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Ouganda, deux ans après «Kill the Gays»

En 2013, le gouvernement ougandais se lançait dans une chasse aux homosexuels. Etat des lieux.

Maria, 33 ans, pantalon rouge pétant, mèches blondes dans ses cheveux volumineux, déboule souriante et enjouée. «Salut, je suis lesbienne!», nous lance-telle. Tant d’apparente légèreté surprend dans un pays qui, en 2013, votait une loi condamnant à mort des homosexuels. L’Ouganda entrait ainsi dans le cercle – heureusement – très fermé des 11 pays comme l’Arabie Saoudite, le Pakistan ou le Yémen qui ont opté pour la peine de mort.

Mais aujourd’hui est une journée particulière pour cette ingénieure en freelance, qui a fondé la Youth Rock Foundation, une ONG qui œuvre à défendre les droits des LGBT. La journée internationale de lutte contre le sida, le 1er décembre, a été le prétexte pour organiser un événement gay friendly à Mulago, le plus grand hôpital de la capitale Kampala, qui s’étale sur plusieurs hectares. Dans la section des maladies infectieuses, une tente a été montée, des repas chauds seront distribués au cours de cette journée, qui s’articule autour de la prévention mais aussi de moments moins informels de rencontres, et même, à la fin, de danses traditionnelles ougandaises. Un espace de relative liberté qui remonte le moral des dizaines de participants, très majoritairement homosexuels: ici, dans l’enceinte de l’hôpital, ils se sentent acceptés, sans être jugés.

Maria s’est engagée assez tôt comme bénévole dans la lutte pour le droits des lesbiennes, car «les gens ont les mêmes clichés sur les hommes ou sur les femmes. Et sur les transgenres, les gens se demandent vraiment quelle est leur identité de genre? Homme, femme? Nous, on essaie de faire accepter chacun tel qu’il est», explique-t-elle en accueillant les nouveaux arrivants et en gérant la logistique de la journée. En Ouganda, surtout depuis 2004, quelques associations dans la même veine que la Rock Youth Foundation ont vu le jour, mais aucune, officiellement, n’est une organisation LGBT. Il s’agit ici de promouvoir les traitements anti-sida, là de faire de la prévention pour une santé sexuelle sécurisée ou de favoriser une formation professionnelle: le gouvernement, dans sa chasse aux gays, ne tolérerait pas d’ONG LGBT. Spécificité ougandaise: là où souvent les ONG gays, lesbiennes ou trans ne travaillent pas ensemble, dans ce pays, elles ont décidé de s’unir afin d’éviter le phénomène contre-productif de «compétition».

Un combat au quotidien
Les problématiques touchant les minorités sexuelles sont nombreuses: rejet des familles, exclusion sociale et médicale en cas de IST, ségrégation professionnelle, lynchage, agressions… voire meurtres. Maria, en couple depuis 3 ans avec sa copine, est la première consciente de tout cela. Elle a vécu le pire. «Avec ma copine, nous voulions nous fiancer, symboliquement bien sûr, puisque c’est interdit. Quand l’oncle de ma copine a appris la nouvelle, il l’a séquestrée pendant 3 jours, sans nourriture et sans eau. Elle était attachée. Il m’appelait pour me menacer de mort. Une fois, ma sœur a décroché et lui a dit: attention, c’est toi qui séquestres quelqu’un, là, nous aussi on peut te dénoncer à la police!», se souvient-elle. Maria a dû aller secourir sa bien-aimée, en pleine nuit, dissimulée sous un hijab et ensemble, elles ont réussi à fuir. Qui sait ce qui serait arrivé à sa copine? Son oncle prévoyait de la faire passer la nuit, dans une chambre, nue, avec deux hommes… Car le «viol correctif» existe bel et bien en Ouganda. Aujourd’hui, Maria en parle avec distance, mais sa relation amoureuse reste un combat au quotidien.

