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Écriture inclusive: panique chez les puristes

Écriture inclusive: panique chez les puristes
Exemple d'utilisation de caractères inclusifs imaginés par Tristan Bartolini, dans le cadre de son travail de diplôme à la HEAD-Genève.

Dans les médias, dans l’administration, dans l’expression militante, la langue gagne tout doucement en égalité et en inclusivité, non sans heurts. Petit état des lieux d'une évolution imparfaite et hétéroclite, un peu comme le français lui-même.

On dirait bien que la tempête du langage épicène et de l’écriture inclusive a franchi le Jura. En mars, une partie de la droite au Conseil municipal de Genève signait une résolution criant au «massacre de la langue française»! Dans le même temps, à Berne, un petit groupe d’UDC, PLR et PDC interpellait le Conseil fédéral sur l’«instrumentalisation» de la langue «à des fins idéologiques». Ces élu·e·s prenaient à témoin l’Académie française et sa «mise en garde solennelle» de 2017 contre «le péril mortel» d’une «langue désunie».

Dans la famille conservatrice, c’est la panique. On condamne pêle-mêle toutes les tentatives de promouvoir une langue plus égalitaire, même les plus modestes. Ainsi celles de la RTS, avec son Guide de langage épicène et inclusif publié en septembre, provoquant des remous au sein du personnel, non consulté et fâché de se voir imposer une «police de la langue». Pourtant, ce guide n’a rien de bien iconoclaste: éviter à l’antenne la forme masculine utilisée comme collectif (le corps enseignant au lieu des enseignants, une personne migrante au lieu d’un migrant), féminiser des noms de métier ou mettre à l’index certaines expressions poussiéreuses.

Un point (médian) c’est tout
Au niveau politique, les foudres se concentrent sur la diffusion dans les textes administratifs de flexions inclusives, combinaisons de formes féminine et masculine dans un même terme à l’aide d’un tiret, d’un point ou de l’emblématique point médian. Un système relativement admis en allemand, mais souvent envahissant en français et à l’usage encore fluctuant. Car chez nous, l’accord de genre est présent dans les adjectifs et les participes. Une situation susceptible de cribler les phrases de ponctuation: Déçu·e·s, les étudiant·e·s sont parti·e·s. Et la morphologie du français n’aide pas, quand les formes féminines et masculines ne s’emboîtent pas comme le papa dans la maman: De fier·ère·s travailleur·euse·s?

Pour Zélie Schneider, formatrice en langage inclusif, cette graphie est à utiliser avec parcimonie. Elle conseille surtout l’utilisation d’un vocabulaire épicène. «Rendre un texte inclusif, ce n’est pas seulement mettre des points médians partout. C’est surtout un travail de fond.»

Laboratoires linguistiques
Travail de fond ou refondation? Dans les milieux queer militants, la lutte s’étend au domaine non-binaire. On s’y accorde en -x et on néologise avec insolence, à coups de pronoms iel, celleux ou encore des constructions comme toustes ou auteurices, au risque de causer des infarctus aux Immortel·le·x·s de l’Académie ou parmi les fidèles du Temps, qui ont pu découvrir en mars une lettre ouverte du Collectif radical d’action queer: «Noux luttons pour que ces stigmates cessent et que noux soyons respecté.e.x.s.». Des tournures qui crispent, qui clivent, mais qui constituent aussi un incroyable laboratoire. «Des sphères où le langage s’enrichit par les personnes directement concernées», résume Marius Diserens, relecteur expert en diversité à 360°.

Justement à 360°, nous avons choisi de leur ouvrir nos pages – sans faire l’unanimité au sein du public LGBTQ+: 15% qualifiaient l’écriture inclusive d’«insupportable» lors de notre récent sondage. «Ça suffirait à me désabonner!» lançait un lecteur. «Beaucoup de personnes n’y voient pas d’utilité, parce qu’on ne se rend pas compte de l’impact social et politique de la sémantique», estime Marius Diserens. Pourtant, il rappelle que c’est aussi avec la langue que l’on fait les lois. «C’est une refonte de la langue et des pratiques discursives qui sont à la base des droits, des responsabilités, des actions et des projections que l’on se fait en tant que citoyen·ne·x·s.» Ce n’est donc pas pour rien qu’elle soulève autant de résistances.

