils ne contrôlent pas… » observe Richie, pensif.
Le statut de réfugié qu’il a obtenu lui permet maintenant de voyager dans la plupart des pays. Il ne parviendra toutefois pas à se rendre à Miami, où il sera exposé dans le cadre d’Art Basel, à la fin de cette année. «Je vais encore peindre quelques croquis en rapport avec la révolution birmane, mais pour ce show à Miami, ce sera davantage lié à mes émotions, à l’exil, et au temps que j’ai passé à Paris».
Richie n’a pas encore de site Internet, mais ses œuvres sont visibles sur sa page Instagram @richiehtet, via laquelle il peut être contacté.
Co-fondé par Judith Depaule et Ariel Cypel, l’Atelier des artistes en exil (AAE) accompagne et accueille les artistes migrant·e·x·s depuis 2017.
«En 2015, alors qu’Ariel et moi dirigions le théâtre Confluences, nous nous sommes demandés pourquoi les espaces culturels ne pourraient pas contribuer à l’accueil des migrant·e·x·s en les hébergeant en leur sein», raconte Judith Depaule. Elle lance alors le mouvement Ouvrons nos lieux avec son associé, et des réfugié·e·x·s sont accueilli·e·x·s dans le théâtre. Dans la foulée, les deux associés créent dans ce lieu «en péril», car lourdement endetté, le festival Péril Syrie, avec des artistes syriennes. «A cette occasion, nous avons rencontré beaucoup d’artistes en exil, qui nous ont exprimé leur désarroi, ne sachant comment poursuivre leur carrière». De fil en aiguille, l’Atelier des artistes en exil voit le jour.
Subventionnée par les ministères de la Culture et du Travail, ainsi que par la Mairie de Paris, l’association basée rue d’Aboukir (2ème arr.) vient d’ouvrir une antenne à Marseille. Les quelque 300 artistes qu’elle suit ont accès à des cours de français et au programme «apprendre le français par l’art», s’appuyant sur une série d’expositions à l’année. «Nous faisons également en sorte que tous les artistes de l’association intervenant sur le champ public soient rémunérés», souligne Philippe Boulet, attaché de presse d’AAE.
L’association n’a pas à démarcher les artistes, qui s’y dirigent d’elles·eux-mêmes. «Le réseau d’accueil des migrant·e·x·s aiguille les artistes vers nous, et le bouche-à-oreille fonctionne également très bien», observe Judith Depaule. «Récemment, des artistes afghanes et birmanes ont fait appel à nous avant même d’avoir quitté leur pays!»