«Il faut continuer de se battre contre la norme»
Artiste luxembourgeoise installée à Zurich, Valerie Reding sera à Genève lors de la Sainte Gervaise Party le 23 novembre. Elle y présentera son ébouriffante performance autour du genre «Why Don’t You Do Right».
– Comment est née chez vous cette idée de performances artistiques scéniques?
– Ma pratique artistique est transdisciplinaire: je travaille à l’intersection de la danse, de la performance, du mouvement, de la photographie, de la vidéo et du drag. Selon les projets, les enjeux que je veux aborder et surtout le contexte, je choisis le ou les médiums qui me semblent les plus appropriés. La performance m’est particulièrement chère, en particulier les performances «one on one» et de longue durée. Cela permet une connexion directe et un échange immédiat avec le public, grâce à la fragilité du dispositif et la vulnérabilité partagée.
– Votre performance s’intitule «Why Don’t You Do Right», y a-t-il un lien avec la chanson de Peggy Lee?
– Oui, le titre cite cette chanson, en particulier la version chantée par Jessica Rabbit (respectivement par Amy Irving) dans le film «Who Framed Roger Rabbit» de 1988. Je veux questionner la constructivité de la féminité. En tant que cartoon, Jessica Rabbit est l’incarnation ultime de la féminité, comme un idéal artificiel et inaccessible. C’est également ce genre de féminités, qui ont personnellement inspiré l’expression de ma propre féminité, ainsi que mon rapport très détaché et ludique avec celle-ci.
– «Pourquoi tu ne te comportes pas bien / Pourquoi tu ne fais pas les choses correctement» traduit littéralement en français, que veut dire ce titre dans le cadre de votre performance?
– J’utilise de façon ludique cette chanson pour exprimer l’impossibilité d’incarner justement la féminité. Je me permets de citer Virginie Despentes, qui a donné la réponse la plus claire à cette question dans «King Kong Théorie»: «Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, […]. Je crois bien qu’elle n’existe pas.» En même temps, personnellement, ce titre fait écho à ma propre inadéquation avec les rôles et normes de genre.
– «We’re born naked, everything else is drag» («On naît nu, tout le reste est travestissement»), affirme RuPaul. Qu’en pensez-vous?
– Je partage complètement ce que RuPaul dit. Les êtres humains sont des êtres sociaux et tout ce qu’on apprend, on l’apprend par imitation.
– En matière de drag, à quel niveau se situe l’appropriation lorsqu’un homme s’habille en vêtements féminins et vice versa, selon vous?
– Dans ce travail, je questionne justement que la féminité puisse être la propriété d’un genre ou d’une certaine communauté. La féminité – comme la masculinité – sont des constructions sociales et leur incarnation est toujours une performance. Chacun·e est libre de se les approprier, les explorer, les sublimer et les subvertir.
– Qu’apporte le drag de plus que le théâtre et la danse aux arts vivants?
– Pour moi, la drag est une forme de théâtre et de danse. Je ne fais explicitement pas de distinction entre ce qui est considéré dans notre société comme de l’art «high brow» ou «low brow». Ce que j’apprécie le plus avec cette forme d’expression, c’est le contact direct avec le public, l’obligation d’être prêt·e à l’improvisation à tout moment, ainsi que le fait que cette pratique artistique embrasse l’artificialité.
– Le drag implique-t-il obligatoirement une dimension politique?
– Le drag vient de milieux marginalisés. Il porte intrinsèquement une forte dimension politique. Par son artificialité, l’humour et le camp, il permet de questionner de façon ludique des thématiques sociales et politiques complexes.
– Les stéréotypes de genre ont la peau dure… Pensez-vous que le féminisme et les mouvements tels que #metoo dans le showbiz contribuent à les combattre ou au contraire, les renforcent?
– Ces mouvement contribuent clairement à combattre le sexisme et les stéréotypes de genre. Il faut réveiller les gens et les sensibiliser sur les rapports sociaux qui les oppriment.
– Que retenez-vous des retours du public après vos performances?
– Le dispositif «one on one», l’intimité et ma propre vulnérabilité permettent à beaucoup de personnes d’être plus réceptives et d’être touchées. Parfois, les retours sont très bouleversés et émotionnels.
– Qu’avez-vous envie de dire aux hommes et aux femmes qui se sentent parfois étriqués dans des catégories d’une société hétéronormée?
– Il est normal de se sentir enfermé·e par ces catégories qui ne font pas justice à la singularité de chacun.e. Donc, à ces personnes je dirais: GO GO GO! Même si avoir une identité de genre ou une sexualité qui ne correspondent pas à la «norme» peut être difficile, voire très dangereux et même menacer la vie des personnes marginalisées, il faut continuer de se battre, de se soutenir et de se solidariser au-delà des individualités et reconnaître notre interdépendance mutuelle et notre vulnérabilité partagée.
» «Why Don’t You Do Right» le 23 novembre, lors de la Sainte-Gervaise Party;avec Makita Massive Menopause et Leslie Barbara Butch (DJ set); Théâtre Saint-Gervais, Genève. Dans le cadre du festival Les Créatives, jusqu’au 25 novembre.