Un peu comme pour Princess Rihanna. Invitée de la journée, la jeune Ougandaise, née homme, a commencé à se faire appeler ainsi il y a 6 ans. Devenue miss Pride 2009 en Ouganda, grand motif de fierté à ses yeux, elle a souhaité devenir un visage de la communauté LGBT. «En tant que princesse, je dois donner des conseils, et éduquer les gens partout en Ouganda», lâche-t-elle, entre deux danses. Aujourd’hui, fière de ce qu’elle est, elle n’envisage pas d’opération du sexe. Sans aucune preuve de son homosexualité, Princess Rihanna a été emprisonnée à plusieurs reprises, dont une fois, plus de 7 mois. «On a été dénoncés, battus, envoyés en prison». Elle vit actuellement avec son petit ami, ce qui n’est pas toujours facile. «On vit avec le risque d’être agressé, bien sûr. On doit rester discrets», explique-t-elle.

Durcissement de l’homophobie
Si l’homosexualité est punissable depuis l’époque coloniale britannique, par l’article 145 adopté en 1950 pour dénoncer «toute relation charnelle contre nature», la situation s’est comme tendue depuis environ trente ans. L’arrivée des églises évangéliques américaines devient un phénomène inquiétant. Dans les sermons des pasteurs, les discours homophobes ne sont pas rares. Le pasteur Scott Lively, fondateur du groupe Abiding Truth Ministeries, a même été jugé aux Etats-Unis pour ses diatribes diffamatoires et haineuses à l’encontre des homosexuels, associant sans scrupules homosexualité et pédophilie ou épidémies, ou avançant que les gays avaient un plan pour détruire le modèle ougandais traditionnel. En 2011, le militant David Kato, père du mouvement LGBT en Ouganda, est assassiné. Ses proches sont persuadés que sa mort est due à son engagement politique, les menaces et harcèlements étant devenus plus fréquents à l’approche du jour fatidique.

2013 sera l’année du paroxysme: non seulement des journaux comme le Red Pepper, tabloïd de la pire espèce, publie des unes putassières, relayant une idéologie du complot gay partout, mais, plus grave, il ose aussi publier les portraits d’Ougandais supposément gays. Dans un contexte déjà tendu, c’est un véritable appel à la haine et aux agressions qui est lancé. En février 2014, 200 photos sont publiées. L’indignation est internationale.

Mais ce n’est pas tout. Du côté politique, la même année, le président Yoweri Museveni promulgue une loi anti-gay au caractère répressif jamais atteint encore. Il a même été glissé que c’est l’un des proches du pasteur intégriste américain qui aurait proposé la loi Kill the Gays Bill… Avant la peine de mort, l’homosexualité était condamnée jusqu’à 7 ans de prison. Mais la nouvelle loi, en plus de condamner à mort, pousse également à dénoncer ses voisins soupçonnés d’être homosexuels. «Il y a eu des tensions horribles dans les voisinages», se souvient Ambrose, un militant homosexuel de l’association Kuchu Times, plate-forme web de la communauté. «A cette période, beaucoup de gays ont demandé l’asile politique à l’étranger ou vivaient ici avec la peur au ventre», se rappelle encore Princess Rihanna.

«La plupart des attaques homophobes sont influencées par certains médias.»

Sur les motifs du président, les analyses des différents activistes sont concordantes: le président a opté pour cette loi en vue des prochaines présidentielles. En février 2016, en effet, aura lieu le scrutin qui verra le président Museveni, âgé de 84 ans et au pouvoir depuis 30 ans sans interruption, remettre son mandat en jeu… En route pour un énième mandat? Pour Ruth, militante de Kuchu Times, embraser le sujet de l’homosexualité est une «façon de contrôler des communautés désespérées: ils passent tout leur temps à l’église. On leur donne quelque chose pour les détourner de leurs vrais problèmes.» La loi de condamnation à mort a été retoquée par la Cour Constitutionnelle, mais seulement sur un motif juridique. Pas sur le contenu. D’autres députés reviennent régulièrement à la charge pour reproposer de nouveaux projets de lois. «Cette fois, on connaît mieux nos droits et on ne se laissera pas faire», lâche Princess Rihanna, déterminée.

La résistance s’organise
Mais si la société accepte encore mal les homosexuels, lesbiennes ou transsexuels, certaines voix dissidentes se font entendre. Si Ruth déclare «être en froid avec ceux qui ne m’acceptent pas telle que je suis», Maria peut compter sur le soutien indéfectible de sa sœur, Barbara. «Il ne m’est jamais venu à l’esprit de ne pas soutenir ma sœur», lâche-t-elle dans un souffle. Même son de cloche du côté de Steven, un autre membre fondateur de la Youth Rock Foundation, dont le frère a découvert son homosexualité sans jugement et en lui assurant son soutien éternel.

