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Greta Gratos, née sorcière

Greta Gratos, née sorcière
© JMH productions

Séverine Barde consacre un documentaire à la diva genevoise, incarnation de l’imaginaire de son créateur Pierandré Boo. Rencontre avec le comédien à multiples facettes.

Icône légendaire de la scène alternative genevoise, égérie des T-dansants de l’Usine, Greta Gratos, née sorcière il y a 24 ans, est une diva au look asiatico-gothique, accentué par son trait d’eye-liner, son visage pâle et sa bouche carmin. La réalisatrice Séverine Barde a consacré un film à cet être fictif fascinant, extravagant, sophistiqué, étrange, troublant, incarnation de l’imaginaire de son créateur, Pierandré Boo, lui-même comédien à multiples facettes, extrêmement cultivé. Au fil de ce documentaire passionnant, on découvre une performeuse, artiste conceptuelle, chanteuse, actrice, écrivaine, chroniqueuse, dessinatrice, poétique, politique, porte-parole des causes qui lui tiennent à cœur. Et même invitée au Centre culturel Les Dominicains en Haute Alsace, un ancien couvent. A l’occasion d’une rencontre, Pierandré Boo nous en dit plus sur lui et son plus bel outil, cette Greta libre, inventive, se moquant du genre et qui nous questionne sur notre propre diversité.

Fleur tardive

«Je me suis toujours perçu comme une fille dans un corps de garçon et ravi de l’être», raconte l’artiste. «Je ne voulais pas me transformer, perdre mon pénis. Je suis une fleur tardive. Il était prévu que je ne ferais rien de public. Et que je ne sortirais pas de ma chambre. Je me disais cela tout petit. Puis je me suis autorisé à ouvrir mes démarches en dessin, sculpture, film, écriture. Je suis allé en artistique au collège, mais irrité par ce que disait un jury aux Beaux-Arts, j’ai tout brûlé et j’ai voulu défendre la veuve et l’orphelin. Après une année de droit, j’ai décidé de devenir comédien. Je me suis formé sur le tas».

Pendant 25 ans, Pierandré n’a jamais eu idée d’incarner un personnage féminin. «Greta je ne l’ai pas choisie. Elle a vu le jour par hasard en 1994 lors d’un Bal des sorcières à l’Usine. Comme je n’avais pas l’intention d’apparaître en sorcier, j’avais demandé au maquilleur de dessiner un personnage tout en œil et en bouche. Quand il m’est apparu dans le miroir, j’ai vu mon âme. Greta existait, elle devait rester.»

Evadé d’un mauvais roman

Pour son «géniteur», Greta est une vamp cosmique, une demi-sirène femelle, «ni une femme, ni un travesti de moi, ni une drag-queen. Difficile à cerner, évoluant en permanence, elle s’est évadée d’un mauvais roman ou d’une toile de maître pour devenir une comète tournant autour de la terre, une fée qui observe les humains, leur parle avec bienveillance et distance.» Bien que les propositions fusent des deux côtés, Greta demeure chaste. «Son côté iconique la rend asexuée. Elle casse les codes du genre. Je l’utilise pour attirer l’attention, mais d’une autre façon. Si Greta couchait, elle ne serait plus. C’est inenvisageable et, de plus, un jeu malsain.»

On pourrait penser que Pierandré se cache derrière sa créature pour se permettre des choses qu’il n’oserait pas. Mais non. «C’est une figure autonome dont le monde est la scène. Elle fait à peu près ce que je fais. Paradoxalement, elle m’a apporté une certaine masculinité. Je suis très fleur bleue, avec une tendance à me mettre en retrait.» De même, on imagine qu’elle est envahissante. Là encore, on se trompe. «C’est une muse. Elle me stimule, dessine, chante, fait des films. Ce qui est sûr, c’est que je n’aimerais pas être elle au quotidien. C’est beaucoup trop fatigant. Dans ma vie, comme je suis un hyperactif, elle prend la place que le temps me laisse hors de mes projets. En outre, elle n’intervient aucunement dans mes relations avec les gens. Elle s’absente parfois des mois car je n’ai rien à lui proposer.»

A travers Greta, Pierandré Boo nous transmet quelque chose d’important. «La différence est fondamentale. On peut ne pas être d’accord, on n’a pas à se conformer à ce que le monde veut que nous soyons. Je défends également la beauté.» Greta a d’ailleurs encore beaucoup à prouver. Avec une performance dans les Pouilles, des répétitions au Galpon, où elle joue une diva venue rendre hommage à une divinissime. Une exposition lui est en outre consacrée fin décembre en Valais.

Séverine Barde fascinée par l’incarnation

Severine Barde connaît Pierandré Boo depuis longtemps et a obtenu toute sa confiance pour réaliser son documentaire, qui a mis dix ans à voir le jour. «Quand j’ai rencontré Greta, à la fin des années 90, j’ai été captivée et surprise par le personnage. J’ai mis du temps pour l’approcher. Je me demandais d’où venait cette âme qui prenait celle de mon ami. Au tout début, j’avais fabriqué un miroir sans tain pour filmer discrètement le moment de sa transformation en Greta. Il se maquillait tout naturellement devant la glace, sauf qu’il plongeait son regard dans la caméra.»

«J’ai une fascination pour l’incarnation», explique la réalisatrice genevoise. «Au départ, je m’intéressais au moment où l’acteur devient un personnage et j’enquêtais sur cette capacité à se métamorphoser auprès de comédiens. Et puis, à force de fréquenter Greta, je me suis dit qu’il y avait vraiment un truc à faire et c’est elle qui est devenu le sujet unique. Mon but, c’est surtout de la regarder vivre, poser les questions de cette existence et ce qu’elle nous raconte de nous. Je témoigne de sa polyvalence en la montrant sur une scène, au milieu de sa cour lors des T-dansants, ou dans la rue quand elle manifeste.»

Pour Sandrine, Greta est la personnification d’un imaginaire quelqu’un qui ose, par son extravagance , la singularité, le farfelu, être ce qu’elle est au milieu des autres. «Je l’observe, je la scrute et je trouve que dans le fond, elle n’est pas très différente de vous et moi. Nous sommes tous un mélange de genres.»

À découvrir sur RTS2 ce dimanche 29 novembre à 22h10