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Plaidoyer pour les damné·e·s

Plaidoyer pour les damné·e·s
Photo ©Arnaud Delrue

Édouard Louis est invité en clôture du Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève. Une soirée en partenariat avec le magazine 360° qui s’annonce comme le point d’orgue de 10 jours dédiés à construire un autre monde.

Pionnier de la littérature de confrontation et auteur de trois romans coups de poing, l’écrivain Edouard Louis sera à Genève le 17 mars prochain dans le cadre du Festival du film et forum international sur les droits humains. En clôture de près de deux semaines de projections et de panels, il débattra avec Caroline Abu Sa’da, responsable éditoriale du Forum du FIFDH, de la convergence des luttes et des nouveaux damné·es de la Terre, sujets centraux de son roman «Qui a tué mon père». Avant que vous ne veniez prendre part cette soirée événement, Edouard Louis a accordé un entretien au magazine «360°». Un entretien sous forme de plaidoyer pour rassembler celles et ceux qui sont au rang des dominé·e·s et des oublié·e·s du progrès.

– Edouard Louis, vous dialoguerez au FIDFH de la question des nouveaux damnés de la terre, des individus aux luttes diverses…
– Ce qui m’a donné envie de participer à ce festival, c’est justement cette volonté d’articuler des luttes qui ne sont pas souvent, ou pas assez souvent, articulées ensemble. La question de la migration, la question de la sexualité, la question des données informatiques, de la violence policière, ou encore de la culture du viol dans nos sociétés peuvent être pensées ensemble, et c’est une des ambitions de ce festival. Il ne s’agit pas uniquement d’additionner des sujets de réflexions et de combats, de les superposer les uns aux autres mais, plus radicalement, d’utiliser chaque espace de lutte et de réflexion pour transformer profondément les autres: en quoi le féminisme, par exemple, peut permettre de repenser profondément la question de la migration? En quoi la question raciale peut être le point de départ d’une réflexion nouvelle sur les classes sociales? Cette manière de penser me semble potentiellement très contemporaine et très nouvelle. Dans mon dernier livre Qui a tué mon père, j’ai voulu montrer comment la question de la domination masculine ou de l’homophobie pouvaient, non pas uniquement s’ajouter à la question de classes, mais re-poser la question des classes dans son ensemble. Dans son enfance, mon père, pour construire son identité masculine, pour prouver sa masculinité aux autres – ce qui était obligatoire , ou celui qui n’était pas assez masculin se faisait traiter de pédé a l’école – a dû s’exclure du système scolaire le plus tôt possible, le plus jeune possible. Refuser la soumission au système scolaire et aux lois de l’école est, et était, considéré comme une preuve de sa masculinité. Et comme il est sorti du système scolaire très jeune, il n’a pas eu de diplômes et a été exposé a des formes de travail très dures et mal payées toute sa vie, ouvrier a la chaine, balayeur, etc. On voit très bien a travers cet exemple que la question de la masculinité ou de l’homophobie sont aussi des questions de classe. L’homophobie et la domination masculine ont provoqué en grande partie la pauvreté économique de mon père, des hommes autour de lui. Lutter contre l’homophobie et contre la domination masculine, c’est lutter contre la reproduction sociale.

– Peut-on désigner l’ennemi commun de ces damnés?
– Il y aurait plusieurs réponses a donner. Dans l’espace de la littérature, par exemple, je me suis rendu compte, quand j’ai commencé a écrire, que beaucoup de discours sur les classes populaires n’avaient pas changé depuis les années 50, qu’une grande partie des auteures et des auteurs, encore aujourd’hui, écrivaient sur les classes comme on le faisait au moment de l’après guerre, comme si depuis il n’y avait pas eu le mouvement antiraciste, le mouvement féministe, le mouvement LGBT, qui ont pourtant réinterroger, les questions sociales, d’inégalités, de violence, de précarité de certains corps par rapport à d’autres. Une grande partie de la littérature ou même du cinéma sur les classes populaires est encore très marquée par une vision masculiniste des classes, par une vision des pauvres comme «solidaires», «bons vivants», simples, authentiques, etc. Mais qu’est ce qu’il en est pour un Noir ou un Arabe, dans un village comme celui dans lequel j’ai grandi et que je décris dans mes livres, où presque 60% des habitants votent pour l’extrême droite? Qu’est ce qu’il en est pour une femme comme ma mère qui toute sa vie a été empêchée de travailler par mon père, qui lui disait que le rôle d’une femme était de rester à la maison?
Je me suis rendu compte que lorsque vous essayez de parler des personnes LGBT, des personnes racisées ou des femmes dans les classes populaires, et des difficulté que ces personnes rencontrent – comme dans d’autres milieux bien sur -, on vous accuse de stigmatiser les classes populaires, alors que l’enjeu, c’est d’inclure encore plus de monde derrière ce mot, derrière cette catégorie, « classes populaires», d’y inclure encore plus de corps, plus de vies, plus de visages, de faire en sorte que quand les gens pensent «classes populaires», ils pensent à autre chose qu’à un homme blanc, brave, et hétérosexuel. La réalité est beaucoup plus complexe.

