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Bombay calling

De passage à Paris, la jeune auteure indienne Amruta Patil nous parle de son premier roman graphique, Kari, qui narre de façon humoristique la vie tourmentée d’une jeune lesbienne indienne. Un succès critique et public assez inattendu. Mais, attention, le premier qui lui parle de Bollywood s’en prend une.

Une légère angoisse plane sur le stand des éditions Au diable vauvert au Salon du livre à Paris. Kari, le roman graphique d’Amruta Patil s’est si bien vendu qu’il ne reste pratiquement plus d’exemplaires pour la signature prévue dans une heure. Malgré ce stress, l’effervescence et la chaleur étouffante, Amruta Patil se prête à l’interview de bonne grâce, avec un mélange charmant de retenue et de courtoisie, tout en se demandant à quelle sauce elle va être mangée. C’est que l’on ne se rend pas compte du nombre d’idées reçues que peut entendre un écrivain indien. « On me pose toujours des questions sur Bollywood et sur le poids des traditions indiennes ! s’exclame Amruta, qui en perdrait presque son flegme. Ce n’est pas parce que mes personnages sont indiens qu’ils ont forcément des problèmes avec la modernité ! » Amis lecteurs, attention aux stéréotypes. Il n’y a en effet pas l’ombre d’un cliché dans cette histoire très originale. Le roman s’ouvre sur la double tentative de suicide de Kari et de son amante Ruth qui en réchappent toutes deux de façon rocambolesque. Alors que Ruth préfère partir, Kari entreprend de se construire dans la dure réalité de sa vie quotidienne, entre son boulot à l’agence de pub où elle est stagiaire, ses collocs hétéros, et sa ville Smog City (Bombay) où, on l’aura deviné, l’air n’est pas franchement respirable. « On me demande souvent pourquoi le livre est si sombre. Mais ce n’est pas si tragique. Il ne faut pas tout prendre au pied de lettre ; la frontière est volontairement floue entre réalité et imaginaire. En fait c’est un roman initiatique. »

Plus influencée par la peinture, notamment par Frida Kahlo, que par la bande dessinée, Amruta a choisi de surfer sur les styles afin de suivre les émotions de son personnage. L’emploi du fusain et de l’encre noire qui donne de la force et de la profondeur au récit permet aussi de beaux dégradés de gris, rehaussés par des collages et des dessins en couleur qui apportent de la fantaisie. Car ce qui domine, c’est l’humour. Kari est un roman sensible et poétique, mais aussi très drôle, grâce à la personnalité de l’héroïne, intelligente et rebelle, qui porte un regard ironique sur le monde.

Lesbienne. Moi non plus.
Kari a vingt ans. Elle vit les affres de l’entrée dans l’âge adulte et de la découverte de l’amour, mais son lesbianisme n’est pas la cause de ses tourments. Avec élégance et désinvolture, l’auteur nous présente un personnage totalement moderne. « Ce n’est pas une histoire de coming out. Son homosexualité est acquise. Elle a des problèmes, mais pas celui-là. De toutes façons, dans les grandes villes indiennes, les lesbiennes vivent comme partout ailleurs dans le monde, avec ni plus ni moins de liberté. » En fait, Amruta n’aime pas trop les catégories. Elle a particulièrement apprécié qu’en Inde, où la culture de la bande dessinée et du roman graphique est encore balbutiante, Kari ait été chroniqué dans des magazines littéraires généralistes : « Je préfère savoir qu’une femme hétéro dans un quartier de Bombay a apprécié une histoire qui l’a d’abord surprise et qui a finalement modifié sa façon de penser, plutôt que de prêcher à des convaincus. Mieux vaut ignorer les genres plutôt que de coller des étiquettes, parce que plus on crée de catégories plus il y a de raisons de créer du rejet. » Alors, si vous vouliez voir en Amruta Patil un porte drapeau du militantisme LGBT, c’est raté. Mais on donnerait cher pour voir la tête des lecteurs quand Kari se fait draguer par ses collocs hétéros et dit que « La femme hétéro est un mythe ». Et si on essaie de pousser Amruta plus loin, on se heurte à des pirouettes. Y a-t-il un élément autobiographique dans son livre ? « Bien entendu, répond-elle, dans ce genre de livre, il est difficile d’échapper à l’autobiographie. Quand j’avais vingt ans, j’étais comme elle… très observatrice… » Non, décidément, Amruta ne parlera pas de sa vie privée, d’ailleurs, elle y tient vraiment : « Ce que j’aime en Inde, c’est que les critiques ne confondent jamais la vie de l’auteur et celle des personnages… ».

Remarquée au festival de la bande dessinée d’Angoulême, Amruta Patil s’apprête à intégrer la Maison des auteurs de cette ville, une résidence de dix mois qui lui permettra de travailler à son nouveau projet : Parva, basé sur le Mahâbhârata, la grande épopée classique hindoue. Cette fille n’a pas froid aux yeux.

Kari d’Amruta Patil, éd. Au diable vauvert