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Un grand récit national des visibilités

Un grand récit national des visibilités
De g. à dr.: Rachel Maddow, Margaret Cho, Janet Mock, puis Lena Waithe, Billy Porter et Ellen De Generes.

Les cinq épisodes de la série documentaire «Visible: Out on Television» racontent 70 ans d’une histoire mouvementée des représentations LGBTQI+ sur les petits écrans étasuniens... et forcément aussi un peu sur les nôtres.

C’est une toute autre histoire de confinement. La planque forcée de minorités. Et la télévision fut. Et dans le sillon de cet accès à la vie des autres, on découvrit nos existences singées, honnies ou fièrement affirmées jusque dans le salon ou la chambre à coucher du bon foyer américain. Un patchwork de noms, d’icônes, d’instants télé – certains cultes, d’autres oubliés ou jamais arrivés jusqu’à nous – font rejaillir les dures conquêtes de la visibilité queer depuis les années 1950.

Alors on pleure. Pas seulement parce l’Amérique est quand même sacrément douée pour produire des récits communautaires, mais parce que la série «Visible: Out on Television», sur Apple TV+, fait mouche sur un point essentiel: le besoin crucial de représentation.

Casting doré, images brûlantes
«Pour exister dans les récits télévisuels il a toujours fallu abandonner une part de notre humanité, en étant niés, blessés, tués, ou encore rendus hétéros dans les scénarios», analyse Armistead Maupin, auteur des «Chroniques de San Francisco», dont la première adaptation télévisuelle en 1994 n’avait pas franchement fait bander l’American Family Association. Il est l’un des nombreux intervenants de la série à commenter au présent la foule d’archives passionnantes qu’ont rassemblées les créateurs de la série: scènes-clés de sitcoms, voisins gays de soaps, chocs médiatiques, drames de talk-shows, clashes de carrières, activisme en direct.

Du beau monde analyse ces batailles livrées par les LGBT+ pour se faire une place dans le grand récit national, du réel à la fiction: Ellen, Oprah, Laverne Cox, Neil Patrick Harris, l’humoriste Wanda Sykes, Billy Porter, Jill Soloway, Wilson Cruz, le journaliste Anderson Cooper… Avec eux, on voit les rôles et les narrations LGBT+ évoluer au rythme des heures les plus sombres du maccarthysme, des vagues de bougies contestataires suite aux assassinats d’Harvey Milk, de Matthew Shepard et ceux de femmes trans qu’on ne compte plus, des émeutes de Stonewall, des actions médiatisées d’Act-Up jusqu’à la tuerie d’Orlando.

Ellen lors de son coming-out sur les écrans, en 1997.

Puissance cathodique
Ces voix et ces images racontent les avancées, les obstacles et les reculs d’un long travail de lutte accéléré autant que secoué par la puissance de la télévision. Des artistes subissent une double peine, pris en tenaille entre d’un côté le maintien de leurs personnages, de leurs carrières, face aux pressions économiques exercées des studios et de l’autre, les mécaniques de backlash constant, ces retours de bâton publics qui pèsent sur les coming-out les plus courageux.

Il faut se souvenir par exemple de la traversée du désert d’Ellen (DeGeneres), d’abord fiancée à ses fans puis reléguée aux oubliettes après sa révélation anthologique dans le show qui portait déjà son nom. Elle reviendra des années plus tard pour devenir l’une des animatrices les plus populaires de tous les temps aux États-Unis.

«Ces torrents de commentaires ne soutiennent parfois que le personnage que vous leur avez fait connaître toutes ces années, pas l’être humain qui est derrière»

Ces coming-out publics déclenchent des torrents de commentaires qui «ne soutiennent parfois que le personnage que vous leur avez fait connaître toutes ces années, pas l’être humain qui est derrière», souligne Raven-Symoné, élevée sous les projecteurs Disney avant de fendre la carapace sur Twitter et de sombrer momentanément.

«AIDS Comes to a Small Town» avec Oprah Winfrey (à g.), 1987.

Le pouvoir éducatif de la télévision joue sur une limite fine entre empathie et voyeurisme, comme le montre Oprah dans une scène sidérante où elle se rend au fin fond de la Virginie dans les pires années du sida, pour faire une médiation choc entre un jeune séropositif et sa communauté qui le rejette sans vergogne. Pendant ce temps-là, MTV pose les bases de la téléréalité avec «The Real World», quand tout un pays rencontre et s’attache à une autre victime du sida, qui succombera en 1994: Pedro Zamora. Au passage, Act-Up empoigne la télé comme outil stratégique afin de saisir les pouvoirs publics, faire avancer les droits et bousculer les mentalités.

Oncle Arthur (Paul Lynde) dans «Ma sorcière bien-aimée» (1964-1972).

Les personnages et nous
Le sociologue Pierre Bourdieu disait de la télévision en 1996 que c’était «une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie très importante de la population». Pour le pire du contrôle de masse, certainement, mais ce que choisit de montrer «Visible», c’est davantage son pouvoir d’identification sur le registre émotionnel. Car les intervenants de la série ravivent jusqu’au creux du bide cet attachement intime et déterminant aux personnages qui nous ressemblent. C’est la petite mèche et le khôl de Ricky dans «Angela, 15 ans»; le piquant des «Golden Girls»; l’oncle Arthur de «Ma sorcière bien aimée»; David dans «Six Feet Under»; Shane dans «The L Word»; la répartie de RuPaul; la bisexualité de Callie dans «Grey’s Anatomy»; l’aplomb de Bianca dans «Pose».

À l’échelle sociétale, les éclaireurs de générations ont battu le pavé pour d’autres, brisé des solitudes à coups de lueurs bleutées sur les rétines au beau milieu de la nuit. Avec les technologies de l’information, les journalistes, showrunners, actrices et autres personnalités publiques deviennent des role models, et «font partie de la culture du pays, de l’identité nationale», souligne la journaliste Rachel Maddow, avant de plaisanter: «On est un pays qui a une lesbienne bien masculine aux cheveux courts chaque soir sur MSNBC!»

Keith (Mathew St. Patrick) et David (Michael C. Hall) dans Six Feet Under (2001-2005).

Au-delà du gay cis blanc
L’autre grande force de «Visible» est de prendre en charge frontalement la critique des inégalités de genre et de race qui biaisent les représentations. De Billy Porter («Pose») à l’activiste trans Miss Major, de George Takei («Star Trek») à Leina Waithe («Master of None»), tout·e·s reconnaissent les jalons essentiels posés par leurs ainé·e·s. Mais iels déplorent la souffrance inhérente à l’absence ou la fétichisation des Non-Blancs dans les narrations LGBT+. S’ils ne sont pas moqués, les personnages trans sont régulièrement tués dans les récits. Si ces violences et ces silenciations – reflets du réel – sont d’abord comblées par des acteurs non concernés, elles restent actives tant que l’autoreprésentation à l’écran ne s’accélère pas significativement, comme en témoigne la série «Noah’s Arc» sur la chaine Logo.

Asia Kate Dillon dans «Billions» (depuis 2016).

On verra d’ailleurs la scénariste Jill Soloway reconnaître avoir commis une erreur en choisissant un acteur non trans pour incarner son personnage principal dans «Transparent». On rencontrera aussi Asia Kate Dillon, premier·e artiste non binaire connu·e pour son rôle dans «Billions». Mais en dehors de jouer leurs identités, quid de l’accès à d’autres postes à responsabilités dans le business des écrans pour les personnes trans? «Visible» pose des questions, affronte des angles morts. C’est une riche histoire de signaux, d’alliances et de flux continus.

«Visible: Out on Television», disponible sur Apple TV+