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Alex Taylor, plus «bottes de cuir» que «chapeau melon»

De l’Angleterre pudibonde au Berlin fétichiste, en passant par l’univers impitoyable de l’audio-visuel français, l’ex-animateur télé livre ses souvenirs à cœur et à cru. L'entretien dans son intégralité.

Comment est venue l’idée de ce livre ?
Alex Taylor: Je voulais écrire depuis longtemps un livre sur l’Europe. J’ai fait plusieurs tentatives, mais mon éditrice me répondait que le sujet n’intéressait plus personne et j’ai finalement complètement abandonné. On s’est revu il y a un an environ et j’ai renouvelé mon souhait d’écrire un livre. Il fallait trouver un thème. On a décidé de parler de la drague sur Internet, que je connais bien. J’ai raconté quelques anecdotes que mes amies me conseillent de coucher sur le papier depuis des années, tellement elles sont croustillantes. Au bout de quelques chapitres, j’ai trouvé cela un peu répétitif. Mon éditrice m’a dit que je devais expliquer pourquoi j’avais ces goûts-là. J’ai alors plongé dans mes souvenirs d’enfance et le livre a pris tout son sens. J’ai trouvé dans mon enfance les clés, les raisons de mon attirance pour le sm.

Vous allez très loin dans la description de vos pratiques sexuelles sado-masochistes. N’avez-vous pas peur de choquer ?
J’espère bien que je choque ! Le propre de ces pratiques, c’est d’être choquant, c’est ça qui les rend excitantes. C’est aussi le côté excessif qui m’attire. Prendre un avion de Paris à New York, rien que pour un rendez-vous dans un parking, c’est choquant parce que c’est excessif. Je ne suis pas sûr que cela aurait été aussi bandant si on m’avait donné rendez-vous en Seine-Saint-Denis, à trois stations de RER de chez moi. Mais là il y avait les longues discussions en amont, le vol, l’attente, l’angoisse de me trouver loin de chez moi, vulnérable… Ce qui me parait moi le plus choquant dans mon livre, au point d’avoir hésité à l’écrire, et que bizarrement personne n’a relevé, c’est quand je raconte que j’ai mis la totalité du salaire d’une de mes conventions, ce qui représente une somme assez importante, en jeu dans un pari sexuel avec un type. Ça, ça devrait paraître choquant, le reste…

On vous a connu comme présentateur de l’émission Continentales sur France 3 au début des années 1990. Vous êtes un peu le « Monsieur Europe » de la télévision française. L’Europe est moins présente dans les média aujourd’hui. Vous le regrettez ?
Totalement absente, vous voulez dire ! Dans les années 90, j’ai pu faire 2h30 d’émission quotidienne sur France 3 consacrées uniquement à l’Europe. C’était génial. Puis j’ai fait pendant 5 ans une revue de presse européenne sur France Inter tous les matins. Depuis que j’ai arrêté, il n’y a plus rien. Il y a bien eu l’émission de Christine Bravo qui était une accumulation de clichés et à laquelle j’ai toujours refusé de participer, mais rien de sérieux. Quelques vagues trucs sur ARTE que personne ne regarde. J’ai monté je ne sais combien de projets d’émissions sur l’Europe, toutes chaînes confondues. J’ai créé une boîte de production pour ça. Ça n’a jamais marché. J’ai perdu 1 million de francs dans cette histoire, pour rien. C’est devenu impossible de faire des émissions sur l’Europe, le sujet n’intéresse plus les Français. L’Europe ne fait plus recette.

Vous avez dit dans une interview que vous aviez voulu tuer Alex Taylor. Qu’entendiez-vous par là ? Vous vouliez casser votre image de gendre idéal ?
J’ai fait des émissions quotidiennes à la radio et à la télé pendant 10 ans, mais tout cela date d’il y a 7 ou 8 ans. Les gens me considèrent toujours comme un spécialiste de l’Europe, ce qui me fait très plaisir, mais on ne m’appelle plus que pour commenter les déboires de la famille Windsor. Je ne voulais pas devenir un Stéphane Bern anglais. L’Européen de service, c’est quand ils veulent, mais pas l’Anglais de service. Il était temps de tuer cet Alex Taylor-là qui, quelque part, m’empêchait de passer à autre chose.

