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Belle sans bémol

Rencontrée à l’heure du thé, Marie-Paule Belle s’allonge sur le sofa et se raconte. La chanteuse française est actuellement en tournée.

Quand, au volant, cette petite dame attend benoîtement que le feu passe au vert, les chauffeurs de la file parallèle la regardent hilares, la pointent du doigt ou la saluent. Cette petite dame est une pointure de la chanson française. La plupart l’imaginent ruant dans les brancards ou «à faire la gaudriole», comme elle le confie avec un sentiment mitigé. Il n’en est rien. Elle aime la distinction et le calme. Certes, elle souffle parfois le chaud et le froid, mais sur scène uniquement. Par respect, on lui donne du «Madame». Elle tranche: «Appelez-moi “Marie-Paule”. “Madame”, c’est un peu trop cérémonieux, non?» Marie-Paule Belle s’est redressée, son verbe est net.
Le verbe, justement… «La musique et les mots sont indissociables», dit-t-elle. «Pour faire une bonne chanson, du moins. J’ai un cahier dans lequel je jette parfois quatre vers puis j’en parle avec mes collaborateurs. J’ai eu la chance de rencontrer des grands paroliers comme Pierre Delanoë ou Jean-Jacques Debout (N.d.l.r. le mari de Chantal Goya) et encore beaucoup d’autres qui sont de véritables poètes. L’un d’entre eux a en particulier accompagné ma vie musicale: Michel Grisolia, qui nous a quittés voilà un an. Nous formions un clan à trois avec Françoise Mallet-Joris et de cette intimité naquit exaltation et facilité à composer. Mots, musique et amour, tout est mêlé.» Son répertoire est à l’image d’une vie, car, selon elle, les artistes doivent «témoigner du quotidien», le transfigurer à la place de ceux qui n’ont pas voix au chapitre. Elle prend pour exemple le thème de l’euthanasie qu’elle aborde lors de son tour de chant.
Bien au-delà des mots, l’abattage de Marie-Paule Belle étonne. «L’école du cabaret, c’est la base. J’ai débuté à L’Ecluse et à L’Echelle de Jacob, à la suite de Cora Vaucaire, de Barbara et en même temps que l’humoriste Popeck. A l’époque, les jeunes venaient au cabaret pour chahuter. Il fallait improviser, convaincre, s’imposer devant un public exigeant. J’appartiens à une génération qui se réclame de la chanson réaliste, même si ses accents mélodramatiques nous faisaient nous tordre de rire.»

Du réalisme à la TV réalité
Trait d’union générationnel dans les années 70, l’acmé de son succès, elle jette un regard mitigé sur l’actualité musicale: «Il n’y a rien de nouveau dans la soi-disant “nouvelle chanson française” qui manque cruellement d’émotion. Je ne me vois pas décrocher mon téléphone pour faire appel à la nouvelle génération d’auteurs. Par contre, je ne peux pas critiquer la Star Ac’, car j’ai débuté par un radio-crochet. J’habitais Nice et j’étais très convenable, après avoir étudié le piano. Alors il fallait tenir le choc quand je chantais dans un studio et que le public à moitié beurré votait par téléphone.»
Ne cachant pas qu’elle a, en janvier, fêté 60 ans, Marie-Paule, serait-elle passéiste? «Non, je n’aime pas mes anciens disques: trop formatés pour les besoins de la popularité. On m’enferme dans des tubes tels “La Parisienne” qu’on me réclame toujours et “Wolfgang et moi” (N.d.l.r qu’elle ne chante plus malgré le jubilé du divin Salzbourgeois). Mon dernier album* me correspond davantage: la voix seule accompagnée du piano dans les conditions du live. Aujourd’hui, je regarde la télé pour me tenir au courant. J’aime beaucoup les chanteuses Chimène Badi et Nolwenn Leroy pour qui je composerais volontiers. Mais ce dont je raffole vraiment à la télé, c’est Complément d’enquête, Zone interdite, Capital, Les experts et New York unité spéciale.» Un territoire humoristico-morbide dont son répertoire est empreint, et qui la fait rire. «Pourtant je suis une angoissée, quand tout va bien, je me dis que ça va finir. Et quand je déprime, j’ai peur de la réussite. Il est vrai que cet état d’esprit est aussi lié au fait que j’ai traversé une période creuse de dix années pendant lesquelles j’ai dû suspendre ma carrière. Aucun disque et aucun plateau de télé. Bien sûr, j’aimerais à nouveau connaître le grand succès d’antan, mais je ne vis pas dans l’utopie.» Elle parle aussi de l’actualité des «Monologues du vagin», pièce qu’elle interprète (en alternance avec l’actrice Firmine Richard) aux côtés de Micheline Dax. Elle nous dit son chagrin suite au décès de la chanteuse Barbara, combien cette amie lui manque. «Je n’ai jamais arrêté de chanter, ni de défendre mes opinions, je me bats pour la différence, contre l’indifférence avec des mots simples. Evidemment, cela a contribué à m’étiqueter. En mai 68, j’étudiais la psycho à Paris – on croyait recréer le monde. De plus, j’étais dans le comité d’action du candidat François Mitterand. Donc on m’a collé l’image de la gauchiste, féministe et homosexuelle de service. Beaucoup de mouvements homos m’ont demandé de devenir leur porte-drapeau. Je dois refuser cette récupération au nom de ma liberté. Je suis libre. Aujourd’hui, je continue mon chemin, mais je ferme ma gueule.» Hormis sur scène et pour notre plus grande joie.

Marie-Paule Belle
*Album «Un pas de plus»
Editeur Musicast – L’autre prod