Un futur qui s’inspire du passé
Zélie Schneider en est convaincue, ces difficultés ne sont que passagères. «L’écriture inclusive telle qu’on la pratique actuellement est une solution transitoire, développe-t-elle. Dans quelques années, on aura des solutions qui vont au-delà de rajouter des points avec des terminaisons; au-delà de quelque chose qui soit juste un masculin/féminin et qui fait que les personnes non-binaires se sentent encore plus exclues qu’avec un masculin générique.»

Aux adversaires du langage épicène qui se réfèrent à l’essence même de la langue, il n’est pas inutile de rappeler qu’avant le XVIIe siècle, il existait dans l’usage courant quantité de termes comme une professeuse, une médecine, une philosophesse… De même, on utilisait l’accord de proximité («Trois jours et trois nuits entières»), alors qu’on apprend aujourd’hui que le masculin l’emporte. «On a des textes qui prouvent que la suppression de ces pratiques a été décidée par ceux qui codifiaient la langue à l’époque, rappelle Zélie Schneider. Aujourd’hui, on devrait donc parler de démasculinisation de la langue plutôt que de féminisation.» Quant à la manière de bien faire, la formatrice se veut rassurante: «Aujourd’hui, comme il n’y a rien de juste en inclusif, il n’y a rien de faux non plus. L’important est que chaque entreprise ou organe uniformise sa manière de faire.» Les petits ruisseaux font les grandes rivières…

Ébullition polyglotte

Les langues romanes présentent des difficultés analogues à celles du français, mais la place dévolue au genre y est un plus circonscrite. En italien, par exemple, certain·e·x·s proposent une lettre à la prononciation distincte, ǝ, comme signe d’un accord non genré. Entre lui (il) et lei (elle), on aurait ainsi lǝi. Dans le même sens, les cercles militants féministes et LGBTQ+ de langue espagnole se sont emparés du e comme alternative au o masculin et au a féminin. On peut déjà lancer un «Hola amigues!» dans les milieux estudiantins en Argentine, où cet usage s’est diffusé lors de la récente bataille pour le droit à l’avortement. Avantage indéniable sur les tournures inclusives françaises: celles-ci se prononcent fièrement et aisément.

Les pronoms inclusifs espagnols.

L’enjeu égalitaire est aussi débattu dans les langues germaniques, même si les accords de genre y sont moins envahissants. En allemand, des variantes inclusives actuelles proposent l’utilisation de l’astérisque dans les mots: Liebe*r Student*in, prononçable avec un léger hiatus. C’est sans doute en anglais que la partie est la plus facile: les accords en genre y sont inconnus. Reste la question des pronoms, qui semble avoir été résolue par la (re)découverte du they singulier comme alternative à he/she, un usage attesté dans la littérature ancienne.

Un cas intéressant est celui du suédois, où le néologisme hen rencontre un vrai engouement, au point que ce pronom non genré s’est fait une place dans les médias, les livres pour enfants et même dans le dico de référence. Un article de la chercheuse Nathalie Le Bouteillec note que cette innovation militante s’inscrit dans une tradition suédoise de débat sur l’égalité sociale. Elle le rapproche avec l’instauration du tutoiement généralisé dans les années 1960 qui «abolissait dans le langage les marques distinctives de classe sociale». Cinquante ans plus tard, «hen a pour objet de pouvoir non seulement identifier les personnes trans* ou celles ne se reconnaissant pas dans les binarité femme/homme, mais également de faire disparaître les discriminations induites par la langue.» F.T.