Vous n’avez jamais caché votre homosexualité. Diriez-vous que cela vous a coûté votre carrière ? Vous avez des regrets ?
J’ai été l’un des premiers à dire que j’étais gay au moment où ce n’était pas du tout à la mode, au début des années 90. Certains amis m’ont dit que j’étais fou. J’ai juste toujours essayé de répondre franchement quand on me posait la question. Je n’ai jamais voulu faire comme d’autres animateurs de l’époque qui louaient des mannequins pour poser avec leur «copine» dans Paris Match. De toute façon, en ayant travaillé 5 ans sur la radio Fréquence Gaie, je n’aurais pas vraiment été crédible. C’est vrai qu’il y a un directeur des programmes qui m’a dit que je ferais mieux de ne pas en parler, mais d’autres m’ont félicité pour mon courage. Et puis aujourd’hui, on ne peut pas vraiment dire qu’être homosexuel soit une barrière pour faire une carrière à la télévision, il y en a plein. Non je pense vraiment que c’est l’Europe qui a ruiné ma carrière.

Aujourd’hui vous animez des conventions et vous dites que c’est là que se fait l’Europe. N’est-ce pas dangereux de laisser aux entreprises le soin de construire l’Europe ?
…Personne ne le leur laisse, elles le prennent ! Il y a trois façons de faire l’Europe, dans la politique, dans les media ou dans les entreprises. Les grosses boîtes ont saisi depuis longtemps l’importance de l’Europe, les media et le monde politique s’en foutent complètement. Au contraire, l’Europe est toujours présentée comme un bouc émissaire. Dès que quelquechose ne va pas, dès qu’on doit prendre des décisions impopulaires, c’est par ce que l’Europe l’impose. Il me semble qu’en Suisse on a un plus grand intérêt pour l’Europe. Quand je viens à Genève par exemple, je suis beaucoup plus reconnu qu’à Paris. Les gens chez vous regardaient beaucoup Continentales. Aujourd’hui on voit émerger sur la scène européenne des gens qui ne sont pas seulement trilingues, mais bi- ou tri-culturels. Ça en Suisse, vous y êtes habitués. C’est la nouvelle génération. L’Europe se fera avec ces gens-là.

Les gays sont-ils plus européens que les autres selon vous?
Bien sûr. Je raconte dans mon livre que je me suis retrouvé sur une plage à Ibiza dans les années 80 et c’était déjà une petite Europe avant l’heure. Comme on se retrouvait entre gays, au sein de la communauté, il y avait des Espagnols bien sûr, mais aussi des Néerlandais, des Britanniques, des Allemands, des Irlandais, sans parler des Français. Les gays ont beaucoup d’argent, ils voyagent tout le temps. Moi qui vit à Berlin, je vois l’Europe entière débarquer dans cette ville en week-end ou pour des fêtes cuir. La célèbre Démence de Bruxelles attire aussi des Français ou des Anglais qui prennent l’Eurostar rien que pour passer une soirée. Ce sont des petits microcosmes très européens. Le passage à l’euro a été génial pour les commerces gays.

Pour en revenir à votre propre histoire, vous dites dans votre livre que, petit, vous fantasmiez sur les bottes de cuir de Diana Rigg.
Je ne dirais pas que je fantasmais réellement sur ses bottes. Le cuir m’interpellait bien sûr mais c’était surtout la confusion de son rôle sexuel. Elle incarnait un mélange très excitant de féminité à outrance et de masculinité. C’était toujours elle qui avait le dessus sur les hommes. Elle symbolisait les questionnements que j’avais déjà par rapport à ma propre sexualité.

