Voyage dans l’industrie du fantasme
Nous avons rencontré Flore Cherry,entrepreneure dans l’industrie du fantasme. Elle dévoile les coulisses de son business parisien pas tout à fait comme les autres.
Aider à réaliser les fantasmes de ses client·e·x·s par des Sweeties (ndlr: acteur·trice·x·s qui performent les fantasmes commandés), voilà ce que propose la société de Flore Cherry, My Sweet Fantasy. La maison parisienne offre des scénarios à la carte, ou exécute les demandes spécifiques des client·e·x·s. Interview avec la fondatrice de ce business hors-normes.
Flore, comment est née l’idée de My Sweet Fantasy?
C’est parti du constat qu’en France, lorsqu’on veut pimenter sa sexualité, on n’a pas énormément d’alternatives en dehors de l’acquisition de sex toys. Si on veut vivre une expérience un peu originale, il n’y a souvent qu’une solution: le club libertin, et cette option sous-entend de laisser son ou sa partenaire faire l’amour avec quelqu’un d’autre que soi. Il n’y avait pas de services simples proposés. Nous nous sommes associé·e·s avec Arthur Vernon qui est metteur en scène et connaît très bien les ressorts scénaristiques. Il avait les contacts de comédiennes et comédiens qui étaient prêt·e·s à se lancer dans l’aventure avec nous. On a monté My Sweet Fantasy pour organiser des surprises coquines, redonner du peps dans la libido du couple, sans forcément faire l’amour avec quelqu’un d’autre que son partenaire.
«Le scénario qui fonctionne le mieux: le kidnapping»
Sur votre site internet, une liste de scénarios-types est proposée, avec notamment des lectures érotiques, un kidnapping, un show de lingerie. Comment s’est constituée cette liste?
Celui qui fonctionne le mieux: le kidnapping. C’est vraiment un fantasme qu’ont beaucoup de personnes et qui peut créer rapidement des sensations fortes. Il fonctionne d’autant plus en couple, parce qu’on va venir attiser du stress, de l’excitation et c’est parfait pour construire de l’érotisme. Typiquement, ça permet de répondre à une problématique que connaissent beaucoup de couples: l’un·e·x des partenaire·e·x·s désexualise l’autre, qui se sent moins désiré·e·x. Nous, notre enjeux, c’est de reséxualiser le ou la partenaire, en le ou la plaçant au centre de l’attention de la personne qui l’a kidnappé·e·x. Et ça fonctionne bien car ça permet de voir son ou sa partenaire de façon totalement différente. De plus, tout ce stress déclenche du rire, et plus les partenaires rient, plus ielles se font engueuler par leur ravisseur·euse·x, ce qui va créer une dynamique de solidarité, de complicité au sein du couple: ielles essaient de se liguer contre la personne qui les kidnappe.
Ceci dit, on a plein d’autres petits scénarios. Par exemple, il y a l’examinateur·trice: un·e Sweety·ie vient à la maison avec une grille de notation, s’assied et vous apprend à faire l’amour. Les couples qui aiment l’exhibitionnisme apprécient énormément.
Comment se déroulent les demandes de scénarios sur mesure?
Très souvent, cela nécessite des réunions de concertation, parfois un peu de formation pour les Sweeties, parfois de l’écriture de textes. Donc forcément ça coûte plus cher.
La crucifixion que nous avons organisée pour un client était l’un de nos exemples les plus impressionnants. On en a réalisé d’autres très beaux, comme par exemple l’organisation d’une arrestation, dans des décors de cinéma, à Paris, avec uniformes de gendarmerie, cellule de prison, parloir, prélèvement d’ADN, etc. L’organisation a été très complexe, avec trois Sweeties différent·e·x·s. On a profité d’être entouré·e·s par de vrais journalistes de BFM TV qui nous suivaient pour un reportage, et on les a intégré·e·x·s au fantasme, ce qui a impliqué une confrontation entre le faux prévenu et de vrais journaliste·x·s. En tout, celui-ci a duré cinq ou six heures.
«Une femme qui voulait être une actrice de films érotiques. On a engagé un acteur, ainsi qu’un vrai réalisateur qui est venu avec un scénario original»
Vous ne faites pas les choses à moitié! Un autre projet qui t’a marqué?
Une femme qui voulait être une actrice de films érotiques. On a engagé un acteur, ainsi qu’un vrai réalisateur qui est venu avec un scénario original. Ils n’ont pas fait l’amour (ndlr: la législation française prohibe l’achat d’actes sexuels pour soi-même, mais pas celui de spectables érotiques). Notre cliente s’est faite dirigée comme si elle était vraiment actrice dans un film érotique.