– Est-ce que le système prévoit suffisamment de modes de réparation des inégalités?
– Non, et le plus étrange, c’est que celles et ceux qui ont le pouvoir de changer les choses, les vies, la réalité, font toujours croire qu’ils ou elles souffrent d’une forme d’impuissance politique. Il y a une sorte de misérabilisme des dominants qui consiste a dire: je voudrais changer les choses mais je ne peux pas, je ne peux pas a cause de l’économie mondiale, je ne peux pas a cause de l’Europe, je ne peux pas a cause des structures politiques figées, etc.
Dans «Qui a tué mon père», je parle des réformes et des décisions politiques qui ont été prises par les derniers gouvernements français au cours des trente dernières années et comment ces décisions politiques ont eu un impact direct, et négatif, sur le corps de mon père. Comment, par exemple, des médicaments ont cessés d’être remboursés et l’ont amené à l’incapacité de se soigner, parce qu’il ne pouvait plus se payer les médicaments. Pour quelqu’un comme mon père, une décision de Sarkozy ou de Macron est quelque chose d’aussi intime que son premier baiser ou que la première fois qu’il a fait l’amour. Je mélange dans le livre des éléments a priori d’histoire individuelle avec des éléments a priori d’histoire politique, parce que ce que je veux démontrer, c’est que ces deux aspects constituent en réalité l’histoire intime du corps de mon père, que je ne peux pas raconter son histoire honnêtement sans évoquer les deux aspects.
Quand l’avortement était interdit en France pour une femme, se faire avorter illégalement équivalait à prendre le risque de perdre sa vie. Quand l’avortement a été légalisé, c’était une décision a priori politique, mais cette décision a changé l’histoire intime de beaucoup de femmes. Ces femmes pourraient sans doute dire que la légalisation de l’avortement a fait partie de leur vie personnelle autant que leur première histoire d’amour. La question c’est donc, aussi: qu’est-ce qu’on inclut et qu’est-ce qu’on exclut traditionnellement d’une biographie, comment changer ça?
Ce qui m’a frappé c’est que quand j’ai parlé dans «Qui a tué mon père» de la responsabilité des femmes et des hommes politiques sur les corps, on n’a pas cessé de me répliquer, «Ah mais ce n’est pas de leur faute, ce n’est pas la faute de Macron, ce n’est pas la faute de Sarkozy, ils sont pris dans un système.». Dans mes deux premiers livres («En finir avec Eddy Bellgueule» et «Histoire de la violence», ndlr), quand je parlais de l’homophobie, de la violence dans le milieu populaire de mon enfance, ces mêmes personnes, exactement les mêmes, me disaient, puisque j’essayais de comprendre d’où venait cette violence, «tu essaies de les excuser. Quand les gens sont racistes ils sont responsables. Quand ils sont homophobes, ils sont responsables.» Comme si quand il s’agit des classes dominées, il fallait rappeler leurs responsabilités et quand il s’agit de la violence des classes dominantes, il fallait toujours les excuser…
Bien sûr qu’il y a des structures mondiales mais à l’intérieur de ça il y a des personnes qui ont le pouvoir de prendre des décisions, d’interrompre des cycles de violence. C’est ce qu’a fait Angela Merkel par exemple quand elle a annoncé que l’Allemagne accueillerait près d’un million de migrants et de migrantes. Pour ces gens qu’elle a accueilli, la décision de Merkel est un élément éminemment personnel de leur vie. Qui pourrait faire ça en France aujourd’hui à part Emmanuel Macron? Il ne le fait pas, il a donc du sang sur les mains, il est donc responsables du fait que des migrantes et des migrants se noient dans la Méditerranée. Je crois fondamentalement que plus on a de pouvoir et plus on est responsable.