Vous l’avez rencontrée ?
J’ai eu la chance de l’interviewer une fois, oui, pour Continentales, car mon émission diffusait les épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir pour la première fois en France. Elle n’en parlait jamais, mais j’ai réussi à glisser une question sur la série. Je ne suis habituellement pas sujet au trac, j’ai interviewé je ne sais combien de ministres, de gens importants, mais là, face à « Mrs Emma Peel » je me suis retrouvé comme un petit garçon timide. Et, en fait, elle était désarmante de gentillesse. C’est un moment dont je me souviendrai toute ma vie.

Vous avez ensuite étudié à Oxford. Depuis James Ivory, on a le fantasme des collèges de garçons très portés sur les amitiés particulières. Vous vous en donnez une version beaucoup plus « trash ». C’est vraiment aussi chaud que ça ?
Vous plaisantez, c’est encore pire ! En plus maintenant il doit y avoir de la drogue et tout ça. C’était « cucul la praline » par rapport à ce qui doit se passer maintenant. Imaginez une jeunesse hypersexuée qui ne fait que travailler toute la journée. C’est leurs plus belles années, alors il se passe plein de choses. Pour moi, ça a été l’apprentissage de la perversité. Mais je cherchais ça, j’étais ravi, j’ai pas du tout l’impression d’avoir été corrompu. J’ai choisi d’étudier la littérature française du Moyen-Age rien que pour avoir le droit d’y aller faire mes études.

Vous racontez que, dès que vous avez pu, vous avez quitté l’Angleterre pour Paris. C’était une question de survie ?
On a oublié comment était l’Angleterre de l’époque. Le pays était paralysé par les grèves. C’est cette situation catastrophique qui a amené Thatcher au pouvoir. Elle a fait ce qu’il fallait d’un point de vue économique pour redresser le pays mais elle a aussi fait des lois particulièrement nauséabondes sur l’homosexualité. La clause 28 interdisait de parler d’homosexualité dans les endroits publics, sous quelque forme que ce soit. Le contraste était saisissant avec la France, où, en 1981, le ministre de la justice, Robert Badinter, s’est levé devant l’Assemblée Nationale en disant « il est grand temps que ce pays reconnaisse ce qu’il doit aux homosexuels ». Le choix a été vite fait pour moi.

Vous êtes arrivé en France en pleine période de libéralisation de l’homosexualité, du boom des radios libres comme Fréquence gaie. Vous dites que la France d’alors était très en avance sur ses voisins européens. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Je vais parler des trois capitales que je connais bien, Paris, Londres et Berlin. Londres a fait un grand bond en avant sous Tony Blair. On crache sur lui à cause de l’Irak, mais il a énormément fait pour les homosexuels, c’est lui qui a instauré le partenariat. Berlin, c’est la liberté. Pendant que je vous parle, j’ai mon vidéo-box allumé, la TNT allemande, et la première radio de la liste est une radio gay. Ce n’est pas en France que l’on verrait ça. Paris a beaucoup stagné sous le mandat de Chirac. Moi je vote selon l’engagement des candidats vis-à-vis des droits des gays, et force est de reconnaître que les gouvernements de gauche font beaucoup plus avancer la chose que les gouvernements de droite. Regardez ce qui se passe en Espagne. La France, ou en tout cas Paris, était un phare culturel et social dans les années 80. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Aujourd’hui vous habitez Berlin. C’est là que tout se joue désormais?
J’adore Berlin. Je découvre un monde de la nuit qui n’existe plus à Paris. Là-bas, je ne m’amuse plus le soir. Y’a toujours ce côté snob, très m’as-tu-vu, les gens font la gueule. Et puis tout est très cher. J’adore Paris, mais plus pour sortir. Je vais aller ce soir dans une vaste boîte que je décris dans mon livre dans le chapitre sur Berlin, environ 3000 personnes mélangées, métrosexuels, gays, bis, hétéros. Finalement c’est ça la réalité de maintenant, on se moque de qui est gay et qui ne l’est pas, une nouvelle phase après celle de la libération. C’est ça Berlin.

