Génération 00
Gode géant, piercings sur les parties génitales et intenses circulations de sperme sont au menu du nouveau film de Lionel Baier... Cela dit, ce long-métrage à l’esthétique documentaire dépoussière le cinéma suisse et dépeint avec une grande justesse une jeunesse désemparée.
Première œuvre de fiction du talentueux réalisateur lausannois Lionel Baier, Garçon stupide n’est pas tout à fait un porno… Romansbildung moderne, ce projet, moins intime que les documentaires Celui au pasteur (2000) et La Parade (2001), suit la même veine réaliste entrevue précédemment.
Le film raconte les péripéties de Loïc, vingt ans, qui travaille comme ouvrier dans une fabrique de chocolat bulloise. Sorti de l’usine, Loïc sodomise des mecs dragués sur Internet, prend des cocktails de médicaments pour éviter de manger et squatte chez Marie, sa meilleure amie, à Lausanne. Enfant des années 00, Loïc ne sait pas qui est Hitler, croit faire de la photo «impressionniste» avec son téléphone portable et fantasme autour de l’éblouissant mot «star». Cette pauvreté culturelle est heureusement contrebalancée par une intelligence intuitive salvatrice. Loïc est une page blanche qui va se construire au gré de ses erreurs et de ses échecs. Ils seront nombreux, douloureux, mais déterminants. La connaissance, Loïc va notamment la puiser auprès d’un personnage invisible (Baier lui-même, qui filme alors en caméra subjective), une rencontre Internet plus enrichissante qu’hygiénique. Cet intervenant, voix-off flegmatique constamment hors-champ, professe une forme de sagesse au jeune chien fou. Ces immixtions un peu artificielles ne sont pas le meilleur d’un film qui aurait pu se passer aisément de ces enseignements limite cul-cul-la-praline. D’autant que le réalisateur lui-même se défend de porter aucun regard moraliste sur la vie qu’il filme ici, se contentant de constater le quotidien de peu de son héros et de suivre sans préjugés son cheminement vers la conscience. Les altercations entre Loïc et Marie, personnage interprété par la comédienne française Natacha Koutchoumov, illustrent plus efficacement, à notre avis, les lacunes du héros.
Dans ce film, l’homosexualité, bien qu’explicite, ne constitue pas le sujet principal. Elle n’est qu’un contexte qui complique, en quelque sorte, l’apprentissage du héros dans sa quête de soi. Cet aspect démontre une maturation ou du moins une évolution de la façon d’appréhender l’homosexualité chez un jeune réalisateur comme Lionel Baier (pédé assumé soit dit en passant). Désormais, il est possible de raconter des histoires montrant des homosexuels sans que ce qualificatif détermine toute la problématique scénaristique. La même remarque s’applique à la Suisse, et cela apparaît particulièrement réjouissant pour le renouvellement de notre cinéma national. À l’inverse des Tanner, Goretta et autres caciques du septième art romand, Baier intègre la réalité «rurale» suisse à son travail sans en faire pour autant l’objet central de son film. Il en ressort qu’Un garçon stupide est naturellement ancré dans son espace socio-culturel. Loïc mène deux vies dissemblables dans l’étouffante campagne gruyérienne et dans l’anonymat lausannois plus décontracté.
Rencontre décisive
La gestation de ce film s’est avérée laborieuse. Baier avoue que le projet aurait pu ne jamais se concrétiser si son acteur Pierre Chatagny ne s’était pas présenté. Au départ, le cinéaste avait rédigé un texte de fiction pas forcément destiné à un tournage. Il essaie, par la suite, de transformer ce matériel en scénario. L’opération s’avère délicate, lentement le sujet s’étiole. Peu convaincu par son travail, Baier range son scénario au placard. Il le ressort le jour où Pierre Chatagny, un jeune ouvrier d’usine avide de nouvelles sensations, provoque leur rencontre. Le garçon lui raconte son histoire. Baier y découvre des convergences avec le personnage qu’il a imaginé. Il nourrit alors son scénario du récit de son futur acteur. Ce dernier est d’ailleurs impeccable dans le rôle de Loïc. Baier a parfaitement su extraire la vérité portée par ce jeune homme fruste et sensible en même temps. Le casting compte d’autres acteurs amateurs dont Marianne Bruchez, qui reprend, en guise de clin d’œil à La Parade, son rôle d’infirmière à Sion. Elle se retrouve, cette fois, non pas au chevet de la gay pride, mais à celui de Loïc, blessé dans un accident de voiture. Parmi les autres guest-stars du film, on reconnaîtra également au passage les réalisateurs romands Jean-Stéphane Bron (Le Génie helvétique), par ailleurs complice de Baier au sein de Cinémanufacture, la maison de production où ils travaillent aux côtés du producteur Robert Boner, et Ursula Meier (Des Epaules solides).
Bref, un bon film, une histoire poignante, des acteurs formidables, alors ne soyez pas stupides, allez le voir.
«Garçon stupide», de Lionel Baier avec Pierre Chatagny, Natacha Koutchoumov et Rui Pedro Alves, 94 minutes. Sortie en salle, le 10 mars