«Une opération, cela ne se regrette jamais»
A Lausanne, le Dr Paul Daverio reçoit des patients du monde entier. Sa spécialité: le changement de sexe en une seule opération. Entretien.
Depuis les milieu des années 80, le Dr Paul Daverio, spécialiste en chirurgie plastique, donne «les bons attributs aux personnes qui ne sont pas nées dans la bonne enveloppe», comme il dit joliment. Sa spécialité, l’intervention en un seul temps opératoire, a déjà été appliquée auprès de 167 patients. Aujourd’hui, il pratique 2 à 4 opérations chaque mois en clinique, ce qui représente 20% de son activité. Ses patients viennent de toute l’Europe, et même d’outre-Atlantique.
Vous êtes un des rares spécialistes à opérer les transsexuels en une seule intervention. Quels sont les avantages de la méthode?
Avant, pour changer de sexe, il fallait compter quatre, cinq, voire six opérations qui s’étalaient sur deux à trois ans. C’est long pour quelqu’un qui sait généralement depuis la puberté que son enveloppe corporelle ne correspond pas à son identité sexuelle et qui, une fois le processus médical en route, doit encore attendre entre chaque opération. Aujourd’hui, avec cette méthode, on fait tout en une seule fois. L’intervention dure entre 7 et 9 heures pour une phalloplastie (de femme à homme) et entre 4,5 et 5 heures pour une vaginoplastie (d’homme à femme). Six semaines après l’opération, dont quinze jours d’hospitalisation, la personne peut reprendre son travail et recommencer sa nouvelle vie. Psychologiquement, il est beaucoup plus facile de procéder ainsi plutôt que de se faire opérer bout par bout, si l’on peut dire. Financièrement, cela revient aussi beaucoup moins cher.
Combien coûte une telle opération? Les assurances remboursent-elles?
Il faut compter entre 70 et 80’000 francs – tout compris – pour une phalloplastie et la moitié pour une vaginoplastie. Comme quoi la femme vaut bien la moitié de l’homme, ha, ha, ha! Non, sérieusement, en Suisse, les assurances, même si elles traînent souvent les pieds, sont tenues de rembourser entièrement ces opérations. Mais attention, il est clair qu’un assuré en chambre commune ne trouvera pas de spécialiste pour l’opérer, sauf dans quelques rares hôpitaux universitaires.
Dans ce cas, le risque d’être déçu(e) du résultat est-il possible?
Oh là, là! Prenez les phalloplasties, vous n’imaginez pas les saucisses et les trompes d’éléphants qui se sont faites! Des tuyaux fabriqués avec la peau du ventre, de véritables horreurs… Aujourd’hui, avec les progrès de la microchirurgie, les techniques s’améliorent heureusement. Il y a aussi un peu plus de chirurgiens qui se spécialisent dans ce domaine; enfin, disons que cela commence enfin.
Reste que pour fabriquer un pénis, tous les chirurgiens reconnus n’appliquent pas la même recette?
Non, effectivement. Avec ma méthode, qui émane d’une technique chinoise, la reconstruction d’un pénis se fait par un prélèvement de peau de l’avant-bras. Certains chirurgiens coupent le clitoris; c’est à mon avis une très mauvaise idée. Moi, je l’utilise pour la sensibilité érogène. C’est d’ailleurs une de mes marques de fabrique.
Quelles sont les sensations que l’on parvient à éprouver, sexuellement, dans son nouveau corps?
Exactement les mêmes que vous et moi. Le principe, c’est d’utiliser les tissus nerveux des zones érogènes existantes pour en fabriquer d’autres qui, en somme, prennent simplement une autre forme. Pour une vaginoplastie par exemple, on vide la verge et on la retourne comme un doigt de gant; c’est elle qui sert à faire le vagin. Les bourses sont utilisées pour fabriquer les petites et les grandes lèvres. Ces organes, bien que transformés, transmettent toujours le même signal au cerveau au moment du rapport sexuel. Et vous savez bien qu’en matière d’orgasme, c’est le cerveau qui fait tout le travail!
Peut-il se produire qu’un homme devenu femme ou une femme devenue homme éprouve des regrets après l’opération?
C’est pratiquement impossible d’imaginer cela. Il faut d’abord comprendre qu’on ne devient pas femme ou homme au moment où on se fait opérer. On est «cet autre» bien avant, dès la naissance, et on en a conscience très tôt. La femme dans un corps d’homme qui rêve d’avoir enfin son vrai corps de femme, par exemple, arrive dans mon cabinet après un long cheminement personnel. A partir du moment où elle aura exprimé son souhait de se faire opérer, elle aura été suivie pendant deux ans au moins par un psychiatre, aura été mise à l’épreuve du traitement hormonal. Tout ce processus conduit généralement à un renforcement de la conviction qu’elle est bien une femme. Dans ces circonstances, l’erreur de diagnostic est difficilement possible.
On rapporte que dans certains pays des filières plus ou moins clandestines permettent des opérations facilitées, avec toutes les dérives que l’on peut imaginer.
C’est vrai, à une époque encore récente – parce que le monde médical ne prenait pas du tout au sérieux le transsexualisme – on allait au Brésil ou au Maroc se faire charcuter à bas prix sur un coin de table. A l’heure actuelle, les patients sont mieux informés, ils prennent heureusement moins de risques. Reste le phénomène des opérations pour motifs lucratifs: c’est par ces filières que des étrangers se transforment en femme pour mieux se vendre sur le marché de la prostitution. Ces hommes sont bien des hommes, et ils ne devraient évidemment jamais se faire opérer. Là, évidemment, les dégâts psychologiques sont énormes.
On dit aussi qu’il y a un fort taux de suicide chez les transsexuel(le)s…
Attention, ce ne sont pas les personnes qui se sont fait opérer qui se suicident ou tentent de le faire. Ce sont justement celles qui n’arrivent pas à faire comprendre à leur entourage qu’elles sont quelqu’un d’autre et que l’opération leur serait salutaire; ce sont celles qui se font trimbaler d’un médecin à l’autre, sans qu’aucun d’eux ne fasse le bon diagnostic; ce sont celles encore qui doivent se battre pour que leur assurance reconnaisse leur cas. On ne s’en rend pas compte, mais beaucoup de médecins ne savent même pas faire la différence entre les transsexuels, les travestis et les homosexuels! Il y a encore beaucoup d’information à faire à ce niveau-là.