Le livre parle aussi d’une belle histoire d’amour fauchée par la maladie. C’est un hommage que vous lui rendez ?
À l’origine du livre, il y avait mes anecdotes de cul. Ensuite j’ai ajouté mon enfance, pour savoir pourquoi j’en étais arrivé là, pourquoi j’étais attiré par tout ça. Et du coup, après il manquait quelquechose, quelquechose qui est l’essentiel de ma vie en fait. Il fallait que j’en parle. Les plans culs, je ne fais ça que 3 à 4 fois par ans pas plus, comme quand je prends l’avion pour aller aux Etats-unis me faire enlever. Ma vie ne se résume pas à ces histoires de cul invraisemblables. Et puis il y avait aussi une vraie histoire, mon compagnon était connu pour avoir fondé les Alcooliques Anonymes en France. Ça fait déjà 12 ans qu’il n’est plus là. Je me suis dit que si je ne racontais pas son histoire, personne ne se souviendrait de lui.

Vous ne parlez pas de pratiques SM avec votre compagnon. Ça vous semble inconcevable de mélanger fantasmes et sentiments ?
C’est ce que je suggère dans mon livre, sans l’expliciter vraiment. J’ai essayé de mélanger les deux avec quelqu’un pour lequel j’avais des sentiments, ça n’a pas du tout marché. On devait se voir pour un plan sm et l’on a décidé à la place d’entamer une relation. Je n’arrive pas à combiner les deux. D’autres le font, tant mieux pour eux. Moi, avec l’histoire qui est la mienne, je n’y arrive pas. J’ai d’ailleurs même du mal à associer le sexe tout court avec les sentiments. C’est, je pense, le résultat d’avoir vécu dans un pays où, jusqu’à l’âge de 18 ans, je n’avais pas le droit de vivre pleinement ma sexualité. Quand on fait comprendre à un gamin qui sait depuis l’âge de 7 ans qu’il trouve les hommes beaux, que c’est mal, qu’il vaut mieux qu’il le taise, ça laisse forcément des séquelles.

Le livre s’ouvre sur une situation insolite où, attaché à un radiateur, vous vous demandez comment vous êtes arrivé là ? Vous avez le sentiment d’avoir dépassé les limites parfois ?
Je n’ai jamais regretté un scénario. J’ai toujours pris mon pied lors de ces aventures sexuelles. J’ai peut-être eu de la chance, mais je crois que c’est surtout parce que je les prépare bien. Et puis je vais vous faire une confidence, je n’en parle pas dans le livre, mais la clé pour un plan réussi, c’est l’humour. Il faut que je sente lors de nos discussions que mon partenaire a le sens de l’humour, sinon je ne vais pas plus loin.

Vous pensez avoir fait le tour de vos fantasmes ? Est-ce que ce livre était une manière de clore une phase de votre vie ou de votre sexualité ?
C’est pas du tout pour ça que je l’ai écrit, mais c’est intéressant, ce que vous me dites. C’était sûrement une façon d’exorciser mes démons, oui, et, sans vouloir le faire, ça a marché. À la fin de mon livre, le petit garçon que j’étais revient pour dicter quelques phrases sur un clavier anglais. Et bien ce petit garçon est sorti, et j’ai compris qu’il était en colère par rapport à ce qu’il avait vécu dans son enfance. Ça m’a libéré de plein de choses. J’ai pleuré pendant 3 jours quand j’ai fini d’écrire. Je ne l’ai dit à personne – il faut dire que personne ne m’a posé la question – mais je n’ai fait aucun scénario depuis 9 mois, depuis que j’ai terminé ce livre. Maintenant je préfère sortir dans des grosses boîtes et danser, rencontrer des gens. À 50 ans, je démarre une nouvelle vie, c’est pas mal non ?