AA Bronson, maestro queer
Arty-Show propose un coup de projecteur sur la thématique de l'art contemporain. Première visite du côté de Toronto et de Berlin, où sévit l'infatigable AA Bronson.
Gourou incontesté de l’art contemporain à tendance 100 % gay dont les traces ADN se retrouvent un peu partout dans l’art actuel, AA Bronson est l’un des membres du légendaire groupe d’artistes canadiens General Idea fondé avec Felix Partz et Jorge Zontal en 1969. Pionniers de l’art conceptuel utilisant les médias de manière novatrice et endémique, leur modus operandi emprunte souvent des formes subversives pour l’époque en s’infiltrant tel le virus honni, avançant masqué, dans la grande foire d’empoigne artistico-médiatique. Utilisant tout medium de communication à portée de main, General Idea s’invite souvent là où on ne l’attend pas: au milieu des petites annonces, à un concours de beauté, à un talk-show et surtout dans les mass-media en première ligne.
Subtilement emballée de sorte à faire passer la pilule, son iconographie délibérément infusée de pop-art bon enfant fonctionne à double sens. Les mots tabous se propagent joyeusement sur fond multicolore, le message passe et General Idea grandit au point de devenir un groupe d’artistes majeurs dont l’influence est encore indéniablement ressentie aujourd’hui chez les jeunes générations d’artistes sociologiques en devenir.
La plupart des installations ont à peine pris une ride et sont toujours aussi indéboulonnables, sinon intrinsèquement liées à la cause gay sous toutes ses formes. Entre 1987 et 1994, le sida fait des ravages et le trio se focalise principalement sur cette thématique avec autant d’humour et de distance que possible, pris au piège au cœur même de la tourmente. Ils produisent des œuvres marquantes dont certaines pourraient être décrites en tant que fondamentales, telle la street sculpture Aids – parmi les créations plus immédiatement reconnaissables du groupe – revisitant le logo Love créé dans les sixties par l’artiste pop américain Robert Indiana et devenue une sorte d’emblème inoxydable des années-sida, affichant froidement et un peu de travers les quatre lettres qui font mal, dans un style à mi-chemin entre un cubisme post-dadaïste et un totalitarisme de pacotille, digne d’un roman d’anticipation glauque à souhait.
Ils produiront encore durant cette période quelques 75 projets temporaires d’art public dont certains de très grand volume et étonnamment appréciés du grand public, telle l’installation One Year of AZT/One day of AZT composée de pilules géantes gonflables et de tapisserie couverte du nombre exact de médication avalé en une année par un patient atteint du VIH.
Suite au décès de ses deux partenaires et co-équipiers Partz et Zontal des suites du sida en 1994, AA Bronson retourne à New York après avoir épaulé ses deux compagnons dans la maison de Toronto spécialement aménagée pour faciliter leur départ.
En solitaire
AA Bronson ayant suivi très sérieusement durant cette période des cours de sage-femme pour mourants en Californie afin de prodiguer un maximum de soins de qualité à ses deux amis en fin de vie, il découvre par la même occasion tout un monde ésotérique pour lequel il semble avoir énormément d’affinités. Il devient ainsi, sans même s’en apercevoir, un guérisseur au sens propre du terme. Il débute donc parallèlement à sa production artistique personnelle tout un travail sur le thème du Healing, duquel, comme à son habitude, il se rit doucement.
Mélangeant les cartes tel un maestro, il s’amuse autant avec l’iconographie queer dont il est un fervent porte-drapeau, que celle du new-age dont il fait intégralement partie à présent. Maîtrisant parfaitement les codes habituels en vigueur dans le langage artistique contemporain, il n’hésite pas à jongler habilement avec ceux-ci jusqu’à brouiller complètement les pistes. Le résultat hybride contenant à parts égales chacun de ces éléments est donc formellement inclassable et unique en son genre. Outre les cours qu’il donne à UCLA, Yale et l’université de Toronto ainsi que les nombreuses récompenses honorifiques dont il a été gratifié, il trouve encore le temps de produire des expositions ponctuelles d’une qualité toujours aussi remarquable ainsi que notamment de s’offrir en passant un panneau publicitaire gigantesque sur la centrale électrique de Toronto, arborant un: «AA Bronson, Healer» accompagné de son numéro. Il peut aussi lui arriver à l’occasion de performer à moitié nu entouré de jeunes éphèbes couverts de cendres dans sa série Invocation of the Queer Spirits; de se grimer en divinité courroucée en tenue d’Adam écarlate; de régner sur The Institute for Art, Religion and Social Justice ou de créer une école intitulée School for Young Shamans à travers laquelle il collabore activement, d’égal à égal, avec de nombreux jeunes artistes.
Il a en outre proposé un Monument for Homosexual and Transgender Victims of the Nazi Regime lors d’un concours d’art public à Vienne en collaboration avec son partenaire actuel Mark Jan Krayenhoff Van de Leur – un projet qui a fait couler beaucoup d’encre, en gagnant le troisième prix de ce concours – et dirige aussi avec savoir-faire depuis de nombreuses décennies la maison d’édition new-yorkaise Printed Matter Inc., spécialisée en micro-édition underground. Il donne également fréquemment de nombreuses conférences à travers le monde, sans oublier les traitements chamaniques considérés comme son véritable métier à ce jour, d’où le titre officiel de Healer. Idolâtré par beaucoup à juste titre, il est même parfois possible d’approcher de plus près cette légende vivante et avec un peu de chance, de bénéficier d’un rendez-vous pour un massage chamanique avec Le Maître.
Il n’est pas rare qu’il propose des séances dans sa Tent of Healing simultanément à des invitations dans de grands musées tel le Stedeljik Museum d’Amsterdam en 2013. Une visite de ses nombreuses traces sur Internet est chaudement recommandée à ceux qui aimeraient en savoir plus sur celui que l’on surnomme parfois The Cosmic Queer: un surnom sur mesure pour un personnage mythique doublé d’une clé de voûte de l’art contestataire comme on n’en fait plus. Long Live AA Bronson!