– Quels sont les contre-pouvoirs pour s’émanciper de ce système de domination? Le FIFDH célèbrera les 30 ans du web. Comment analyses-tu cet outil? Un moyen d’empowerment ou une machine qui s’emballe?
– J’avoue que c’est un sujet que je connais très peu. Pour moi, écrire, réfléchir, être une intellectuelle ou un intellectuel, c’est aussi connaître ses limites et savoir qu’il y a des sujets dont on ne sait pas parler, il y a des gens qui le feront beaucoup mieux que moi pendant le festival! Ce que je sais, c’est qu’en terme de violence sociale, je n’ai pas vu beaucoup de choses changer ou se transformer par l’existence d’internet. Il y a bien sûr l’accès à l’information. Moi en tant que jeune gay, pendant mon enfance, ce qui est très banal pour les personnes LGBT à ce moment de leur vie, je pensais que j’étais totalement seul et que j’étais malade. Peut être qu’internet change quelque chose pour une lesbienne ou une personne transgenre née en 2005, qui peuvent voir sur internet qu’elles ou ils ne sont pas seul·e·s.
Internet est aussi, je crois, quelque chose qui aggrave mon sentiment de révolte tous les jours, parce que j’y vois sans cesse la confirmation que le monde fonctionne comme la reconstruction permanente d’une frontière entre des corps protégés, privilégiés, et des corps exposés a la précarité et à la mort. On a tendance à oublier que le monde, et que ce que l’on appelle la société, c’est en fait la frontière entres des corps qui sont exposés à la mort et des corps qui sont protégés. En France, si tu es ouvrier tu as deux fois plus de chance de mourir avant 65 ans. Si tu es un femme, tu es exposée à la violence sexuelle, à la violence conjugale. Si tu est un jeune LGBT, tu as 4 ou 5 fois plus de chance de te suicider pendant ton enfance. Si tu es noir ou arabe, tu prends le risque de te faire tuer par la police, comme ca a été le cas de Adama Traoré, il y a eu des dizaines de personnes noires et arabes tuées par la police ou les gendarmes ces dernières années en France. Le plus surprenant, c’est que cette définition presque essentielle de la politique comme question de vie ou de mort a tendance a toujours disparaître des discours politiques. Peut être qu’internet peut servir de contre-pouvoir à cette négation toujours recommencée de ce qu’est réellement la politique. Un le où les individus peuvent dire aux femmes et aux hommes politiques: pendant que vous parlez de programmes, de gestion, de bien commun, de contrat social, nous vous parlons de violence, de pauvreté, d’exclusion, de précarité.

– Est-ce que des lieux comme le FIFDH sont des espaces importants pour réfléchir à tout ça? Ou ne sont-ils pas simplement des lieux où des «bourgeois» regardent la misère du monde?
– Il faut essayer de transformer tous les espaces de discours le plus radicalement possible. Je pense que les personnes qui organisent le FIFDH en ont la volonté. On pourrait dire la même choses de tous les lieux de la culture ou de la littérature. Ce sont des espaces qui s’adressent majoritairement à la classe dominante, dominante économiquement ou culturellement. Si vous lisez, si vous avez un rapport étroit avec la culture c’est souvent que vous avez le temps, que vous en avez les moyens financiers et que vous avez acquis les outils nécessaires pour décrypter l’art. Et pourtant je ne pense pas qu’il faille renoncer à l’art ou à la littérature, mais plutôt se demander comment on peut les utiliser pour défaire la violence sociale le plus possible.

– Je sais que tu es en train d’écrire en ce moment. Peut-on savoir quel seront les contours de ton quatrième ouvrage?
– Je suis encore au début, mais je sais que comme dans les autres livres il sera question de violence. Plus on parle de la violence du monde plus on ouvre la possibilité de la transformation du monde.

» Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève du 8 au 17 mars – fifdh.org
» «Qui à tué mon père» par Edouard Louis aux Éditions du Seuil