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Les amours à l’ouest

Qui a dit que les cow-boys ne faisaient l’amour que dans les films pornos? En tout cas pas Ang Lee, lauréat du Lion d’or à la dernière Mostra de Venise grâce à son dernier film «Brokeback Mountain». Une fresque romantique commentée par son auteur au cours d’un entretien exclusif.

Basé sur une nouvelle d’Annie Proulx, «Brokeback Mountain» relate l’émouvante histoire d’amour (impossible) entre deux garçons vachers dans l’ouest américain, de 1963 aux années 80. Jack et Ennis sont gardiens de moutons dans les environs de Brokeback Mountain. Une froide nuit, Jack propose à Ennis, resté dehors afin de garder les bêtes, de le rejoindre sous la tente pour se réchauffer. Une histoire qui aurait dû s’arrêter là. «Tu sais que je ne suis pas pédé», lance Ennis après leur très sauvage première étreinte. Le mandat terminé, les deux jeunes hommes se marient donc chacun de leur côté. Mais les sentiments prendront le dessus, même si les retrouvailles seront peu fréquentes. Quelles solutions s’offrent alors à nos deux beaux cow-boys? Quitter leurs femmes, s’installer ensemble? C’est l’idée de Jack, mais pour Ennis c’est hors de question… De passage à Paris, Ang Lee, réalisateur taïwanais installé aux Etats-Unis, qui, entre autres, est l’auteur de «Raison et Sentiment», «The Ice Storm» et «Tigre et Dragon», nous explique pourquoi, selon lui, l’amour qui unit deux hommes est plus pur que celui qui lie deux personnes de sexe opposé.

Certains qualifient votre film de «western gay». Etes-vous d’accord avec cette étiquette?
Ang Lee: Non pas du tout (rire)! Le film se situe dans l’ouest américain, mais il n’a pratiquement rien d’un western, sauf quelques éléments, comme les grands espaces. Il n’y a ni héros, ni coups de feu. C’est avant tout une histoire d’amour romantique.

Mais peut-on dire qu’il s’agit d’un film gay?
Oui, parce que c’est une histoire d’amour entre deux hommes. Le film ne s’adresse pas spécifiquement aux gays, mais je lui colle volontiers cette étiquette, parce que l’amour et la sexualité gays sont au cœur de l’histoire.

L’amour entre deux hommes est-il plus fort qu’entre un homme est une femme?
Oui, je pense qu’il est différent: il a un côté plus pur. Prenez «Roméo et Juliette», par exemple: combien de fois a-t-on montré l’amour impossible. Mais c’est différent dans mon film. L’homosexualité apporte quelque chose de plus, qui va au-delà du côté prohibé. Ça a à voir avec le gène homo: l’attention, l’affection est différente, au-delà du sexe. Ça rend l’histoire plus puissante.

Dans le contexte américain actuel, votre film lance un pavé dans la mare. Faites-vous du cinéma engagé?
Je n’ai pas l’intention de mettre en avant une cause quelconque. Je l’ai fait pour montrer une histoire d’amour, la condition humaine. Je n’ai pas fait ce film parce que Bush tire l’Amérique vers le passé. Si je ne l’avais pas fait, c’est quelqu’un d’autre qui m’aurait pris l’histoire. J’ai vraiment eu l’impression que cette histoire m’appartenait, et non pas que c’était le bon moment pour le faire.

Mais en montrant les difficultés auxquelles Jack et Ennis doivent faire face, vous dénoncez un problème social…
Cela découle du film, mais ça n’a pas fait partie de mes motivations. Cette difficulté est liée à la condition humaine, elle va au-delà de la cause politique. Lorsque vous racontez une histoire d’amour, vous examinez la condition humaine, c’est plus profond, plus infini et donc plus important.

Vous avez réalisé, en 1993, «Garçon d’honneur», qui raconte aussi la difficulté d’un gay à vivre son homosexualité à cause d’une culture spécifique, en l’occurrence taïwanaise. Pourquoi êtes-vous si sensible à cette question?
La sexualité est aussi un problème dans «Garçon d’honneur», effectivement, mais ce n’est pas l’intrigue principale. J’ai dû néanmoins porter à l’écran le premier baiser homo du cinéma chinois! Il est vrai que les deux films montrent comment la société peut être basée sur des valeurs figées. J’aime parler de cela, car je l’ai moi-même vécu. Je suis né à Taïwan, mais de parents chinois. J’ai donc été éduqué dans une stricte tradition chinoise. J’ai ensuite émigré vers les Etats-Unis et, après seulement, j’ai pu visiter la Chine pour la première fois. J’ai donc une vaste expérience des problèmes d’identité: je sais ce que c’est que d’être un poisson hors de l’eau!

Gay, un genre au cinéma ?

Peut-on considérer que Brokeback Mountain est un film gay, suivant le point de vue de son réalisateur? L’enjeu est de savoir si le genre existe, et comment on le définit. «Un film gay est un film dont l’homosexualité est le sujet ou l’un des thèmes centraux, ou alors un film qui reprend les codes esthétiques ou culturels gays», explique Serge Kaganski, critique cinéma aux Inrockuptibles. Une conception que ne partage pas David Dibilio, programmateur au Festival de films gays et lesbiens de Paris: «A un moment, un film devient important pour les gays et les lesbiennes, et donc devient un film gay. Il s’agit de montrer ce qu’est le désir entre deux garçons ou deux filles, et non des personnages homos qui soient juste un alibi scénaristique ou un ressort comique.»
«Cinéma gay» et «gays au cinéma» seraient donc deux catégories. Cette dernière a connu une évolution positive: le nombre de films mettant en scène des personnages gays a explosé, et ces derniers sont moins souvent présentés comme des pervers ou des caricatures. Du coup, le cinéma gay est-il en danger?
«Si l’on ne s’intéresse qu’aux films qui font une carrière dans les salles, on peut penser qu’il n’y a plus vraiment de singularité, à part quelques réalisateurs comme Gus Van Sant ou Gregg Araki, ajoute D. Dibilio. Par contre, dans toute la production moins visible, celle que l’on peut découvrir dans les festivals, ce n’est pas du tout le cas et beaucoup de films présentent un point de vue original sur la société.»
Et Brokeback Mountain? «C’est un film qui conjugue visées grand public et cinéma d’auteur. Il présente une histoire d’amour bouleversante, extrêmement bien traitée, un regard juste sur l’amour entre hommes. C’est rare qu’un film commercial ne fasse pas honte aux pédés, qu’il ne soit pas caricatural», juge D.Dibilio. «Finalement, le genre est secondaire, estime S.Kaganski. Il y a des films gays qui se fondent dans d’autres catégories et il y a des films non gays qui comportent des personnages gays. Toutes les combinaisons sont possibles. L’essentiel c’est: un film est-il bon, intéressant, émouvant, singulier, inventif ou pas?» D.P.