Pour un couple, on leur a fait croire qu’ils étaient beaucoup trop en avance pour une séance de théâtre. Assis au premier rang, ils ont assisté à une dispute terrible (mais programmée) entre nos Sweeties qui jouaient les comédien·ne·s, et ont fini par faire l’amour sur scène, devant nos client·e·s.
Comment se passe la collaboration avec les Sweeties?
Avec le temps, on apprend à connaître le rapport au corps de chacun·e·x, on connaît leurs forces et leurs faiblesses. Souvent, nos client·e·x·s nous demandent un beau ou une belle Sweety·ie, mais ce n’est pas ça le plus important. Ce qui compte c’est que, sur scène ou à domicile, la personne dégage un truc, qu’elle sache mettre en confiance. L’enjeu, ce n’est pas simplement d’arriver à se rendre désirable, mais c’est de réussir à créer un climat érotique. Et cela demande des compétences sociales complexes. Par ailleurs, certain·e·x·s sont très doué·e·x·s pour donner des ordres, jouer l’autorité, d’autres savent jouer les ingénu·e·x·s. Tout le monde n’est pas à l’aise dans les mêmes rôles et nous, on va chercher avant tout la compétence, plutôt que la beauté brute.
«Ce qu’on veut créer, c’est une sorte de marque, d’empreinte émotionnelle»
Des choses qui vous ont marqué en termes de fétichisation?
Nous avons beaucoup de demandes d’hommes seuls sur des fétiches: chatouilles, cat fight, c’est-à-dire un combat entre deux filles, striptease de pieds, humiliation pénienne ou le client souhaitait que trois filles se moquent de la taille de son pénis en le mesurant. On a eu le fantasme inverse, où un homme voulait que deux filles complimentent la taille de son pénis. C’est souvent quelque chose à laquelle la personne a fantasmé depuis dix, quinze, voire vingt ans.
Il arrive aussi qu’on nous contacte en nous demandant de faire revivre à la personne une expérience déjà vécue, et trouvée hyper érotique alors. C’est une chasse à la sensation déjà expérimentée.
C’est souvent très difficile d’être totalement excité lors de nos prestations, en particulier fétichistes, parce qu’il y a la peur avant tout. Nous sommes conscient·e·s que ça peut être difficile, mais ce n’est pas la question. Ce qu’on veut créer, c’est une sorte de marque, d’empreinte émotionnelle. Finalement, ce que nous offrons, c’est une expérience très forte qui va être remémorée, dont les sensations vont être gardées en tête et réutilisées plus tard pour alimenter les fantasmes.
Et sur le fait de revivre un souvenir, as-tu des exemples de fantasmes que vous avez réalisés?
Oui, par exemple, une femme qui avait eu un massage à quatre mains réalisé par deux femmes dans un hammam et en avait gardé un souvenir ému. Elle souhaitait que cela se refasse, mais en version plus sexy. L’homme qui voulait qu’on le félicite sur la taille de son sexe aussi, c’était clairement une remise en scène de quelque chose qu’il avait déjà vécu avec deux femmes chez lui, avec lesquelles il avait regardé du porno. Elles l’ont questionné sur la taille de son sexe et il avait trouvé ça tellement excitant qu’il a souhaité le reproduire.
Est-ce que tu as compris des choses sur la sexualité à travers ton rôle de cheffe d’entreprise?
Évidemment, ça m’a appris beaucoup de choses sur la sexualité, en particulier sur le fétichisme. Je pose mieux mes questions, pour savoir précisément ce que les gens cherchent. Par exemple, lorsqu’on me demande un fétichisme du pied, je vais questionner pour savoir si c’est de la soumission qui doit être en jeu, ou si c’est pour rejouer un souvenir, etc.
«Je crois que les gens qui nous contactent sont très fluides sexuellement»
Est-ce que vous avez des prestations qui s’adressent plus particulièrement à la communauté LGBTIQ+?
La question est compliquée parce que, par exemple, la bisexualité féminine, ou masculine d’ailleurs, nous est beaucoup demandée. Mais ça reste des gens qui ont une vie certainement hétérosexuelle à côté. Je crois que les gens qui nous contactent sont au final très fluides sexuellement, sans forcément s’identifier à la communauté LGBTIQ+. Nous restons très ouvert·e·s d’esprit, et ne cherchons pas à ranger les personnes dans des cases.