Du point de vue officiel, si certains pasteurs s’enflamment avec des discours homophobes, comme Martin Ssempa, grand pourfendeur de l’homosexualité, qui a demandé à faire appel de la décision de la Cour d’appel, d’autres ont adopté le chemin de la paix. Le pasteur Senyonjo, 84 ans, vieil homme à l’allure bonhomme et tout en rondeur, apparaît dans sa petite maison coquette de la banlieue de Kampala. En 2001, par l’intermédiaire d’un travailleur social, il rencontre 4 jeunes hommes homosexuels, rejetés par leur famille, qui «pensaient que Dieu ne les aimait pas et qu’ils étaient une abomination». Devant tant de désespoir, le pasteur prend leur défense, se fâche avec les membres de son église: «Pour moi, il était impossible de les condamner et j’ai plaidé pour qu’ils soient acceptés», raconte-t-il. Pour ce pasteur, il est clair que lors des études de théologie, les futurs pasteurs devraient apprendre à parler de sexualité, de mariage. «Quand ces homosexuels se marient, ils ne sont pas heureux. Mais quand ils s’acceptent, ils sont heureux et créatifs», analyse celui qui aime à parler de l’«agapè» grecque, cette forme d’amour inconditionnel qu’avait développée Platon. «Exclure des personnes, c’est ça, l’amour?» demande-t-il, rhétoriquement.

Ancré dans la société, il estime que les Ougandais se tendent sur le sujet de l’homosexualité, car c’est envisager que la sexualité n’est pas seulement destinée à la procréation. Rares sont les pasteurs à parler de plaisir sexuel, de créativité dans l’acte sexuel, et pourtant c’est ce que fait le pasteur Senyonjo, ouvert et plein de vitalité. Son engagement lui a créé bien des ennemis, au sein de l’Eglise. A l’enterrement de l’activiste David Kato, c’est lui qui rend l’office… Aujourd’hui, il n’a plus d’Eglise officielle et doit garder le silence quand il va prier dans celle d’un confrère. Dans un autre secteur, le magazine Bombastic, fait lui aussi office de précurseur audacieux du changement. En 2014, Kasha Jacqueline Nabagesera, 35 ans, une militante engagée dans la cause LGBT, lance le premier magazine qui s’adresse à la communauté, mais surtout à tous ceux qui ne connaissent des gays que ce qu’en disent les médias ougandais, à leur défaveur. Sa volonté? «Donner une voix aux sans voix».

Ruth et Ambrose dans les locaux de Kuchu Times. Photo: Eugénie Baccot
Ruth et Ambrose dans les locaux de Kuchu Times. Photo: Eugénie Baccot

Au fil des pages, de vrais témoignages, où des homos, lesbiennes et trans peuvent s’exprimer, avec leurs mots, simples et touchants. Ruth, 33 ans, l’une des membres de l’association, a débuté son engagement après avoir découvert une vidéo où Kasha s’exprimait. Transcendée, elle a commencé à travailler à ses côtés dans son association. A ses yeux, il est clair que «la plupart des attaques homophobes sont influencées par certains médias». Le premier numéro, datant de décembre 2014, a été publié à 15’000 exemplaires, en autofinancement. Un beau défi, surtout face à un ministre de l’Ethique qui a menacé d’arrêter Kasha pour «promotion de l’homosexualité», rappelle Ruth, et qui était persuadé qu’en «distribuant les magazines, on faisait du recrutement d’homosexuels!» Objectif pour la seconde édition, actuellement en préparation: 50’000 numéros, qui seront financés grâce à une campagne active de crowdfunding, venant du monde entier.

La couverture pourrait bien représenter une femme noire qui tient la main d’un transgenre… Une provocation que le Bombastic peut se permettre, plus que jamais. «Avec la perspective des présidentielles, aucun politicien en Ouganda n’a envie d’attirer des images négatives sur le pays», estime Ruth. Les candidats n’évoquent même pas le sujet. Comme si l’ignorer rasait les homosexuels de la carte: raté.